[Fiction du mois] La réalité
La fiction du mois de mars est assez incroyable, mais je ne sais pas trop si je dois vous la recommander ou pas… Nulle doute que vous en entendrez parler à la radio, à la télé, et bientôt dans les librairies, théâtres et cinémas. Mais parlons-en un peu ici !
(Illustration libre par sumanley)
Le pitch
Après avoir mangé un pangolin mal cuit, un type dissémine un nouveau virus à travers le globe. En quelques mois, des dizaines de milliers de personnes meurent et 3 milliards d’humains sont confinés chez eux pour éviter d’être contaminés ou contaminant…
Une fiction qui prend son temps…
La fiction prend place fin 2019, début 2020, à une époque où tout va très vite, où la moindre nouvelle est essorée en quelques jours voire quelques heures pour laisser place à une autre, plus sensationnelle, plus incroyable, ou parfois plus consternante…
Alors que l’Homme ne sait plus s’arrêter, l’arrivée du virus va tout chambouler et mettre en pause tous les pays, les uns après les autres, pour des durées qui semblaient inimaginables : 2, 4, 6 semaines, 2 mois… Qui sait combien de temps durera cette première saison ?
La suspension volontaire de crédulité mise à mal
Si cette fiction mise beaucoup sur la durée, sur le nombre incroyable de protagonistes, sur son caractère international et son inéluctabilité, son principal défaut réside dans des rebondissements invraisemblables…
Déjà, que penser de ce virus qui épargne (quasi toujours) les bébés et les enfants ? Clairement, nous ne sommes pas dans l’univers sadique envers ses personnages d’un George R.R. Martin.
Voyez plutôt par vous même la chronologie :
- Octobre 2011 : après la pandémie H1N1 de 2009, l’Etat et le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) mettent à jour le plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale »
- 18 octobre 2019 : un exercice de pandémie a lieu au centre John Hopkins afin de bien se préparer à une éventuelle pandémie un jour.
- 17 novembre 2019 (supposé) : Apparition du premier cas à Wuhan
- Décembre 2019 : Dissémination du virus en Chine
- 2 janvier 2020 : début de la veille sanitaire en France par le CORRUSS (Centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales)
- 13 janvier 2020 : premier cas asiatique hors de Chine (Thaïlande)
- 21 janvier : premier cas en Amérique du Nord (Seattle, Etats-Unis)
- 24 janvier : premier cas en Europe (Paris et Bordeaux, France). Déploiement de flyers et d’affiches d’information dans les aéroports.
- 25 janvier : premier cas en Océanie (Melbourne, Australie)
- 28 janvier : premier cas de contamination entre individus en Europe (Allemagne)
- 29 janvier : Louis Gautier, l’ancien patron du SGDSN (2014-2018) s’étonne que le plan pandémie ne soit pas encore lancé.
- 30 janvier : l’OMS considère le coronavirus comme une urgence de santé publique au niveau mondial (18 pays touchés, 8000 personnes détectées positives)
- 5 février : un article de Science évoque le risque de pandémie et de surcharge des réanimations devant le nombre de cas graves (très belle chronologie ici)
- 9 février : 11 cas sont répertoriés en France (cluster en Haute-Savoie), fermeture de 3 établissements scolaires en Haute-Savoie pour 2 semaines.
- 14 février : premier cas en Afrique (Egypte) et premier décès en Europe d’un patient atteint du COVID-19 (Paris, France)
- 16 février : démission d’Agnès B., ministre de la Santé en France pour devenir candidate LREM à la mairie de Paris (notamment face à Cédric V., candidat exclus de LREM le 29 janvier), pour remplacer le candidat LREM officiel Benjamin G., qui s’est retiré le jour de la Saint-Valentin suite à une vidéo privée d’onanisme circulant sur internet depuis le 12, mise en ligne par Piotr P., activiste russe connu pour s’être cloué le scrotum devant le mausolée de Lénine, et relayée massivement sur Twitter par Joachim S., médecin suisse élu député, exclus du parti LREM en décembre 2018 après avoir embrassé une carrière de troll.
