J’ai fini mes gardes de pédiatrie et avec elles, possiblement mes gardes hospitalières !
Je sais que je ne réalise pas encore tout à fait — théoriquement je devrais être en train d’écouter When Johnny Go Marching Home en boucle.
Mais bon, ça viendra sûrement. En attendant, pour fêter ça, je vous aurais bien résumé mes nuits passées à l’hôpital — dont je garde de nombreux souvenirs — mais Jaddo l’a déjà écrit avec brio cette semaine. Du coup, à la place, je vais vous raconter les urgences pédiatriques. Je vais vous en dresser trois tableaux…
Le premier tableau, c’est le « chef-d’œuvre » de la garde. C’est la consultation que les internes se racontent au moment du passage du téléphone de garde : « eh, hier, j’ai vu un purpura (fébrile, thrombopénique, palmo-plantaire à parvovirus B19 ou autre) / un abcès pelvien sur appendicite / une invagination intestinale aiguë / une sténose hypertrophique du pylore / une ostéomyélite… » Je pourrais y ajouter ces éléments de consultation satisfaisants mais que je ne racontais pas ; j’essaie d’éviter d’être puéril en donnant l’impression d’accrocher des bons points sur un tableau de chasse.
Chacun ses petits plaisirs honteux.
Le deuxième tableau, ce sont les « croquis »… Des enfants qui reniflent (rhinopharyngite), qui toussent (bronchite), qui aboient (laryngite), qui se vident (gastroentérite). Ces consultations croquis représentent l’essentiel de l’activité aux urgences pédiatriques. Elles entraînent à l’activité de premier recours de la médecine de ville, à laquelle je me destine — sauf qu’en ville, c’est beaucoup plus intéressant d’en profiter pour faire du dépistage, de l’éducation, du suivi, parler du reste de la famille… Là, aux urgences, ça ne sert pas à grand-chose : bonjour, il a une maladie virale, on va donner du paracétamol, au revoir. Ça ne débloque même pas de points bonus — sauf peut-être la gastroentérite sur le tableau de chiasse.
Je m’amusais à râler en off sur le fait que ce n’était pas des urgences, mais en vrai, je n’ai jamais sermonné les patients pour tout un tas de raisons :
- les laryngites, coliques abdominales etc. peuvent impressionner : moi quand j’avais 37,9°C, ma mère appelait sa sœur pour savoir quoi faire, et m’amenait chez le médecin traitant le lendemain ;
- certains symptômes disparaissent avec le temps — la route jusqu’à l’hôpital guérit mieux que moi, c’est très vexant sans avoir à en rajouter ;
- on ne se rhabille pas à 3h du matin sans une bonne raison, même si elle est issue d’une croyance scientifiquement saugrenue (un jour prochain, je parlerai de cette barrière effroyable des 40°C ; 39,9°C ça va mais 40,1°C c’est les urgences direct, où l’enfant est admis pour « hyperthermie »… oh oui, définitivement, je vais blogposter là-dessus bientôt ^^’) ;
- avant de faire médecine, je n’y connaissais rien non plus et j’ai mis 3 ans avant d’enregistrer que paracétamol, doliprane, dafalgan et efferalgan étaient la même chose ;
- après 10 ans de médecine, je ne sais pas résumer les consignes devant amener à consulter un médecin : il y a la perte de poids, la persistance de la fièvre plus de 48h, mais aussi les signes de gravité (super, donc j’énumère ou bien ?), le changement de comportement ou l’altération de l’état général (ce qui ne veut pas dire grand-chose quand on est malade), ou… Non, honnêtement, je n’en sais jamais rien et je conseille de reconsulter s’il y a quelque chose qui inquiète les parents, après avoir tenté de les rassurer et les informer aux urgences sur l’évolution naturelle que je crois connaître ;
- si on assomme les gens de « il ne faut pas venir pour une petite gêne comme ça », ils attendront peut-être trop longtemps avant de consulter pour une vraie urgence…
Donc non, je n’ai pas éduqué pour les reconsultations aux urgnces, et j’ai sûrement convaincu plusieurs familles que l’accueil aux urgences pédiatriques n’était pas si mal, y compris avec un motif bidon. Mais je ne m’en veux pas ; là où je regrette de ne pas avoir été plus incisif, ça a été sur les dents. (#incisif, rajouterais-je sur Twitter, pour insister lourdement sur mon calembour).
