Je crois que mon premier souvenir remonte à l’âge de mes quatre ans. Je suis dans la salle de bain de ma grand-mère, résidence Salvator Allendé (un médecin chilien, président entre 1970 et 1973), la télévision est allumée et diffuse une scène de tribunal. Je demande à ma grand-mère si ce sont mes parents qui divorcent. En fait j’avais trois ans d’avance sur le jugement, qui ne fut ni publique ni télédiffusé… Dans le même appartement, je me souviens de mon oncle venant jouer au tiercé autour d’un café le dimanche, de mon coffre à jouets, de la frousse que le terrible Père Lulute soit derrière le rideau de la fenêtre (au troisième étage) le matin au réveil, de ma mère qui me rince les cheveux tandis que la télé cathodique diffuse Canal + en clair un samedi, et enfin de ma chute du lavabo dans lequel ma grand-mère me lavait. La dispute qui s’en suivit fit que je n’y suis pas retourné pendant plusieurs années (dans l’appartement, pas le lavabo).
Un autre souvenir marquant, c’est à la maternelle. J’ai tellement pleuré pour ne pas y aller que je n’y suis entré pour ainsi dire qu’à quatre ans et demi, en 1991-1992. J’ai quelques petits flashs sur les gommettes, les peintures au jet de pinceau, la séance de photo sur le toboggan… Un jour, pendant la lecture de la maîtresse Mme W. je montre la tranche d’un livre à un camarade de classe et lui dis avec le sérieux d’un notaire constipé « là c’est écrit : le mou-lin-bl-eu ». Une minute après, je suis sur les genoux de Mme W. qui me fait lire le livre en question. Plus tard, j’ai refait mon intéressant en CE2 (en connaissant la dictée par cœur à la fin de la lecture par l’instituteur), en 4ème (en explosant tous les records du collège au Tetris en classe de technologie, avec l’aval du professeur bien sûr) et en 1ère (en reprenant cinq ou six fois le prof sur sa démonstration de résolution de l’équation de second degré – rapport à la fatigue de sa paternité nouvelle, il a quand même eu l’agrégation de mathématiques dans l’année, j’étais un Mickey à côté). Depuis, je n’ai plus jamais eu l’occasion de briller. Je suis devenu un terne.
Pour revenir à ma lecture relativement précoce, le mérite revient surtout à ceux qui m’ont donné l’envie d’apprendre, en me lisant des histoires ou en m’initiant à la lecture syllabique (sans tenir compte de la mode entre 1980 et 2006 pour la méthode globale) . Je me souviens d’ailleurs que juste avant de lire « le mou-lin-bl-eu », mes cousins m’avaient appris la prononciation de quelques syllabes chez ma grand-mère, après avoir couru dehors, vidé mon coffre à jouets en bois (plein à craquer, comme tout fils unique qui se respecte), et s’être amusés avec ma gigantesque toupie bourdonnante.