Ah bah vous voyez ! Bam, fin de la suspension volontaire de crédulité. Qu’est-ce qui s’est passé là ? On a embauché un scénariste de sitcom pour écrire cette semaine là ? Bon, reprenons.
- 23 février : le nouveau ministre de la Santé annonce la phase 1 de l’épidémie (selon le plan défini en 2011 après H1N1), la mise en place de 70 hôpitaux supplémentaires, et la commande de masques FFP2 (« qui seront livrés dans 3 à 4 semaines »), pour faire face à une éventuelle pandémie.
- 25 février : Science titre que « le coronavirus semble impossible à arrêter », l’Italie confine 10 villes. Le projet est maintenant « d’aplatir la courbe« . Pendant ce temps, un professeur de microbiologie français aux allures de Gandalf, Didier R., annonce par vidéo la « fin de partie » grâce à la chloroquine, en absence de données cliniques fiables.
- 27 février : malgré l’annonce rassurante le 26 janvier d’une commande de dizaine de millions de masque par la ministre de la Santé, la question est sur toutes les lèvres : « où sont les masques ? » (et ceux qui ont lu mon article précédent sur les Pourfendeurs n’arriveront pas à le dire sans chanter !)
- 28 février : l’OMS signe un rapport confirmant que la stratégie de dépistage massif et isolement en Chine a payé. Début de diffusion des spots radios et télévisions de prévention. Le soir, le ministre de la culture est présent aux César 2020, où un réalisateur est séparé de l’homme.
- 29 février : la France passe au stade 2 (rien à voir avec l’émission), interdit les rassemblements en espace clos de plus de 5 000 personnes, et lors du conseil des ministres consacrés au coronavirus, le Premier Ministre engage le 49-3 pour essayer de faire adopter sans vote la réforme des retraites, ayant entraîné depuis le 5 décembre le plus important mouvement social de la décennie en France.
Rhooo, c’est tellement convenu, cette vision du politicien, dans une fiction catastrophe !
- 3 mars : le Premier Ministre Britannique Boris Johnson clame qu’il va dans les hôpitaux où des gens ont le coronavirus, et qu’il continue d’y serrer la main de tout le monde.
- 6 mars : le Président Macron va au théâtre avec son épouse pour « inciter les Français à continuer de sortir malgré l’épidémie« . Le matin, il annonçait le futur passage en phase 3 et la nécessité de protéger et limiter les contacts avec les personnes âgées, depuis un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes.
- 7 mars : pendant que les magasins se vident de leur PQ et de leurs pâtes, 3549 personnes se réunissent à Landernau (Bretagne) et établissent un nouveau record du monde : le plus grand rassemblement de Schtroumpfs. Une victoire à la Française.
Pardon ? On ne l’a pas encore viré ce scénariste ?
- 8 mars : le gouvernement interdit les rassemblements de plus de 1 000 personnes en France.
- 9 mars : le ministre de la culture est testé positif au coronavirus… A 10 jours, il aurait pu faire une hécatombe dans le cinéma français.
- 11 mars : l’OMS considère que nous avons affaire à une pandémie. Le soir même, le match PSG-Dortmund se joue à huis clos mais le préfet de Paris a autorisé un rassemblement de supporters à l’extérieur du stade : 3000 à 6000 personnes fêteront la victoire.
Non, mais arrêtez…
- 12 mars : le ministre de l’Education nationale annonce que les écoles ne seront pas fermées ; le soir même, le président annonce que tous les établissements scolaires du pays seront fermés à partir du lundi 16 mars pour une durée indéterminée.
Stoooooop, qu’est-ce qui se passe, enfin !
- 14 mars : le premier Ministre annonce le passage en stade 3, et la fermeture de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays (bars, cinémas, discothèques, théâtres…). Des gens décident donc de se réunir « une dernière fois » dans ces lieux jusqu’au bout de la nuit, pour boire « le dernier verre avant la fin du monde ».
