Ne nous leurrons pas : presque personne n’aime les jeux-concours.
Nous y participons uniquement à cause de quelques pensées magiques qui persistent. Pour avoir une vie heureuse (et de bonnes notes à l’école), habituellement, nous ne passons plus notre temps à marcher sur les bords des trottoirs en évitant les lignes, ni à sauter entre les lignes blanches des passages piétons. A la place, nous avons une fève dans notre porte-monnaie, un fer à cheval dans notre grange ou un quelconque rituel à base de sacrifice de noisettes (mais c’est plus rare quand même, depuis l’avènement des pâtes à tartiner, qui règlent le problème).
Et parfois, nous glissons un bulletin de jeu-concours dans une urne déjà remplie, dans l’espoir qu’il soit choisi en fin de semaine. Si on lit bien les conditions, en latin, codées selon le code Enigma et aisément lisibles au microscope électronique sous un éclairage optimal, on se rend compte que la sélection hebdomadaire ne permet pas de partir : elle permet seulement d’être dans le tirage au sort mensuel, qui déterminera les heureux élus du trimestre, parmi lesquels un participant remportera le beau voyage dans un pays chaud vanté par ledit bulletin.
Du coup, nous ne partons pas bien loin avec un bulletin de participation… Mais parfois…
Les études de médecine commencent comme un jeu-concours pour « le voyage de votre choix ». Vendeur, et bien évidemment menteur. C’est en fait une offre soumise à condition, dans la limite des stocks disponibles.
Au moment précis où le lycéen glisse dans l’immense urne des études supérieures son petit bulletin de participation, il déborde d’espoirs statistiques. Après tout, combien de voitures, combien de voyages aux Seychelles ou de lave-vaisselles n’ont pas été gagnés en vingt ans ? Il y a un moment où, à force de persévérance, tout le monde gagne. Et effectivement, à la fin de la première année (P1 ou PACES), certains sont ravis d’apprendre que travail (et un peu chance) ont payés : ils ont été sélectionnés et peuvent se mettre à rêver du voyage qu’ils vont entreprendre.
Très vite, le carabin décide de préparer son bagage. Il est rare qu’un P2/MED-2 sache où il veut aller ensuite : partira-t-il en campagne, en ville, seul ou en voyage hospitalo-organisé ? Fera-t-il de l’humanitaire, restera-t-il dans sa région ? Fera-t-il de la recherche, sera-t-il guide, sera-t-il un touriste respectueux ou un sauvage urinant sur les monuments célèbres ? A ce stade, les étudiants n’ont toujours pas lu les petites conditions de bas de page, et ne savent pas exactement à quel niveau du jeu-concours ils en sont — ils ignorent notamment tout de l’étape finale, cinq ans plus tard, qui décidera en grande partie pour eux. Mais peu importe où ils partiront, certaines choses sont indispensables et doivent faire partie de leur bagage minimal…
Evidemment, faire la valise pour un voyage inconnu n’est pas facile. C’est pourquoi les étudiants sont aidés par leurs maîtres, qui ont déjà eu le loisir de partir, et/ou leurs livres ou ceux de leurs disciples, eux-mêmes en train d’organiser leur propre voyage. Oui, c’est compliqué la médecine, mais vous avez déjà préparé une valise ?
Derrière l’étudiant affairé à essayer de ranger son bagage, les Maîtres proposent certains éléments indispensables. Il leur est inimaginable de partir sans un nécessaire de toilette, des sous-vêtements, des vêtements, une trousse à pharmacie, un fer à repasser, des bouquins, un appareil photo, une montre, une crème solaire… Certains ont des lubies un peu farfelues et recommandent de s’embarquer avec un tableau de pin’s collector, un annuaire téléphonique de 1967 ou un single des Worlds Apart, parce que tout ça a déjà servi et peut encore resservir, sait-on jamais.
Au terme de l’externat, pour passer les ECN (gloups), la valise est enfin prête : belle, pleine à craquer, bien rangée. Evidemment, il y a quelques éléments qui ont dû être laissés sur le côté : d’années en années, on oublie un peu cette sémiologie, cette physiologie, cette pharmacologie qui nous semblaient si indispensables au début, et on essaie d’en retenir ce qui nous semble important. A la place, nous n’oublions pas la moustiquaire, le répulsif et notre carnet de vaccination.
Puis après avoir fini la dernière phase du jeu-concours (les ECN donc), maintenant qu’il sait à peu près où et quand il va partir en voyage (à peu près, hein…), l’étudiant apprend d’autres choses… Il rouvre sa valise, qui expulse des vêtements de partout, et au milieu de tout ça, l’étudiant essaie d’y insérer des éléments psychologiques, sociaux, des comportements à avoir avec les autres voyageurs et les peuples locaux qu’il rencontrera lors de son périple.
Et il rencontre d’autres maîtres, qui se défient d’être des maîtres (déjà c’est mal barré). Ils lui proposent de supprimer de la valise tout ce qui pourrait lui causer des soucis. Certains sont raisonnables, d’autres sont des extrêmistes du risque : « ne mets pas la moindre pointe effilée dans ta valise, ça pourrait sonner à l’aéroport, même s’il y a 1 chance sur 10 000 : imagine que tu traverses 10 000 portiques ! (Tiens, par contre, n’hésite pas à reprendre un somnifère si tu as peur en avion). »
Maintenant que l’étudiant a supprimé le potentiellement dangereux, on lui explique qu’il devrait ne garder que le vraiment utile… Et d’ailleurs, ça serait bien qu’il apprenne à faire sa valise lui-même. Après tout, peut-être que tout ce qu’il a mis là-dedans est inutile et uniquement le produit d’aberrantes publicités. A-t-il seulement vérifié que les vêtements lui allaient encore, s’accordaient bien, étaient encore à la mode ? Certains vont plus loin : est-ce validé de prendre un appareil photo numérique ? Les photos seront-elles revisionnées par la suite ? Est-ce que ce revisionnage améliora la durée ou la qualité du voyage ? Evaluons tout !
L’étudiant n’a pas encore ses papiers bien à jour, il n’est pas sûr de pouvoir aller là où il souhaite, ni quelles excursions il aura le droit de faire, et on lui explique que son bagage pourrait être mieux rangé. Il aurait été plus simple de continuer à marcher sur le bord des trottoirs en évitant les lignes…
Du coup, là, en plein milieu de son internat, l’étudiant se retrouve debout, dans sa chambre, avec une valise éventrée à ses pieds. Il y a tout et n’importe quoi à l’intérieur. Rien n’est complet, certaines paires de chaussettes sont complètement dépareillées, certains éléments sont à moitié dans la valise et à moitié à l’extérieur. Il aimerait bien avoir à nouveau une belle valise bien remplie comme pour les ECN, mais il n’en a plus ni le temps ni la motivation. Il a envie de la remplir de ce qui lui plait, d’y remettre sa sémiologie (qui a dû disparaître en-dessous du lit), une bonne paire de physiologie et de physiopathologie (qui doivent traîner près d’une revue laissée sous blister).
Et puis, enfin… enfin… partir.
Enfin, l’interne ne se fait plus beaucoup d’illusions : les études de médecine sont une longue préparation à un voyage qui n’aura jamais lieu.
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