[Conte confiné] Le Petit Chaperon Rouge
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir.
Sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore — ce qui leur faisait d’excellents CV pour intégrer un ministère du royaume de Maconrie où elles vivaient toutes trois.
Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon noir, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le petit Chaperon Rouge — car en ce royaume, aucune couleur n’était jamais plus foncée que le rouge.
Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes selon une recette toute personnelle, lui dit : “va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade : porte-lui une galette et ce petit pot de beurre.”
Le petit Chaperon rouge rétorqua alors : “attends attends, elle a fait une PCR mamie ? C’est chaud là, je veux pas être cas contact, moi !”, avant d’être mise à la porte par sa mère, qui ne voulait pas qu’on chamboule son conte, et encore moins sur ce ton désobligeant.
“Et pense à ton masque !” clama la mère, la porte fermée. C’était stupide dans une forêt quasi déserte, mais il fallait bien respecter les décrets si on ne voulait pas avoir la bourse allégée.
Le petit Chaperon rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village situé dans un périmètre autorisé de 10 km, pour peu qu’on soit munie d’une auto-attestation dérogatoire et d’un justificatif de domicile.
En passant dans un bois, elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, car cela n’était pas compatible avec les gestes barrières. Le loup n’avait pas de masque, ce qui était en soi un comble.
La pauvre enfant ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, et ne savait pas qu’il s’agissait d’un loup puisque son appli TousAntiLoup restait désespérément silencieuse. Le loup lui demanda où elle allait ; elle lui répondit :
“Je vais voir ma mère-grand, et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie.”
— Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup.
— Oh ! oui, dit le petit Chaperon rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Mais j’ai mon attest…
— Hé bien, l’interrompit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin-ci et toi par ce chem…
— Ah bah non, l’interrompit à son tour le petit Chaperon rouge.
— Comment ça, non ? se fâcha le loup.
— Pour les animaux, le périmètre autorisé est de 1 km. Vous allez vous prendre une amende de 135 écus… surtout sans masque.
— Bigre ! s’exclama le loup. Eh bien, je me masquerai, et les gens croiront que je suis un être humain.
— Faudrait être sacrément loufoque – ahah – pour vous confondre avec un être humain… Faut être porte-parole du royaume pour penser tromper les gens avec des mensonges si éhontés !
— Que tu crois”, marmonna le loup, et il s’en alla.
Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Elle adoptait, en ces temps de pandémie, le comportement tout à fait responsable qu’avait su lui montrer le ministre de l’Education, du Sport et de la Procrastination.
Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurta : toc, toc.
« Qui est là ? toussa la mère-grand.
— C’est votre fille le petit Chaperon rouge (dit le loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. »
La bonne mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra », ce qui n’était pas sans rappeler la clarté des messages du Premier Ministre de la Maconrie.
Le loup tira la chevillette, et la porte s’ouvrit. Il bondit vers la bonne femme… et s’interrompit.
« Whowhowho, attendez, mais pourquoi vous êtes au lit là ?
— Je suis malade, répondit-elle.
— QUOI ?! Mais depuis quand ? Vous avez fait votre PCR ?
— Pas encore, j’aurai une place demain…
— Mais ça pue le fenec dans cette pièce, vous n’avez pas aéré ?
— Bah non.
— La transmission par aérosol, ça ne vous dit rien ?!
— Je vis seule…
“Seule, seule”, marmonna le loup en se jetant sur la fenêtre pour l’ouvrir. Il y avait plus de trois jours qu’il n’avait rien mangé et pour une fois qu’il avait quelque chose à dévorer, la viande était avariée… Quelle vie de cousin du chien. Bon, il lui restait toujours la gamine avec sa galette et le pot de beurre.
Il ferma la porte et s’alla coucher dans le canapé, en fermant la porte de la chambre de la mère-grand et en ouvrant vigoureusement les fenêtres. Il attendait le petit Chaperon rouge, qui quelque temps après vint heurter à la porte. Toc, toc.
« QUI EST LÀ ? »
Le loup avait une grosse voix, qui reflétait son énervement de ne pas avoir été informé de l’état de santé de la vieille femme par la fille.
Le petit Chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa mère-grand était enrhumée, répondit :
« C’est votre petite-fille le petit Chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. »
Le loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : « Tire la euh carabistouille, la poudre de perlimpinpin cherra. »
Le petit Chaperon rouge tira la chevillette, et la porte s’ouvrit.
Le loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le canapé sous la couverture :
« Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens t’approcher de moi. »
Le petit Chaperon rouge le regarda et dit :
“Nan mais je t’ai reconnu, le loup. Je te l’ai dit qu’on ne pouvait pas te confondre.
— Ah zut ! s’exclama le loup, masqué et démasqué. C’est parce que ton appli a sonné ?
Le petit Chaperon rouge regarda TousAntiLoup. Pas d’exposition à risque détectée.
— Non, mais t’as de grandes jambes…
— Pour mieux courir…
— De grands yeux…
— Pour mieux voir…
— De grandes oreilles…
— Eh oh, ça va hein, si on part là-dessus, t’as vu un peu ton pif ?
— Et de grandes dents…
— Parlons-en des dents. Ca fait 3 jours que j’ai les crocs, alors tu seras gentille de me filer ta galette et ton beurre là… pour commencer déjà, ajouta-t-il.
Et en disant ces mots, le méchant loup se jeta sur la galette du petit Chaperon rouge, et la dévora d’une traite.
“Pouaaah ! fit-il en recrachant la dernière bouchée. Vous avez mis quoi là-dedans ?
— C’est une préparation de mère, à base de quinine, de zinc, d’arsenic, de toxine bolulique et de strychnine.
— Mais enfin, vous êtes des monstres ?!
— In vitro, ça marche bien.
— Faut plus vous laisser approcher d’une cuisine…
— Eh oh, laissez les bonnes-mères cuisiner.
Et le loup s’effondra.
Le petit Chaperon rouge apporta alors le petit pot de beurre à sa mère-grand, qui en goûta. Comme elle fut guérie 2 semaines plus tard, il fut conclu par le Plus Grand Scientifique et Président du Royaume que le beurre était un remède sacrément efficace, et un DGS-urgent fut transmis à travers toute la Maconrie pour mettre à disposition plusieurs bithérapies à base de beurre.
Fin.
(Et sans rapport, demain on souffle la bougie de 1 an sur le gâteau de Stop-Postillons… L’occasion de redécouvrir les requêtes évidentes du site avec les yeux de 2021 et relire cet article sur l’historique dans Libé)