Je ne sais pas quoi raconter. J’ai l’impression qu’il ne m’est jamais rien arrivé, alors que d’autres amis sont capables de raconter en moyenne 3 événements marquants par garde. Je devrais avoir des centaines de choses en mémoire… Mais non : rien.
Il faut dire qu’en médecine, peut-être encore plus que dans d’autres métiers, il y a une scission entre les poissards et les autres.
Les malchanceux sont facilement reconnaissables dans un service hospitalier : ils se plaignent de n’avoir pas dormi, d’avoir eu la pire garde de la décennie, d’avoir dû faire plusieurs transferts en réanimation, et de toute façon « c’est toujours comme ça, j’ai une poisse monumentale ». (J’en ai déjà parlé ici, souvenez-vous !)
Des internes et chefs relaient leur légende en expliquant qu’effectivement, toutes les misères arrivent sur cette même personne. Certains érudits évoquent la loi de Murphy. Et finalement s’entretient et s’écrit le mythe de ces médecins persuadés (et persuadant) d’attirer les ennuis.
Analysons ce phénomène de société qui défie le bon sens.
Les poissards ont généralement des origines marseillaises. Quand ils se lèvent le matin après une nuit de 9 heures de sommeil, ils n’ont dormi que quelques heures. Leur petit-déjeuner est un combat épique contre l’entité « Cuisine ». Il ne leur arrive pas de faire tomber un demi-pain au chocolat dans leur lait : ils sont générateurs de lactotsunamis boulangièrement induits. S’ils ont une coupure d’eau (comme j’en avais une par semaine en résidence universitaire pendant 7 ans), c’est juste un acharnement supplémentaire du sort sur une journée déjà fichue (et d’ailleurs c’etait LE jour où il fallait de l’eau, les 364 autres jours de l’année c’aurait été rien mais pas CE jour quoi !) Quand ils arrivent en retard, là où quelqu’un de rationnel décrira un bouchon, les poissards parleront plutôt d’une file de voiture incroyable qui n’avançait pas pendant des heures (en plus aujourd’hui, quoi ! AUJOURD’HUI !)
Du coup, là où un interne va conclure « shit happens » parce qu’il a dû organiser un transfert en SAMU à l’autre bout de la région pour une suspicion d’embolie gazeuse à 8h23, 7 minutes avant la fin de sa garde de 24h, le poissard s’étonnera d’avoir dû transférer en réanimation un patient dont il est écrit dans le dossier « transfert en réanimation prévu si problème ».
Les poissards oublient que la loi des grands nombres et autres lois normales permettent une répartition homogène des malheurs en garde sur tout le monde (dans une population homogène et un lieu donné, si vous bossez au fin fond du Cambodge, vous ne pouvez pas comparer vos conditions à un centre hospitalier français).
Être convaincu du contraire fait de soi un médecin anti-cartésien.
Mais sûrement un sacrément bon blogueur !
Je ne suis pas médecin et je ne fais pas de garde, Mais ! Lors d’un de mes stages infirmiers en médecine gériatrique, nous étions deux étudiants sur la même durée de stage, et nous étions toujours en planning inversé. En quatre semaines de stage, j’ai « eu » sept décès. Lui, zéro.
Alors c’est sûr que c’est pas une loi absolue, mais quand même, des fois, on a l’impression que le sort s’acharne…
PS : je ne suis pas marseillaise 😉
Oui mais sur un nombre de gardes inférieur à 30 ce n’est plus une loi des grands nombres et là, je ne réponds plus de rien 😀
Mais c’est surtout parce que je ne suis pas dans la catégorie des gens qui sont/se considèrent malchanceux – même s’il m’arrive fréquemment d’avoir affaire à des ennuis mineurs de programmation d’examens, de patients plus ou moins graves – et du coup, je n’ai rien pour alimenter ce blog ^^