Cas clinique. Les non-médecins ont le droit de jouer, c’est même plus drôle.
Jeannette a 7 ans. Elle va bien. Sa soeur va bien. Son frère va bien. Ses parents vont bien. Le seul être vivant malade à proximité est le chien du voisin, avec lequel elle ne partage finalement que peu de « matériel génétique ».
Pour Jeannette, depuis cet été, les lundis, c’est piscine. Elle y va avec son cousin et sa tante, elle commence à savoir nager en battant frénétiquement de ses deux bras allumettes dans l’eau. Aujourd’hui, elle y arrive un peu fatiguée, après avoir repris l’école et le sport scolaire. En sortant, vers 19h, elle déclare avoir faim – ce qui semble plutôt un signe de bon fonctionnement de son hypothalamus. Dans la voiture, enchaînant les virages à vive allure, elle dit « ne pas se sentir bien », et la maman constate en effet une pâleur et des sueurs. Jeannette bâille beaucoup, se sent nauséeuse, a mal à la tête… Tout ça passe dès que Jeannette met le pied hors de la voiture…
Le lendemain, elle présente un épisode tout à fait similaire, dans des circonstances différentes. En effet, revenant de son heure et demie d’équitation, à nouveau bringuebalée dans la voiture, Jeannette dit avoir faim, est pâle, a des sueurs froides.
La maman, étonnée de ces deux épisodes, décide de consulter le Docteur David. Celui-ci émet les hypothèses relativement valables que ça soit dû à une petite anémie, un problème de calcium ou de régulation de la glycémie. Il demande donc un équivalent de la classique triade « NF, chimie, iono » apprise dans les meilleurs épisodes d’urgences (et uniquement dedans, puisque chimie ça ne veut juste rien dire, ou éventuellement d’appeler le laboratoire de biochimie dont l’activité principale est justement le iono…)
Le mercredi, tout se passe bien. Jeannette mène sa petite vie normale sans savoir qu’un terrible drame se trame à son encontre. En effet, pendant que Jeannette unit par des liens sacrés Barbie et Buzz l’éclair (suite à leurs divorces respectifs d’avec Winnie l’ourson et Rainbow Dash), sa maman, complotiste, appelle l’infirmier pour qu’il passe le lendemain « faire une prise de sang » à la pauvre et jeune marieuse.
Le jeudi matin, l’infirmier vient donc naturellement au domicile. D’office, il montre ses talents en bourreautique. (J’ai honte). Jeannette, à jeun pour l’occasion, assiste impuissante à la trituration de sa veine par le jeune infirmier apparemment « non habitué à d’aussi petites veines » selon ses propres mots. Après un premier échec, il repique Jeannette qui, comble de l’ironie, refait le même « malaise » que les deux pour lesquels elle se faisait présentement prélever du sang.
Suite à ce troisième épisode, la maman décide de reconsulter le Docteur David le lundi. Malgré la normalité du bilan biologique et les trois jours sans récidive du malaise, le médecin décide d’adresser Jeannette aux urgences pédiatriques afin qu’elle ait un bilan cardiaque.
Et là, j’ai beau savoir/vouloir me mettre à la place du médecin de ville qui a un rôle souvent difficile et fait de compromis, je ne comprends pas. Les parents étaient peut-être insistants pour avoir un deuxième avis ; soit ! nous ne sommes pas là pour faire de la rétention de patients et aller contre eux – les soins demandent parfois des efforts « bilatéraux », et le soignant doit savoir céder sur certains points pour avancer sur d’autres de temps en temps…
Mais juste, j’ai deux problèmes.
Le premier : il fait un bilan devant deux malaises. Ok. A ce moment, logiquement, dans sa tête ça doit être « bilan normal = pas grave ; bilan perturbé = je traite ou j’adresse à un autre médecin ». Pendant la prise de sang à jeun, l’enfant tourne de l’œil. Le bilan revient normal. Il conclut : « j’adresse à un autre médecin ». DONC pour le Docteur David, tourner de l’œil pendant une prise de sang à jeun, c’est grave. Monde de merde, dirait George Abitbol.
Le deuxième : pourquoi, ô pourquoi, l’adresser aux URGENCES ? C’est quoi le but ? C’est quoi le délire avec les urgences ? Urgences, ça veut dire urgent, ça veut dire « pimpon pimpon laissez passer c’est grave » (oui du coup, pour les constipations et les histoires de décalottage, ce n’est pas exactement le lieu adapté). Est-ce que quelqu’un a dit ou écrit qu’aux urgences, il y avait des grands génies du diagnostic qui passent leur temps à diagnostiquer des purpuras, des lupus, des sténoses du pylore ou des insuffisances surrénaliennes, tout en gérant les petites blessures, les problèmes de cacas, de toux post-rhinopharyngite avec un maestrio sans égal retrouvable ?
Que dalle ! Que. Dalle. QUE. DALLE.
Aux urgences, il y a un interne en pédiatrie ou (ahah) en médecine générale, qui va examiner tous ces enfants… et demander l’avis d’un pédiatre, en cas de doute. Là, entre l’interrogatoire (typique), les signes fonctionnels (aucun), l’examen physique (normal) et, cerise sur le gâteau du luxe, le bilan biologique déjà réalisé (normal), le doute n’était pas tellement permis. Confraternellement, j’ai fait un électrocardiogramme (normal), qui m’a permis de montrer la réalisation de cet examen à un étudiant infirmier, et son interprétation à un externe (oui, vous voyez, j’ai fait un compromis aussi).
Du coup, cet enfant a eu 1 visite médicale justifiée par la crainte des parents, suivie de 2 visites médicales parce qu’ils n’avaient pas été rassurés (46€), une prise de sang NFS, ionogramme sanguin, CRP globalement inutile aussi précocément (8,37 + 4,05 + 3,24) avec infirmier à domicile pas forcément indispensable (2,50€), et une visite d’urgence sans intérêt (environ 50€). Grand prince, j’ai évité de donner un coup de pelle supplémentaire dans le trou de l’assurance maladie en y ajoutant 13€ d’ECG.
Il faut dire qu’on avait déjà gaspillé 114€, soit plus que mon salaire de garde (ahah, bis repetita), pour que j’annonce à cet enfant qu’elle venait de faire trois malaises vagaux typiques dans la semaine précédente, survenus dans des situations d’une déconcertante banalité que tout le monde a déjà connu. Et je n’ai pas eu ce flash des génies du diagnostic, qui font dire : « eh non, en fait, c’était un insulinome sur un pancréas ectopique situé au niveau du creux du genou, sécrétant de l’insuline en quantité lorsque Jeannette s’assoit dans la voiture après un effort physique, et responsable d’hypoglycémies sévères, non retrouvé lors du bilan biologique qui avait été fait en position allongée ». Non, je suis resté sur le malaise vagal peu sexy.
Et si vous êtes sage, un jour je vous raconterai comment on a fait une scintigraphie ventilation-perfusion pour une jeune fille qui avait fait un malaise vagal et à qui avait été prescrit sans raison des D-dimères, alors qu’elle était enrhumée (et on pourra alors reparler ensemble de l’incohérence d’utiliser un examen comme un « prédicteur positif » quand sa valeur dans ce contexte est de 54%, soit l’équivalent de lancer une pièce de monnaie en l’air et dire « pile, c’est un malaise sur embolie pulmonaire, face c’est pas ça »). (Oui, ça coûte cher un malaise vagal).
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