Le troisième tableau est fait de brouillons. Ces consultations où mon cerveau disait « CES PARENTS NE PEUVENT PAS DIRE CA », et où ma bouche disait « hum hum » ou « ah ».
En général, elles se déroulaient ainsi :
— Bonjour, Michaël, je suis interne en pédiatrie. Qu’est-ce qui vous amène ?
— Eh bien, c’est Jason. Il me fait de la fièvre.
— Ah. (A savoir : un enfant ne se fait pas de la fièvre lui-même, il fait de la fièvre à sa mère. C’est pareil avec les boutons, les diarrhées, les vomissements…)
— Ça a commencé à 3h du matin. J’ai donné un suppo de Doliprane à 3h10, et on est venus.
— Hum hum. (A savoir : un suppositoire doit faire baisser la fièvre en 10 minutes. Il n’y a pas de mécanisme d’action, de pharmacocinétique ou tout le bazar : le Doliprane arrive dans les fesses, il règle le thermostat sur 37°C, et pis voilà, c’est réglé.)
(Examen de Jason, qui est évidemment un peu fatigué, mais pas plus que l’interne).
Bon, alors, là, c’est… c’est un peu difficile de dire, de se prononcer. Il fait de la fièvre, hein. Bon. Par contre, l’examen, j’ai rien là. Il va bien, donc ça c’est rassurant. Alors peut-être qu’il a une otite ou une gastro, qui va apparaître après, mais qu’on ne voit pas encore, parce que c’est trop tôt, parce que là j’ai rien. Enfin, c’est un peu difficile, hein… Vous voyez ? (oui, à 3h30 heures du matin, je bafouille, voire je raconte n’importe quoi, c’est normal)
— C’est rien alors ?
— Non, voilà, c’est pas grave en tout cas. Il ne m’inquiète pas. Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous inquiétait ?
— C’est qu’il me faisait beaucoup de fièvre, d’habitude il m’en fait jamais autant.
— Ah. (A savoir : les parents aiment partager leurs records.) Bon, là c’est un peu tôt du coup, c’était il y a une demie-heure hein (A savoir : on dit beaucoup hein dans le coin). Il faut voir comment ça va évoluer, lui donner du paracét… du Doliprane. C’est sûrement un virus, il n’y en a pas mal en ce moment, mais il faut surveiller. (A savoir : l’enfant a chopé un truc dans l’étuve à microbes nommée crèche où il est placé en culture pendant la semaine).
— Oui, ou alors c’est ses dents qui poussent. Il fait peut-être une bronchite dentaire : vous avez bien vu, il a les fesses rouges !
— Hum hum.
STOOOOOOOOOP.
Arrêt sur image.
La pendule affiche 3 heures 45 du matin. Une colonie de bactéries parfume mon intérieur buccal, retapissé à leur mode. Mes yeux sont tellement inaccessibles au fond de mes cernes qu’on dirait la Montagne du Destin en plein Mordor. Je rêve de mon lit après cette « consultation qui aurait pu attendre le lendemain matin et scgrmpfl à la fin ». C’est pas grave, je suis en garde, je suis (mal) payé pour bosser ; pas pour (mal) dormir. Je viens de faire l’examen clinique avec le sourire, en jouant avec l’enfant. Je vais bientôt redescendre dans la chambre… mais arrive à gros sabots la question dentaire.
QCM : quelle(s) est (sont) la (les) bonne(s) réponse(s) à la « question dentaire » ?
A. Oui, c’est une bronchite dentaire. Non, ce n’est pas du tout un diagnostic qui ne veut rien dire : les dents sont effectivement responsables de toux, diarrhées, dermites de siège, fièvre. Tout à fait, m’dame. Votre enfant peut vous faire tout ça. D’ailleurs, si vous arrachez une de ses dents un soir de pleine lune et que vous l’enterrez sous un pommier (la dent, je veux dire), un diamant poussera au même endroit dans 32 ans. Véridique. Les dents, c’est magique.
