Le petit monde de Dom Péridone

Et voilà, c’est le bordel.

Suite aux premiers émois sur le dompéridone l’an dernier, j’avais fait une recherche et parlé dans ces pages des anti-émétiques en médecine générale.

Je concluais que pour une gastro-entérite, le mieux était rien, suivi par le VOGALENE. Je n’avais pas parlé des autres causes de vomissements (mal de transports, maladie de Parkinson, chimiothérapies…), mais comme je le disais alors, les effets indésirables mortels sont exceptionnels et si le MOTILIUM est indiqué (le seul anti-émétique dans la maladie de Parkinson par exemple), il ne faut pas s’en priver. A l’époque, je concluais ainsi : « il me semble raisonnable de contre-indiquer les prokinétiques pour tout patient sous neuroleptique ou présentant un antécédent de QT long ». C’était pas si mal.

Et puis aujourd’hui, patratra, dompéridone revient sur le devant de la scène avec son costume de démon taillé par l’Ange Prescrire dans cet article. Et comme je vous ai dit que j’aime bien les maths, eh bien je vais examiner ce papier et discuter avec vous les phrases du résumé de la première page (vous pourrez lire l’article en entier ou me faire confiance, à vous de voir…)

« Des études cas/témoins ont montré que les morts subites cardiaques sont environ 1,6 à 3,7 fois plus fréquentes en cas d’exposition à la dompéridone ».

Dans les études cas-témoins, on prend des cas ayant présenté une mort subite (puisque c’est de ça qu’on accuse le dompéridone) et on compare leurs caractéristiques à des témoins (sans mort subite) ; parmi ces caractéristiques, on regarde notamment combien ont pris du dompéridone dans chaque groupe (cas et témoins). Si 20% des gens ont pris du dompéridone dans le groupe mort subite et 0% dans l’autre groupe, eh bien, très clairement… NON, le dompéridone n’est pas coupable : le dompéridone est associé à un décès par mort subite. Si par contre, 20% des gens ont pris du dompéridone dans le groupe mort subite et 60% dans l’autre groupe, eh bien… là non plus, le dompéridone n’est pas innocenté : il est associé à une survie plus grande dans l’étude. Bref, avec une étude cas-témoin (analytique), on analyse des groupes et on ne prouve pas la causalité.

Evidemment, on essaie d’éliminer tous les autres facteurs dans ces études : l’âge, les antécédents cardiovasculaires, l’activité physique, le poids, le tabagisme, la raison pour laquelle ces gens prennent des antivomitifs… Je veux dire par là que les fumeurs vont peut-être prendre plus fréquemment des anti-vomitifs, et si on regarde les gens décédés d’une mort subite, peut-être qu’on dira « oui, c’est le MOTILIUM » alors qu’il ne sera qu’un facteur de confusion de la vraie cause de décès (le tabac). Peut-être ou pas, hein, c’est juste pour expliquer les mots et bien préciser qu’une étude, c’est difficile à mettre en place et qu’avant de les analyser, il faut s’assurer qu’on a affaire à quelque chose de bien fait.

Ici, Prescrire parle d’études cas-témoins (ce que je viens de décrire). Il s’agit d’études rétrospectives donc réalisées après l’évènement (mort subite) ; et c’est normal parce que l’évènement est très très très très rare, et c’est donc inimaginable en prospectif (on suit des gens sous dompéridone pour voir s’ils vont faire ou non une mort subite — en plus, c’est pas très rassurant comme protocole d’étude « on regarde si vous allez mourir, signez là »). Le problème, c’est que contrairement aux études prospectives, ici on décide du nombre de morts et de pas-morts, et du coup on calcule un odd-ratio et pas un risque relatif… Je vais y revenir.

Dans les articles cités par Prescrire à propos des chiffres 1.6 et 3.7 :

Parlons de l’étude où l’OR est non significatif après ajustement… C’est dans cette étude que Prescrire a récupéré le 3.7 et je cite le résumé : « The matched unadjusted odds ratio of domperidone and SCD was 3.72 (95% CI 1.72, 8.08). »

UNADJUSTED. Ce qui pose quand même la question de savoir si les « rédacteurs communs » de Prescrire vont au-delà du résumé PubMed pour fouiller dans l’article, surtout quand, comme ici, le résumé est un putain de condensé de mauvaise foi s’attardant sur des sous-populations de gens assurés publiquement.

