Cet après-midi, j’ai proposé un petit quizz sur Twitter : « quel signe fait pencher la balance vers un infarctus devant une précordialgie atypique, sur cette photo de Nicolas Sarkozy ? »
(J’ai cherché une personnalité française qui présentait ce signe. Ne voyez aucun attachement politique à la droite française, merci).
Quelques Twittos se sont prêtés au jeu (merci @totomathon, @thoracotomie, @outamal, @module5, @tivrest) avec des réponses parfois amusantes, évoquant par exemple avec une ironie certaine le « profil marfanoïde » du patient… 😀 (le syndrome de Marfan est une anomalie d’une des protéines du tissu conjonctif, qui maintient les cellules entre elles dans tout le corps. Classiquement, les patients sont grands et longilignes… Le Général De Gaulle avait peut-être un Marfan, mais pour Nicolas Sarkozy, le doute est quand même moindre.)
La bonne réponse ici se trouve au niveau de l’oreille de l’ancien président. Regardez le pli cutané vertical sur le lobule : il s’agit du signe de Frank (diagonal ear-lobe crease), décrit pour la première fois en 1973, puis en 1974 par Lichstein(1).
L’existence de ce signe est associée à un marqueur de vieillissement accéléré (diminution de taille du télomère), menant à l’athérosclérose(2). Il serait dû à une ischémie chronique locale, entraînant une rupture et une désorganisation de fibres élastiques, associé à un épaississement de l’intima des artérioles(3).
Il a été significativement associé à une athérosclérose coronaire dans une série de 800 autopsies (p < 0,01)(4). Une étude de cohorte réalisée chez 120 patients retrouvait une augmentation significative de la morbi-mortalité cardiovasculaire chez les patients présentant un pli cutané auriculaire (multiplication par un facteur 3 chez les patients ayant un antécédent de pathologie coronaire et par un facteur 8 environ chez ceux n’ayant pas d’antécédent coronarien)(5).
Une étude diagnostique sur 1444 patients présentant ou non une pathologie artérielle coronaire (définie par une sténose de plus de 70% du diamètre coronarien à l’angiographie) trouvait une sensibilité du pli cutané auriculaire de 65%, une spécificité de 72%, une valeur prédictive positive de 42% et une valeur prédictive négative de 87%(6). Ces valeurs prédictives étaient cliniquement moins intéressantes dans une autre étude germanique sur 670 patients, sur le même critère de jugement principal : respectivement 55% et 44%(7). La présence du pli cutané était dépendant de l’âge, du surpoids et de l’uricémie, dans cette dernière étude.
Dans le cas où le pli est bilatéral, une étude analytique sur 415 patients ayant bénéficié d’une coronarographie retrouvait une sensibilité de 51%, une spécificité de 84%, une valeur prédictive positive de 89% et une valeur prédictive négative de 41%(8). Une autre étude sur 104 patients âgés de 30 à 80 ans notait une sensibilité de 61%, une spécificité de 78%, une valeur prédictive positive de 71% et une valeur prédictive négative de 69%(9).
Une autre étude trouvait une sensibilité et une spécificité proche de 100% avant 40 ans, et une décroissance de la spécificité avec l’âge. Toutefois, le critère de jugement principal comprenait un ECG, sans angiographie systématique, contrairement aux études précédemment citées(10).
Dans une étude cas-témoin portant sur 1554 hommes de moins de 60 ans, le pli cutané auriculaire était associé à un infarctus myocardique avec un risque relatif de 1,37 (IC95% [1,25-1,5])(11), cliniquement proche de la présence d’une pilosité sur le torse ou d’une alopécie androgénique.
Au-delà de l’athérosclérose, une récente étude vient de montrer un lien entre la présence du signe de Frank et une diminution statistiquement significative des index de pression systolique (1,02 +/- 0,12 vs 1,11 +/- 0,08, p < 0,001). L’âge et la présence du pli étaient des facteurs prédictifs indépendants d’anomalie des IPS. Il est probable que le pli cutané soit un facteur confondant, partageant les mêmes facteurs de risque que la diminution des IPS(12).
Au total, le signe de Frank a une VPP proche de 50-55% et une VPN entre 65-70%. Une méta-analyse des études sus-citées permettrait de mieux utiliser ce signe clinique. Il ne doit pas être trop rassurant ni trop inquiétant, car sa valeur diagnostique est faible. Sa place dans une démarche diagnostique mériterait d’être étudiée : il pourrait par exemple faire discuter la réalisation d’index de pression systolique en cas d’apparition précoce avant 50 ans, ou en cas de bilatéralité…
Qui est partant pour une étude ? 😉
BIBLIOGRAPHIE
1. Lichstein E, Chadda KD, Naik D, Gupta PK. Diagonal Ear-Lobe Crease: Prevalence and Implications as a Coronary Risk Factor. New England Journal of Medicine. 1974;290(11):615–6.
2. Higuchi Y, Maeda T, Guan J-Z, Oyama J, Sugano M, Makino N. Diagonal earlobe crease are associated with shorter telomere in male Japanese patients with metabolic syndrome. Circ. J. 2009 Feb;73(2):274–9.
3. Lichtstein [Internet]. [cited 2013 Mar 28]. Available from: http://www.ammppu.org/semeio/lichtstein.htm
4. Cumberland GD, Riddick L, Vinson R. Earlobe creases and coronary atherosclerosis. The view from forensic pathology. Am J Forensic Med Pathol. 1987 Mar;8(1):9–11.
5. Elliott WJ, Karrison T. Increased all-cause and cardiac morbidity and mortality associated with the diagonal earlobe crease: A prospective cohort study. The American Journal of Medicine. 1991 Sep;91(3):247–54.
6. Tranchesi Júnior B, Barbosa V, de Albuquerque CP, Caramelli B, Gebara O, Santos Filho RD, et al. Diagonal earlobe crease as a marker of the presence and extent of coronary atherosclerosis. Am. J. Cardiol. 1992 Dec 1;70(18):1417–20.
7. Kuon E, Pfahlbusch K, Lang E. [The diagonal ear lobe crease for evaluating coronary risk]. Z Kardiol. 1995 Jul;84(7):512–9.
8. Evrengül H, Dursunoğlu D, Kaftan A, Zoghi M, Tanriverdi H, Zungur M, et al. Bilateral diagonal earlobe crease and coronary artery disease: a significant association. Dermatology (Basel). 2004;209(4):271–5.
9. Lamot SB, Lonegro GG, Hernández M, Lamot JM, Lapresa S, Sobrino E. [Diagonal earlobe crease, a sign of coronary artery disease]. Medicina (B Aires). 2007;67(4):321–5.
10. Kuri M, Hayashi Y, Kagawa K, Takada K, Kamibayashi T, Mashimo T. Evaluation of diagonal earlobe crease as a marker of coronary artery disease: the use of this sign in pre-operative assessment*. Anaesthesia. 2001;56(12):1160–2.
11. Mirić D, Fabijanić D, Giunio L, Eterović D, Culić V, Bozić I, et al. Dermatological indicators of coronary risk: a case-control study. Int. J. Cardiol. 1998 Dec 31;67(3):251–5.
12. Korkmaz L, Ağaç MT, Acar Z, Erkan H, Gurbak I, Kurt IH, et al. Earlobe Crease May Provide Predictive Information on Asymptomatic Peripheral Arterial Disease in Patients Clinically Free of Atherosclerotic Vascular Disease. ANGIOLOGY [Internet]. 2013 Feb 28 [cited 2013 Mar 28]; Available from: http://ang.sagepub.com.doc-distant.univ-lille2.fr/content/early/2013/02/27/0003319713479651
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