Pour ceux et celles qui seraient restés à la vision du bloc opératoire façon Urgences, Grey’s Anatomy, Scrubs ou Dr. House, il est temps de faire un démenti public.
Ça ne se passe pas comme ça.
Je ne parle pas du fait que House, néphrologue spécialisé en maladies infectieuses, puisse entrer dans un bloc sans masque sans déclencher l’hystérie collective. Pour ma part, j’ai déjà enlevé ma coiffe bêtement juste après une opération en gynéco, croyez-moi sur parole, les infirmières sont devenues collectivement hystériques…
Je ne parle non plus de l’amitié qui lie médecins et chirurgiens dans ces séries, les premiers adressant calmement leurs patients aux seconds, assistant même parfois à l’intervention, avant de féliciter leurs collègues pour leur minutieuse opération. En réalité, la Déclaration Universelle des Droits de l’Hôpital stipule clairement dans son article premier que « le stéthoscope des uns s’arrête où commence le bistouri des autres ».
Enfin, je ne parle pas des discussions stéréotypées sur les coucheries de l’hôpital qui peuvent avoir lieu au-dessus d’un appendice purulent, ou des accès de colère qui peuvent survenir pendant une pose de prothèse, sur fond musical du dernier album de Coldplay… euh en fait, ça c’est assez authentique !
Mais il manque quelque chose ! Ce sur quoi je voudrais m’arrêter avec vous, tel un papillon sur une rose (ou une sonde urinaire dans une vessie), c’est l’externe. Encore lui.
Reprenons depuis le début… Avant d’être un externe, l’étudiant en médecine est d’abord un PCEM2 puis un DCEM1 qui vient chaque matin dans des services de médecine ou de chirurgie pour « faire de l’observation ». Il y est affecté d’office. Ainsi, il peut examiner beaucoup de patients s’il déteste ça, ou assister à de nombreuses opérations pour peu que ça ne l’intéresse pas (la loi de Murphy interdisant les deux situations inverses).
J’ai des souvenirs émouvants de mes deuxième et troisième années. Je me revois debout dans des blocs opératoires le matin, loin des champs stériles, debout pendant 2, 3 ou 4 heures sans autre appui que le Saint-Sauveur-Mur, les jambes lourdes, sans rien comprendre à la fundoplicature de Nissen qui se déroule sous mes yeux. Parfois, un chirurgien demandait qu’une caméra soit mise en place pour qu’on puisse être spectateur (même si ça partait d’un bon sentiment, ça revenait à peu près à regarder un reportage allemand sur l’alimentation des tigres de Sibérie. Sans sous-titres.)
Pendant ces stages d’observation, on est habillé en tenue de bloc, mais pas « en stérile ». C’est-à-dire qu’on porte une tenue verte (alias pyjama), un masque qui empêche de parler distinctement et fait de la buée sur les lunettes à chaque respiration, une charlotte violette (ou une cagoule en tissu bleu qui laisse une coiffure extra-terrestre quand on l’enlève), et des surchaussures en tissu… Tout ça c’est propre bien sûr, mais pas stérile.
Sur ce terrain propice, les plus chanceux font un début de malaise vagal qui leur permet de sortir et d’être « resucré ». Le resucrage ne sert à rien soit dit en passant, mais on apprécie de sortir et manger n’importe quoi — à l’exception peut-être d’un cassoulet ou d’une paëlla (dans des barquettes sous plastique datant de 2008).
Puis, telle la chenille devenant papillon (ou le silicone devant sonde urinaire), l’étudiant en médecine devient externe, s’approche au plus près du champ (stérile) de bataille. Ses actions sont beaucoup plus variées. Certes, il doit rester debout, développer des phlébites, faire encore pour certain(e)s des malaises vagaux… mais avant tout, il peut/doit interagir avec le bloc en préparant la table, en s’habillant comme les grands, en se demandant ce qui est autorisé de faire ou ce qui risque de faire perdre une demi-heure à tout le monde. Et bien sûr, comme il est aussi aide opératoire, il doit distribuer les instruments au chirurgien qui les réclame de sous son masque…
S’habiller en stérile, c’est d’abord être propre. On porte la même tenue verte, le même bonnet/cagoule/calot/charlotte qu’avant, les mêmes surchaussures… Mais cette fois, il faut en plus se nettoyer les ongles, se laver les avant-bras au savon, rincer, se sécher en tamponnant sans rien toucher (attention au robinet, là… ah zut, recommence), puis ajouter une Solution Hydro-Alcoolique (alias SHA) jusqu’au coude, et enfin remettre une deuxième couche de SHA pour tuer les derniers microbes qui auraient la saugrenue idée de rester accrochés. Après ça, nos mains sont considérées comme… sales. Evidemment. Donc maintenant votre « missssion » est d’entrer dans le bloc sans rien toucher (pour ne pas les souiller encore plus).