UNADJUSTED ici, ça veut dire que dans les cas par rapport aux témoins, il y a significativement plus d’antécédents de pathologies ischémiques (29.5% vs 14.2%), d’angor (22.5% vs 10.4%), d’AVC (3.9% vs 1.6%), de diabète (19.6% vs 8.6%), de BPCO (14% vs 8.3%), de mésusage d’alcool (1.8% vs 0.7%), de prise de digoxine (8.6% vs 2.1%), de diurétique (16.9% vs 6%)… MAIS QUE MALGRE CA, on va dire que c’est quand même le dompéridone le coupable (0.77% vs 0.2% – oh tiens, bizarrement, dans ce tableau, c’est à moi de calculer les pourcentages absolus ; cette étude serait-elle de mauvaise foi ?) Je vous montre les deux tableaux, pour comprendre (regardez les valeurs absolues que je vous ai indiquées et pas les OR : la différence entre 0.2% et 0.77% est-elle sérieusement la même qu’entre 8.6% et 2.1% pour la digoxine par exemple, intuitivement ? ;))

Domperidone and Ventricular Arrhythmia or Sudden Cardiac Death (Van Noord et al.), tableau 1, sans l'accord des auteurs...

Domperidone and Ventricular Arrhythmia or Sudden Cardiac Death (Van Noord et al.), tableau 1, sans l’accord des auteurs…

Notez que dans ce tableau, fort étrangement, les pourcentages n'apparaissent plus... N'y pourrait-on voir une marque de mauvaise foi ?  (Extrait de Domperidone and Ventricular Arrhythmia or Sudden Cardiac Death (Van Noord Ch. et al.)

Notez que dans ce tableau, fort étrangement, les pourcentages n’apparaissent plus… N’y pourrait-on voir une marque de mauvaise foi ?
(Extrait de Domperidone and Ventricular Arrhythmia or Sudden Cardiac Death (Van Noord Ch. et al.)

Du coup, je vais utiliser la dernière étude, parce qu’elle est plus belle et plus honnête, et que Prescrire utilise ces chiffres (le 1.6, hélas c’est le chiffre minimal…). Le design est très particulier : ils utilisent une cohorte Saskatchewan Health d’un million de personnes, sélectionnent 83 212 utilisateurs de dompéridone ou IPP sur la période 1990-2005 (ils forment une cohorte rétrospective), repèrent les 1608 cas de mort subite, et les apparient à 6428 témoins (pas mort subite) (ils font donc une étude cas-témoin).

L’appariement se limite à l’âge, le sexe, la date de première prise du médicament et le diabète… Pas le reste (mais c’est normal, c’est dur de faire une étude…). Du coup, chez les cas (mort suite), il y avait préalablement à cette mort 7 fois plus de cardiomyopathie, 4 fois plus de défaillance cardiaque, 3 fois plus d’ischémie cardiaque, 2 fois plus de pathologie hépatique ou pulmonaire, 2 fois plus de médicaments antihypertenseurs, 2 fois plus de médicaments antiarythmiques, 3 fois plus d’hospitalisations multiples (c’est un abus de langage honteux de ma part, en fait ce sont les OR qui étaient à 7, 4, etc. tout le monde le fait, et comme vous voyez, c’est facile de se tromper et de tromper tout le monde)… Je vous épargne le tableau, cette fois, mais il ressemble au premier ci-dessus, tout simplement.

Voici les résultats de l’étude (sans l’aimable autorisation, hélas, il est si tard…) – c’est la première ligne qui nous intéresse :

Risk of serious ventricular arrhythmia and sudden cardiac death in a cohort of users of domperidone: a nested case-control study (Johannes et al.)

Risk of serious ventricular arrhythmia and sudden cardiac death in a cohort of users of domperidone: a nested case-control study (Johannes et al.)


Pour information, l’odd-ratio se calcule ainsi au niveau de la première ligne avec P1 = 10.5% et P0 = 7.5% :

OR = [P1/(1-P1)] / [P0/(1-P0)] = 10.5/(100-10.5) / 7.5/(100-7.5) = 1.45 (de façon « non ajustée », qui n’apparait pas dans le tableau, car ils n’ont mis que les ajustés).

C’est un rapport de cotes et on ne peut pas dire que c’est 1,45 fois plus fréquent comme pour le risque relatif (P1/P0), parce qu’ici les proportions entre cas et témoins sont fictives et ne révèlent pas la prévalence de la mort subite (il y a ici 1 cas pour 4 témoins, et dans la vraie vie, il n’y a pas 20% de personnes qui meurent de mort subite). Toutefois, ce n’est qu’à moitié faux et c’est pour jouer les puristes : avec un P0 < 10%, l’OR va s’approcher du risque relatif… Mais quand même, on va voir qu’il y a une petite différence… En fait, il existe des méthodes pour déterminer un risque relatif ajusté à partir d’un odd-ratio. Le plus simple est la méthode de Zhang et Yu que vous pouvez utiliser à la maison pour épater vos amis :

RR = OR/[(1−P0)+(P0×OR)] (ça fonctionne aussi pour les intervalles de confiance en prenant ORmin et ORmax)

Ici, on a donc RRajusté = 1.59 / (0.925 + 0.075 x 1.59) = 1.52 [1.25 – 1.84]

