Bon, voilà. Je devais avancer ma thèse. M’épanouir dans diverses activités. Et puis j’ai lu le communiqué de presse de l’AIMGL du jour.
Dedans, j’y lis que l’Association des Internes de Médecine Générale de Lille « ne peut plus décemment recommander aux étudiants ayant passé les ECN de venir faire leur internat (de médecine générale) à Lille ».
Hein ?
Il faut y lire quoi dans cette phrase ?
Que nous sommes malheureux, opprimés ? Mon internat se passe très bien, je vous remercie. Je considère l’internat de médecine générale comme l’un des plus intéressants qui soit. J’ai survécu à mon stage d’urgences, j’ai aimé mon stage au CHU, j’ai adoré mon stage chez le praticien, j’apprécie mon stage de gynéco-pédiatrie. Deux années au poil. J’ai rencontré des patients, des médecins, des internes, des externes et des équipes médico-paramédicales géniaux (sans faire de démago, vraiment, j’ai plutôt de bons souvenirs de mon internat en cours). J’ai pu co-publier un article, j’ai donné des conférences auprès de la fac : on a fait pire, comme interne opprimé.
Que notre stage au CHU est une torture obligatoire alors qu’on serait si bien en périphérie, là où nous sommes indispensables dans le respect des conditions démographiques ? Là où je suis en périphérie, ce sont quelques médecins qui manquent parfois mais pas les internes… Surtout pas l’été ! Ailleurs, c’est peut-être différent, mais il faut aussi en chercher les raisons (si l’équipe médicale est détestable, ça peut arriver que les internes boycottent le stage, oui). Il faudrait ouvrir d’autres stages dans des PMI ou d’autres réseaux, mais l’ouverture d’un poste… mon Dieu, c’est quelque chose de très compliqué, qui ne dépend certainement pas que du Doyen…
Et pour la « torture du CHU » qu’on lit ici et là, pour info, mon stage au CHU a sûrement été l’un des deux plus formateurs, parce que dans un service qui me plaisait, au moment où je le souhaitais. C’est bien de quitter la périphérie pour 6 mois, rencontrer des internes d’autres spé, voir du 3ème recours, rencontrer des gens qui font de la recherche, se demander quotidiennement ce qui a fait que le médecin traitant a agi ainsi et pas autrement (ce qu’il a raté ou au contraire, ce qu’il a su voir). Le CHU n’est pas l’anti-thèse de la médecine générale, il en est un vieil ami lointain. Alors certes, le CHU est obligatoire à Lille sûrement pour remplir les services mais si on ne le vit pas comme une punition, et si on choisit un domaine qui nous plait (neuro, pneumo, cardio, psy, gériatrie, maladies infectieuses…), il y a vraiment moyen d’y apprendre beaucoup et, j’oserais même dire, de s’y amuser. Pas pour quitter la médecine générale, mais pour y revenir avec des idées élargies sur la médecine en générale, ce qu’il faut et ne pas faire, etc.
Que la mésentente entre l’équipe du Département de Médecine Générale de Lille et l’équipe du Doyen de Lille retentit sur nous quotidiennement ? J’en ai entendu parler à de nombreuses reprises, peu du côté du Doyen (par manque de contact vu que je ne suis pas dans l’association) et souvent du côté des MG. J’ai entendu parler des différentes attaques, j’ai assisté aux grèves-ripostes. Oui, il y a mésentente. Non, ça ne change rien à l’ambiance ou la vie des internes.
Que le « refus de nomination d’enseignants-chercheurs » fait défaut ? Sur 2 promos, nous sommes une dizaine à nous être plus ou moins positionnés avec un désir de poursuivre une carrière universitaire en médecine générale. Allez, à la louche, je vous le fais à 20 sur 400 étudiants, soit 5% des étudiants. A côté de ça, dans toutes les autres spécialités, c’est quoi : 30, 50, 80 % ? Les gens s’arrachent le post-internat, font des mains et des munsters qui sentent les pieds pour décrocher un poste. Ce n’est pas pour rien que les PU ont une « le goût de la compétition, l’envie de faire plus vite et mieux que les autres » comme dit PerrucheAutomnale. Mais ça, c’est dans les autres spés… En médecine générale, c’est 5% de la promo actuellement. Donc ce refus de nomination, la plupart des internes le regarde avec un sac de pop-corn à la main.