B. Euh, les bronchites dentaires, c’est un diagnostic qui était largement passé de mode en 1989 (même en 1975, en fait). Mais si vous préférez revenir aux bases des observations médicales, je vous recommande une bonne saignée, un lavement et une purge de votre enfant au début de l’automne. Et évitez le triangle des Bermudes.
C. Vous savez, votre enfant va vous faire 28 dents entre ses 6 et 30 mois — soit une par mois. Je vous fais une carte fidélité ?
D. Vous pensez que c’est ses racines dentaires qui frottent ses fesses de l’intérieur, c’est ça ? C’est des défenses qui poussent, en fait ?
E. Mignonne, allons voir si la dent — qui ce matin prit son élan, sa robe d’émail au Soleil — n’a point perdu, ceste vesprée, les plis de sa robe émaillée, et son teint au votre pareil.
Non, je ne sais pas répondre comme ça (heureusement !)… Du coup, je fais « hum hum », et je laisse le médecin traitant, les grands-parents, les néo-parents, les oncles — et qui sais-je encore — perpétuer ce mythe des poussées dentaires.
Même si c’est n’importe quoi. Même si c’est de l’ésotérisme médical.
Alors oui, je laisse dire. Ca fait partie de ce troisième tableau à base de brouillon. Je ne sais pas quoi répondre sans être condescendant, non confraternel ou juste moqueur. Et puis, il faut dire aussi que je trouve ça plutôt mignon comme diagnostic, et terriblement amusant.
Je vous avais bien dit que j’avais des petits plaisirs honteux… 😉
Extrait de Marche à l’ombre dans lequel Michel Blanc explique à Gérard Lanvin ce que ça fait d’avoir les dents qui poussent.
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[Edition] A propos des bronchites dentaires et fesses rouges dentaires, j’ajouterais certaines choses…
Les enfants font des infections virales (rhinopharyngites à répétition, et donc fièvre) lors des poussées dentaires, par pur hasard de calendrier. Les anticorps maternels, qui les défendaient ardemment jusque là, disparaissent sur les 6 premiers mois. A 6 mois de vie, les dents poussent et de façon concomitante, les enfants sont au plus faible de leur immunité (et commencent à être gardés en crèche parfois…) Ce genre d’observations a sûrement mené à la plupart des scléroses en plaques post-vaccination hépatite B, d’autisme post-vaccination rougeole — entraînant une diminution injustifiée de vaccinations, une recrudescence d’hépatite B, de rougeole, d’oreillons, et leurs complications… C’est également ce qui amène le collège d’ORL à dire qu’il y a plus de phlegmons depuis qu’on a diminué les antibiothérapies systématiques dans les angines (à tord, sans doute).
Une discussion sur Twitter avec @Boutonnologue, @nikodoc et @DocteurGécé a permis d’évoquer deux hypothèses physiopathologiques des érythèmes fessiers (fesses rouges) au moment des poussées dentaires : les selles (qui macèrent sous les couches) auraient une composition nouvelle soit par modification des enzymes de la salive aidant à la percée dentaire, soit par introduction concomitante d’une diversification alimentaire (recommandée entre 4 et 6 mois). Evidemment, ça n’a pas un lien direct avec les dents ; c’est ce qu’on appelle en biostatistique un facteur de confusion (c’est probablement la même chose avec le French Paradox du « 1 verre de vin par repas prévient des infarctus » — il faut les moyens financiers de prendre un verre par repas, il ne faut pas être alcoolodépendant, et pour généraliser comme dans une études, les buveurs de vin vivent plutôt dans des régions ensoleillées, loin du Nord et de ses bières…)
Enfin, la même @Boutonnologue propose une alternative à l’hypersalivation due à la poussée dentaire : 6 mois est l’âge où l’enfant s’éveille à l’oralité, et sa « bave » ne serait qu’un réflexe pavlovien à la visualisation de tout ce qui peut se mettre à la bouche. Amusant, non ? (je n’ai pas trouvé de référence, mais ai peu cherché… si vous en avez… ;-))
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