Le bloc, c’est un endroit froid, vaste, avec une table, un patient, pleins de câbles et de machines qui font bip-bip pour amuser les anesthésistes, une infirmière qui ramène ses 12 caisses de matériel Black & Decker (de contenu stérile), des « scialytiques » qui apportent une grosse lumière toujours mal orientée pour le chirurgien (par votre faute), et plein de gens habillés en bleu ou en vert, sous leurs masques/charlottes qu’on salue pour la 4ème fois de la journée (« on se connait ? ah, on a passé un bloc de 6 heures hier ensemble ? »)
Ensuite, on doit enfiler la casaque au-dessus de la tenue verte, pour avoir plus chaud, et être super stérile. Il y a une méthode spéciale pour la prendre sans toucher l’extérieur et la mettre par devant, avec l’infirmière qui vous la noue par derrière (comme un tablier chez le coiffeur, mais théoriquement avec moins de cheveux grâce à la charlotte). A ce moment, elle vous tend les gants qu’il faut tenter de mettre sur vos mains encore imprégnées de SHA, tout en prenant garde de ne toucher que l’intérieur avec nos mains impures. Généralement, on s’y prend comme un manche au début et les doigts ne correspondent pas d’emblée au gant, ce qui donne lieu à des séances ridicules de torsions de main sans trop tou… « Ah, t’as touché, j’t’ai vu, t’as perdu, remets une autre paire ».
Une fois les gants (presque) positionnés, retour sur la casaque (qu’on peut maintenant effleurer)… Là, il y a le piège des deux lanières qui sont sensées faire le tour de notre taille comme une ceinture. L’infirmière vous demande de lui « tendre celle sur laquelle se trouve le carton, en ne touchant que la moitié verte, puis de tourner sur vous-même et nouer le tout »… Sauf qu’avant de s’auto-transformer en paquet cadeau, le plus dur est de trouver le bon côté : car le carton tient les deux lanières ensembles, et on tend systématiquement la mauvaise à l’infirmière (par conséquent, les lanières tombent pitoyablement sur notre flanc, les rendant définitivement non stériles (si si), et on se retrouve avec une pince tenant les deux pans de notre casaque, et qui pend dans le bas du dos pour remplacer ces lanières qu’on a vilainement souillées).
A noter qu’il existe des frontières imaginaires sous notre nombril ou au-dessus des mamelons, au-delà desquelles vivent moult colonies de microbes qui se ruent sur nos gants dès qu’on les franchit. La chirurgie c’est le meilleur moyen de développer un syndrome d’Ekbom.
Préparer la table, c’est déballer certaines caissettes à instruments chirurgicaux, et installer le champ. Mais attention, pas comme un goret. Globalement, ce qui est bleu est stérile, sauf parfois au-dessus des instruments, il faut toucher que ce qui est vert. Ou l’inverse. Et c’est parti pour une longue dissertation avec soi-même : « si je touche ce papier vert qui entoure les instruments, est-ce que je vais tout déstériliser, est-ce qu’il faudra le jeter, est-ce que je vais retarder le bloc de 10 minutes ? Et si je ne le fais pas, est-ce que ça ne va pas retarder le bloc, et est-ce que je ne vais pas passer pour un boulet ? Je suis un boulet ».
Enfin, et surtout, l’externe est souvent l’aide-opératoire, qui doit tendre les instruments… C’est plaisant sur le papier, mais en vrai, on ne connait rien à la chirurgie, sauf les mots-clés qui seront côtés aux ECN (du 30 mai au 1er juin, merci), à savoir : laparotomie, exploration, prélèvements bactériologiques, résection, vérification de la vitalité des anses, suture, résection, curage ganglionnaire, envoi en anatomo-pathologie (Pas Mis Zéro, alias PMZ), rangement soigneux, fermeture plan par plan, compter les compresses, jeter son masque à la poubelle, aller faire pipi, boire un café avant le bloc suivant.
Les études c’est joli, mais en vrai, le chirurgien sous son masque déformant sa voix (et sous la ventilation parfois), ne vous dit jamais « on fait l’exploration ». Non, il vous dit « feele-moua la pinche Mayo ». Celle dont vous a parlé vaguement il y a trois jours, en vous citant le nom et prénom des 43 autres pinces et ciseaux qui se ressemblent comme des jumeaux (pour un oeil non averti).
Vous savez maintenant toute la vérité sur les blocs…
Merci à http://www.hygiakit.com/ et à http://www.wemed1.com pour les images. Merci à Mathilde pour la relecture et les corrections, faites sur mon vieux PC (Windows 98SE, Firefox 2.0, Internet Explorer 6...) Pour en savoir plus sur les blocs opératoires et les erreurs des séries TV, je vous conseille ces strips sur le blog "Tu mourras moins bête" de Marion Montaigne.
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