- 15 mars : le premier tour des élections municipales a lieu, et pourrait mettre à la tête de certaines des 60 000 communes françaises des amateurs.
Comment vous voulez qu’on reste concentrés, aussi ?!
- 16 mars : L’après-midi, Agnès B. ancienne ministre de la santé et 3ème à Paris, révèle à une journaliste du Monde qu’elle savait et qu’elle avait prévenu le gouvernement dès fin décembre – un moment de trahison et de confidence journalistique. Le soir, le Président annonce que « nous sommes en guerre » et un confinement à partir de demain midi ; au même moment, Twitter s’enflamme sur le sous-titrage en direct – un moment de bravoure et d’héroïsme dactylographique.
- 17 mars à midi : début du confinement total de la population pour 15 jours (environ 8000 cas et 200 morts). Pour sortir, il faut se signer soi-même une attestation dérogatoire expliquant pourquoi on s’y autorise.
- 17 mars : en Allemagne, des candidats à Big Brother (Loft Story) apprennent la situation de pandémie dans le monde extérieur (ils sont enfermés depuis le 6 février sans contact).
- 18 mars : des quotidiens commencent à publier des « journaux de confinement » (dont celui de Leïla Slimani qui, depuis sa maison de campagne, se demande si elle n’a pas rêvé ; Christophe Bourdon de la RTBF y répondra 2 jours plus tard de façon caustique).
- 20 mars : le professeur de microbiologie Didier R. pré-publie une étude largement critiquée, sans groupe contrôle, mais incitant les Marseillais à se déconfiner pour aller à l’IHU et incitant Donald T., président américain, à recommander le traitement sur Twitter. On ne vit qu’une fois.
- 20 mars (toujours) : le CSA réagit en 3 jours à une demande émanant de TF1, M6 et de Cyril Hanouna ; il annonce que Canal + (en clair depuis le 17 mars) ne pourra pas rester gratuit au-delà du 31 mars.
- 23 mars : après une semaine de confinement, et en raison de la diminution des entrées publicitaires, M6 commence à diffuser des téléfilms de Noël.
Alors autant le coup des Schtroumpfs, j’étais mitigé, autant là ça confine (…) au génie !
- 25 mars : alors que les profs s’échinent à découvrir l’éducation à distance, la porte-parole du gouvernement qui les pense en vacances leur dit qu’ils n’auront pas à « traverser la France entière pour aller récolter des fraises gariguettes. »
- 26 mars : le G20 annonce qu’en fait, si, il existe de l’argent magique et qu’on vient de trouver 5 000 milliards de dollars planqués sous un matelas.
- 27 mars : le premier Ministre annonce une prolongation jusqu’au 15 avril et « ne laissera personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement »
- 29 mars : on apprend que Wuhan aurait commandé 45 000 urnes funéraires pour 3 295 morts annoncés en Chine…
- 30 mars : comme prédit le 20 mars par la pharmacovigilance, le professeur Marseillais et sa communication sauvage sur la chloroquine ont probablement contribué à tuer des gens…
- 31 mars : Cyril Hanouna anime une émission intitulée « Didier R. et la chloroquine peuvent-ils sauvent le monde ? », avec l’avis de médecins mais aussi de Jean-Marie Bigard (connu pour un sketch sur les chauve-souris entre autres) et de Joachim S., le médecin suisse élu député qui a contribué au changement de ministre de la Santé.
Et pendant que le Kamoulox géant se met en place, l’épidémie progresse partout dans le monde… (Si vous voulez une autre chronologie, il y a l’officielle ici – ils y ont oublié 2-3 détails que j’ai remis -, et un thread Twitter là).