Que les nominations des enseignants traîne ? Je veux bien le croire, et je compatis sincèrement pour en connaître certains. Mais honnêtement, sur les internes, quel est l’impact ? Savoir que le prof en face de nous est un associé et pas un titulaire change-t-il vraiment quelque chose à la qualité du cours ?
Que l’aide financière des SASPAS en zone sous-dotée nous manque ? Alors qu’en SASPAS, après 6 années à vivre avec 200€/mois max, puis 2 ans d’internat à 1500-2000€ par mois, le fait de ne pas recevoir une prime pour aller exercer à Maubeuge ou Boulogne-sur-mer est un scandale qui doit nous inciter à changer de région ? Je ne dis pas, hein, je la voudrai bien la prime quand j’irai en SASPAS à Boulogne le semestre prochain… Ca me paiera mon train. Mais je peux vous le dire, quand même : si je n’ai pas cette prime supplémentaire pour mon stage de 3 jours/semaine, en cabinet, sans garde obligatoire, avec possibilité de remplacer à la maison de garde à côté, croyez bien que je n’irai pas râler. Le beurre me suffit, je veux bien laisser un peu l’argent. Et puis je ne râlerai pas non plus, en pensant à mes collègues internes hospitaliers, qui seront à l’hôpital de Boulogne pour un stage obligatoire vaguement choisi, qui n’auront pas la prime, ni le quart de mes avantages.
Que la qualité de la formation est dégradée ? Parce que j’ai raté 3-4 cours qui n’ont pas été remplacés ? Attendez, je voudrais quand même qu’on m’assure qu’on parle des cours où à chaque fois que le prof compte les signatures, il y a 3-4 noms fictifs… Ah non, c’est ça ET le tutorat supprimé, qui empêche les internes de s’épanouir dans leur portfolio.
Bullshits.
Le portfolio, personne n’aime ça. Enfin, si, peut-être 5 ou 10% de la promo. Les anormaux de la courbe de Gauss. Pour les autres, ils pensent comme Jaddo ou au mieux, les parodient comme moi. Alors certes, votre portfolio sera parcouru. Il ne sera pas admiré avec amour pendant des séances de tutorat, mais franchement qui va s’en plaindre ? Et puis d’ailleurs, le principe de la formation, ce n’est pas la REFLEXIVITE ? Le passage du paradigme d’enseignement à celui d’apprentissage, où l’interne est sensé se développer par lui-même ? Sans tuteur…
Donc non. Désolé, non. J’aime bien Perrine, j’aime bien l’AIMGL, mais non. Faites médecine générale dans le Nord. Vous y serez comme ailleurs, voire mieux. L’équipe professorale est sympa, ouverte, dynamique et très accueillante. Ce n’est pas partout le cas, y compris au nord de Paris et au sud de Lille (suivez mon regard). A Lille, vos patients seront sympas, auront des pathologies variées. Vous verrez de la psychiatrie, de l’addictologie (troll inside), de la pédiatrie, de la gériatrie… Vous aurez du travail plus tard. Peut-être pas universitaire mais sûrement que vous vous en fichez ! Et puis, si vous voulez de l’universitaire, eh bien, vous l’aurez peut-être. Les temps changent, c’est le sens et le but du billet de l’AIMGL. Mais pourquoi alors ne pas dire qu’à Lille, vos co-internes seront cool, et bosseurs, et vous serez proche de la mer, et que vous aurez peut-être même du soleil dans le ciel en plus de celui dans vos cœurs ?
V’nez tous à not’ baraque !
(Jusqu’au bout, j’ai failli éviter les deux derniers clichés Ch’ti du soleil dans le coeur et de la baraque, mais je vous voyais, déçus, guettant l’écart qui jamais n’arrivait, la mine déconfite. Vous voilà satisfaits, j’espère.)
(Ce billet a été écrit en extérieur, sans matériel de survie en milieu polaire).