Au cours de nos consultations, visites, tours hospitaliers, il arrive qu’on croise des patients dont la liste de traitement ressemble furieusement à un Best-Of de la pharmacie du coin.
Je me souviens d’une patiente… Elle avait été suivi par des gastros, des endocrinos, un pneumologue, un neurochirurgien, un ophtalmo, et bien sûr par un médecin généraliste. C’est ce dernier qui avait demandé une hospitalisation pour diminuer une improbable ordonnance de 23 médicaments par jour (soit 66 comprimés, le chiffre de la bête).
Devant l’ordonnance, nous n’avions pas fait le vide du jour au lendemain sans connaître la patiente, au dossier relativement complexe… Chaque matin pendant une semaine, je m’amusais (littéralement) à supprimer un ou deux médicaments qui ne me semblait plus utile. J’ai pris un plaisir certain (et partagé avec mes chefs) à supprimer 8 comprimés de dompéridone, 6 de lopéramide, 6 ultralevures, 6 météospasmyl par jour… Ca n’a rien modifié sur le plan digestif : elle n’avait ni douleurs ni diarrhées à l’entée, et c’était identique à la sortie. Elle avait eu des diarrhées motrices pendant un temps, sans étiologie retrouvée, et le traitement était resté sans réévaluation. Le prenait-elle encore vraiment ? Difficile à dire, vu l’absence de modification à l’arrêt.
7 jours plus tard, la patiente sortait avec 12 médicaments et un projet de sevrage pour 4 d’entre eux (elle avait quand même un diabète de type 2 avec microangiopathie, neuropathie, ainsi qu’un asthme et des douleurs sur canal lombaire étroit). Pas mal.
En médecine libérale, afin d’aider au sevrage, je pense que j’aurais utilisé Theriaque et son analyse d’ordonnance (l’inscription est gratuite). Voire que j’aurais partagé l’information avec la patiente pour lui expliquer qu’un mélange de médicaments n’est jamais anodin.
Aujourd’hui, j’ai lu ce tweet de @NoSuperDoc, déclencheur de ce billet :
Un traitement simple au quotidien. pic.twitter.com/ccOm4JMbUJ
— No SuperDoc (@NoSuperDoc) October 4, 2013
Pour m’essayer au jeu de l’analyse d’ordonnance, sur le tweet cité, j’ai utilisé Theriaque et mes connaissances (il y a sûrement d’autres choses à faire avec la Banque Claude-Bernard, la Revue Prescrire, la liste de médicaments à éviter selon le BIP31…).
Ce commentaire n’a pas pour autre but que d’essayer d’ouvrir une petite porte sur les multiples interactions possibles dans ce genre d’ordonnances bondées, je ne connais pas l’histoire de la patiente et n’est ni l’envie, ni le recul, ni l’expérience pour juger d’une telle ordonnance :
1/ La LAMALINE (paracétamol + opium + caféine) n’a pas d’indication dans les douleurs chroniques. Pour les douleurs aiguës, on préfère l’association de paracétamol et de codéine. (http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1254515/en/lamaline). Associer un opiacé à du XANAX et de la MIANSERINE, c’est ajouter de la sédation à la sédation…
2/ L’ACTISOUFRE n’a « aucun service médical rendu » depuis 2004 (http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/ct031936.pdf)
3/ Globalement, le CLOPIDOGREL n’a sa place qu’en association avec l’aspirine, ou en cas de contre-indication de cette dernière (http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-07/12irp06_reco_agents_antiplaquettaires.pdf)
4/ Le FORLAX, les suppos de GLYCERINE et le NORMACOL méritent sûrement qu’on s’attarde sur les causes de la constipation… Il y a l’hypothyroïdie, les nausées qui la font moins manger… Peut-être y a-t-il une diminution d’efficacité du FORLAX par chélation avec les résines (KAYEXALATE et RENAGEL) qui tapissent le tube digestif ? Peut-être la patiente est-elle dialysée, vu la suite ?
5/ Le LASILIX est un diurétique hypokaliémiant, associé ici à une résine hypokaliémiante (KAYEXALATE). Le risque de torsade de ces médicaments est majoré par le bêta-bloquant (CARDENSIEL, utile), il ne semble pas bon d’y ajouter l’OROPERIDYS (dompéridone). Actuellement, la dompéridone n’a plus la côte, j’en ai parlé ici… Je me demande si le traitement est pour traiter des nausées dues à une dialyse ou à la prise de nombreux médicaments…
EDIT : AmiPharma a donné un lien en commentaire – l’anti-émétique est sûrement associé au MODOPAR pour en contrer les effets indésirables, dans quel cas il convient de ne PAS remplacer par métopimazine VOGALENE. Le dompéridone garde sa place ici.
6/ Le RENAGEL sert à traiter une hyperphosphorémie, certainement dans un contexte d’insuffisance rénale chronique sévère ou de dialyse donc (hyperphosphorémie, hyperuricémie, hyperkaliémie, absence d’IEC/ARA2), ou éventuellement post-thyroïdectomie / parathyroïdectomie (vu les antécédents). La vitamine D (DEDROGYL) va augmenter la phosphorémie.
7/ Par rapport à l’allopurinol, s’il n’est pas contre-indiqué, l’ADENURIC n’apporte pas grand-chose, en dehors de plus de réactions allergiques cutanées graves. A noter que le LASILIX favorise les gouttes que l’ADENURIC prévient. Enfin, si la patiente est dialysée, les hypo-uricémiants sont parfois inutiles.
8/ Il y a quand même trois anti-hypertenseurs (CARDENSIEL, LERCAN, LASILIX), associés à un autre hypotenseur (MODOPAR) chez une personne âgée, à risque de chute. Les HTA réfractaires avec hypokaliémie, ça me parle, mais avec hyperkaliémie je ne connais pas grand-chose à part l’insuffisance rénale chronique.
9/ On peut s’étonner de l’absence de statine chez cette patiente sous bêta-bloquants et anti-agrégant plaquettaire… Peut-être avait-elle une contre-indication, ou une non-indication (cholestérol normal) ?
Au final, je réévaluerais l’OROPERIDYS, je remplacerais la LAMALINE, CLOPIDOGREL et l’ACTISOUFRE par PARACETAMOL/CODEINE, KARDEGIC et STERIMAR/PHYSIOMER ; je switcherais l’ADENURIC par rien ou ALLOPURINOL, et je discuterais de l’arrêt du DEDROGYL.
D’autres avis sur cette belle ordonnance test ? 🙂
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