Ma première nuit en chambre mortuaire

Dans la série des nuits insolites au CHR, je demande les Soins Intensifs Post-Opératoires, alias SIPO…

Bonne pioche ! On va creuser.

Toujours plus haut (Devise de l'externe)

Toujours plus haut (Devise de l'Externe)

Mon précédent article sur les urgences chirurgicales a été partagé sur Facebook par un certain Ramy. Ceci a entraîné une augmentation (statistiquement) significative de mon taux de visites, créant ainsi une demande à laquelle il me fallait répondre par une offre, un nouvel article, au titre plus aguicheur que « pourquoi j’ai dormi sur une table de gynéco ». Pas facile, faut bien le reconnaître…

Alors pour satisfaire mes 20 lecteurs quotidiens (dont sûrement quelques bots russes), et pour répondre dans la foulée à la question de Nfkb (« c’est marrant a lire ton récit je ne regrette pas de ne pas en avoir faites… Et le sipo ? »), je vais vous parler du Terrible Secret des Soins Intensifs Post-Opératoires, alias SIPO, au CHR.

Pour ceux qui ne sont pas en médecine (si si, je vois deux bots russes là-bas au fond, autant qu’ils sachent de quoi il est question avant de me spammer), je précise que chaque stage d’externat dure 3 mois mi-temps (ou 1,5 mois temps plein) et comporte 3 gardes dans des sites attribués en fonction du stage.

Normalement.

En 2010, j’ai fait mes stages en pharmacovigilance, médecine interne, radiologie digestive. En médecine interne, je faisais mes gardes à l’hôpital voisin en réanimation polyvalente (le rapport n’est pas évident déjà, pourquoi pas aux urgences médicales ?) En radiologie digestive, je ne faisais pas mes gardes de nuit avec les radiologues (pourquoi ?) mais au SIPO (pourquoi ?). Enfin, le top du top, en pharmacovigilance, alors que je faisais de la recherche documentaire chaque jour, avec des horaires de fonctionnaire, au même titre que les médecins et internes, je faisais mes gardes en Soins Intensifs Post-Opératoires. Vous lisez bien : SOINS. INTENSIFS. POST. OPERATOIRES. Le seul mot presque en rapport avec ce que je faisais, c’est POSTE, vu qu’on envoyait pas mal de courriers.

Bon, je critique facilement mais c’est clair que ça n’est pas quelque chose de facile à organiser vu qu’on est environ 1000 externes sur une dizaine de sites (faut dire aussi que vu qu’on ne prend pas trop la peine de nous expliquer le fonctionnement, ça laisse parfois songeur). Bien sûr, il faut probablement combler ce site de garde avec les stages du même hôpital si possible afin de… afin qu’on… Afin qu’on rien en fait, on n’est pas indispensable au SIPO (ou en réa polyvalente), et globalement des externes supplémentaires aux urgences ne feraient de mal à personne. Mais en fait, pourquoi on fait des gardes ?

Entre le DCEM2 et le DCEM4, les étudiants doivent effectuer 36 gardes sous la responsabilité du praticien de garde. Il doit s’initier progressivement à la conduite du diagnostic et des premiers éléments d’orientation et, le cas échéant, de traitement des patients dans les situations d’urgence.

Chaque nuit commence à la fin du service normal de l’après-midi au plus tôt à 18h30 pour s’achever au début du service normal le lendemain au plus tôt à 8h30.

Pour une garde de jour, d’une nuit, d’un dimanche ou d’un jour férié : 25,66€

(Le texte officiel de l’arrêté du 9 décembre 1996)

Soit. Sauf que des gardes, j’en ai fait 12 aux urgences et 12 en gynéco… « Ça compte pas dedans (quel texte ?), nous à Lille on fait 3 gardes par trimestre pendant 3 ans et ça fait 36, voilà c’est plus simple ».

Sauf que le samedi c’est 10h-8h pour une garde (quel texte encore ? Je lis 18h30 moi), ce qui compte d’ailleurs pour deux gardes le dimanche : une belle arnaque hospitalière pour tous, héritée de la France cléricale d’avant 1905 (« le dimanche, c’est sacré »).

Sauf qu’un chef de réa m’a déjà critiqué parce que j’étais sorti de stage à 18h15 et donc arrivé à 18h20 (avant que je ne prenne connaissance de ce texte). Et enfin, dans les autres arrangements locaux, il faut savoir qu’on ne réalise pas le stage de médecine générale dont il est question dans l’arrêté de novembre 2006.

La loi ne change jamais en notre faveur, alors qu’à la fac d’à-côté les gardes s’arrêtent toujours à minuit. Les pauvres.

Donc voilà pour la digression qui nous amène à cette conclusion : je me retrouve pour une raison mystérieuse à choisir des gardes aux Soins Intensifs Post-Opératoires.

Le SIPO c’est là où les malades viennent après avoir été opérés, pour être surveillés par des anesthésistes prêts à dégainer leur arme préférée : le laryngoscope.

Ne pas porter à la bouche. Enfin, pas tout seul.

Ne pas porter à la bouche. Enfin, pas tout seul.