Des conséquences inattendues
Partout dans le monde, des gens sont bloqués chez eux, avec leur famille, leur télé, leurs jeux, leurs livres, leurs pâtes et leur PQ. En dehors des quelques éléments improbables soulignés au-dessus, cette fiction incroyable nous dévoile chaque jour des conséquences inattendues du quotidien :
- tandis que les Italiens chantent leur hymne vibrant depuis leurs balcons, les Français applaudissent leurs soignants et travailleurs mobilisés dans cette crise chaque soir à 20h ;
- les médecins généralistes sont massivement passés à la téléconsultation ;
- devant le confinement, les publicités sont drastiquement réduites à la télévision ; Disney+ est également reporté pour préserver le débit internet en France ;
- il y a une recrudescence des violences conjugales et infantiles ;
- il est de plus en plus difficile d’obtenir un créneau de Drive ; il est impensable d’y trouver certains produits du quotidien…
Et c’est là qu’on se demande : à quoi paie t-on nos auteurs de science-fiction ? Ah pour faire de la dystopie avec des mondes d’en haut et d’en bas, des voitures qui volent et des robots qui font bzzz bzzz, il y a du monde ; mais pour évoquer la pénurie de PQ en cas de pandémie, il n’y a plus personne.
Vous les avez chez vous, ces films qui vous narrent le plus grand rassemblement de Schtroumpfs du monde en pleine attaque zombie ? Bah non, les Romero et compagnie, aussi géniaux soient-ils, ne pourront jamais atteindre cette fiction parfaite qu’est la réalité.
Et la suite ?
Cette histoire – notre histoire – est encore en cours d’écriture.
Pour le futur, déjà une certitude…
Cette crise va certainement nous apprendre beaucoup de choses, mais à mon avis la première leçon à en tirer sera celle-ci :
— Michaël (@mimiryudo) March 23, 2020
– le pangolin / la chauve-souris, c’est 180° chaleur tournante pendant 10 minutes. Minimum.
Combien de temps durera le confinement ? Est-ce que nous aurons des masques ? Est-ce que le gouvernement continuera de dire qu’il est inutile que tout le monde porte un masque, ou est-ce qu’il écoutera tous les mouvements qui se lèvent en faveur d’un « masque/écran pour tous » ?
Combien y aura t-il de morts, cette fois ? Combien de commerces fermeront ? Quelles seront les conséquences individuelles, en termes de chômage, de couples… ? Que se passe t-il dans ces maisons confinées ? Travaillerons-nous encore pareil, ou le télétravail et la télémédecine prendront-ils leur essor ?
Garderons-nous un accès facilité à l’argent magique pour tout ce qui a attrait à la santé ? Ou verra t-on encore un candidat annoncer à des soignants qu’ils créent de la dette ? Que vaudra encore l’argent liquide quand on peut créer 5 000 milliards de dollars de nihilo ?
Aurons-nous des énormes bases de santé nationales ou internationales pour mener plus rapidement des essais cliniques ?
Est-ce que le gouvernement pensera bien à retirer le confinement ? Quelles libertés garderons-nous demain ? Pourrons-nous à nouveau traverser les frontières ? Courir à plus d’1 km de chez soi ? Allons-nous créer des réseaux de circulation clandestins sous nos villes ?
Pourrons-nous sortir dans la rue sans un écran anti-postillons pour nous protéger ? Si oui, combien de temps faudra t-il pour qu’une poignée de cas en France redeviennent une vague épidémique ? Sera t-elle pire ? Cette pandémie sera t-elle une révélation pour le bioterrorisme ? Que se serait-il passé si la pandémie avait été beaucoup plus mortelle (les candidats allemands de Big Brother auraient-ils été les derniers représentants de notre espèce) ?
Trouverons-nous un vaccin, un traitement ? Après combien de temps, combien de périodes de confinement ? Ou devrons-nous subir les vagues épidémiques jusqu’à atteindre l’immunité collective (estimée à 60 % de la population immunisée) ?
Il y a, dans toutes ces questions, de la place pour beaucoup, beaucoup de fictions…
Mais en attendant, place à la seule qui nous étonnera toujours : la réalité.
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