C’est plutôt un site de garde correct : on suit un interne et un chef d’anesthésie souvent sympathiques et pédagogues, on va au bloc du côté anesthésie, on voit la préparation du matériel, on assiste à une intubation, parfois on a un petit cours de physiopathogie, et si c’est une garde qui tourne mal, on se retrouve même à faire son premier massage sur un thorax plus vivant que Serge le mannequin au jogging rouge des centres de formation aux premiers secours. A côté de ces points positifs, ça reste une garde, du travail et donc il y a les tours dans le service, la même bouffe périmée qu’aux urgences chirurgicales ou partout ailleurs, et la possibilité de se retrouver dans une chambre à regarder de loin la tentative de pose d’un cathéter spécial qui mesure des trucs dans le coeur chez une patiente en choc ou à peu près. C’est sûrement passionnant sur le plan médical, mais pour nous autres externes, ça reste un peu comme regarder (debout) une dizaine de parties de Dr. Maboul.

La garde en elle-même est généralement tranquille : je ne me suis couché qu’une seule fois à 3h du matin, après avoir massé (cf. ci-dessus) et après que la cadre de santé ait vainement tenté de m’ouvrir la chambre (cf ci-dessous)… En fait quand ça s’agite et que les gens meurent c’est pas mieux. Il faudrait un juste milieu, genre beaucoup d’activités mais en même temps qu’on puisse aller dormir à une heure correcte le coeur léger. Finalement, on devrait tous faire nos gardes de nuit à Disneyland Paris (note à moi-même : penser à faire la proposition au professeur chargé des gardes à la prochaine répart’).

Lorsque je suis allé en garde au SIPO la première fois en 2010, j’inaugurais la nouvelle chambre d’externe. Avant, les veinards partaient avec le dernier métro vers 0h. A cette époque heureuse, personne n’habitait à deux pas, personne n’avait de voiture, de vélo, de parents pour venir nous récupérer : tout le monde circulait en métro. Nous étions écolos.

Maintenant, il fallait rester jusqu’à 8h du mat’. C’était une mesure indispensable pour les externes, afin qu’ils profitent pleinement de leur garde. Evidemment, sachant qu’on dort sans téléphone au rez-de-chaussée dans un couloir lointain et quasi-introuvable sans un plan, un GPS et un guide spécialement formé, que l’interne passe la nuit dans sa chambre au -1 ou -2 et que le bloc opératoire est au 1er étage, le résultat de cette équation fait qu’en cas d’urgence la nuit, la probabilité qu’on soit réveillé pour voir l’intubation du patient est nulle. Et effectivement, sur 6 gardes là-bas, j’ai toujours dormi jusqu’au petit matin…

Le gros problème de cette chambre, c’est qu’elle est non seulement difficile à trouver, mais également difficile à ouvrir. La porte ferme doublement, avec une clé qu’on n’a pas et/ou un code qui se transmet de bouche-à-oreille comme un vieux secret de sorcière.

J’ai un ami de la nièce de la cadre qui connaît un externe qui m’aurait dit que le code ferait référence au numéro de porte divisé par l’âge du chef de service, mais si tu veux vérifier, je crois que l’interne connaît une fille dont l’oncle aurait participé à l’installation des sanitaires dans l’entreprise qui a apporté la porte, si tu veux j’ai son numéro chez moi, il faut juste que t’appelles mon mari, enfin il dort sûrement à cette heure-là.

En fait, c’est même un peu plus compliqué que ça pour l’avoir. Personne ne le connaît, nul ne sait où le trouver. Une légende parle d’une combinaison à 4 chiffres dont au moins un pair. Des poulets ont été sacrifiés en vain pour apporter une réponse à cette énigme. Au passage, il faut aussi savoir que la clé peut toujours ouvrir mais que le code peut parfois être insuffisant si la serrure est fermé en plus (oui, c’est complexe, et encore il n’est pas 2 heures du mat’ après avoir tourné 3 fois dans le service).

Donc pour ouvrir, concrètement, il faut contacter la cadre de santé qui systématiquement vient nous rejoindre (10 minutes), essaie toutes ses clés (5 minutes) avant de conclure qu’elle n’a pas la bonne et qu’il faudrait appeler le gars de la sécurité du CHR (5 minutes) pour qu’il vienne (30 minutes) nous ouvrir les bras de Morphée. A noter que la cadre m’a fait le coup sur les deux premières gardes, même quand je lui ai assuré qu’elle pouvait sauter l’étape d’essayer son trousseau.

Enfin, lors de la troisième garde, l’interne m’a transmis le secret du code : il était en fait noté au dos de la pancarte de la porte, là où il est écrit au feutre noir « Chambre Externe ». Et là, en retournant la pancarte, on voit le vrai nom de la pièce où on s’apprête à passer la nuit pour une troisième fois : « Chambre Mortuaire ».

ChambremortuaireHugo_Laugée

Entre ici, jeune externe (Désirée François Laugée)

La taille de la pièce, l’absence de fenêtre et la luminosité sont assez représentatives. Remplacez le lit de Victor Hugo par un lit Ikéa et vous aurez tout bon.

Depuis, la pancarte a été remplacée par une nouvelle, sans feutre. Je crois même qu’il était question qu’un téléphone soit installé… Les temps changent, mais heureusement les témoignages écrits restent. Alors vous qui me lisez sur votre smartphone en garde, sachez que vous dormez dans une ch… ah non, c’est vrai, j’oubliais.

Dans cette chambre, toutes les voies du réseau sont impénétrables.

EDIT : Mike De Bakey m’apprend qu’un nouveau texte sur les gardes serait sorti en octobre, remplaçant 36 gardes par « des gardes », et que du coup sa fac a diminué le nombre à 30. Le nouveau texte est ici au paragraphe 35… Faut dire que depuis Claude François, la fac n’aime plus trop nous mettre au courant…

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