Donc, pour résumer, si on veut le faire le plus honnêtement possible sur les références citées par Prescrire (en dehors de leur propre référence à eux-mêmes en 3, parce que j’y ai pas accès), on peut conclure que dans une étude cas-témoin, après ajustement sur les multiples variables de confusion et en supposant qu’on en ait fait le tour, les patients ayant présenté une mort subite prenaient 1.5 fois plus souvent (IC95% 1.3-1.8) du dompéridone au moment de leur mort que les patients témoins au même moment, soit 10.5% vs 7.5% (chiffres surévalués par rapport à l’étude précédente 0.77 vs 0.2% en raison du design particulier de l’étude – les patients étaient inclus selon leur prise de dompéridone).

Ce qui ne veut PAS dire que le dompéridone est responsable de quoi que ce soit. On OBSERVE qu’ils en prennent plus, mais il n’y a aucun lien de cause à effet démontré dans ces études. Peut-être qu’il faudrait aussi se poser la question de pourquoi ils prennent du dompéridone (gastro ou autre ?). En clair : dans les 37 jours précédant leur mort subite, les patients avaient plus tendance à prendre du dompéridone, un anti-nauséeux. En très clair : dans le mois avant leur mort, les patients étaient malades.  

En vrai, je vous rassure, il y a des études pharmacodynamiques et des meurtres de lapins (que je ne cautionne pas) qui ont prouvé l’effet d’allongement du QT qui est à l’origine de troubles du rythme cardiaque mortel, comme pour tous les neuroleptiques connus, en fait. (Un jour, on parlera des hépatites sous paracétamol, et le lendemain on relancera avec les abcès dentaires sous AINS, juste comme ça, pour comparer le nombre de morts du dompéridone).

 

« En France, environ 7 % des adultes ont reçu au moins une dispensation de dompéridone, soit environ 3 millions de personnes. »

Ils se basent sur les données de l’échantillon généraliste de bénéficiaires de l’assurance maladie obligatoire pour conclure à 7.7% (6.4% si on exclue les enfants et les gens ayant un cancer). Par contre, avec 51.1 millions d’adulte en France en 2012, on est proche de 3,6 millions de personnes (3.3 millions si on compte 6.4%, mais dans ce cas la phrase est fausse). Vous allez me dire que je chipote avec 500 000 personnes…

Donc : en France, environ 7% de consommateurs par an soit environ 3.5 millions de personnes.

 

« En France, compte tenu de la fréquence de la mort subite, des hypothèses prudentes rendent vraisemblable qu’environ 25 à 120 morts prématurées aient été imputables à la dompéridone en 2012 »

Je lis ce qu’ils disent :

A. La mort subite : 29 personnes sur 100 000 en région parisienne

B. La mort subite est 1.6 fois plus fréquente sous dompéridone, voire 3.7 dans une autre étude (fausse, comme on a vu)

C. La prescription est en moyenne de 2 semaines de dompéridone par an en France (et GENRE les gens prennent 2 semaines, comme ça, sans broncher, à vomir tripes et boyaux… ? admettons…)

D. 3 millions de Français sont exposés au vilain médicament

Donc environ 25 à 120 morts sont causées par la dompéridone dans « une hypothèse prudente ».

 

Je ne comprends pas.

Mon hypothèse, c’est qu’ils se droguent et qu’ils font donc la réflexion suivante :

  • Mort subite MINIMUM par dompéridone par an = nombre de consommateurs (3 000 000) x consommation par an (2/52) x nombre de mort subite imputées au dompéridone (29/10000 x 1.6) = 53.5 (au lieu de 25 mais bon…)
  • Mort subite MAXIMUM par dompéridone par an = nombre de consommateurs (3 000 000) x consommation par an (2/52) x nombre de mort subite imputées au dompéridone (29/10000 x 3.7) = 123.8 (le résultat qu’ils donnent).

C’est évidemment des bullshits, on ne calcule pas ça comme ça vu que théoriquement dans les 29/100 000 il y a DEJA les morts subites dues au dompéridone… Et puis, dans ce cas il faut le fait pour tout : la digoxine c’est 8, les cardiomyopathies c’est 8, la schizophrénie c’est 6 et allez hop, on arrive déjà à 638/100 000. Avec un calcul de ce genre, si on prend tous les OR des deux études ci-dessus, je suis sûr qu’on arrive à 100 000 / 100 000. Tout le monde meurt de mort subite, et comme ça, on est tranquille.

Je pense qu’à un moment, il faut arrêter de mettre Prescrire au sommet de la science en Ange salvateur, et le dompéridone en démon diabolique des profondeurs de l’enfer du laboratoire qui tue les gens par arythmie volontairement.

Je ne dis pas qu’il faut prescrire du dompéridone à tout va. Il ne faut pas en prescrire en routine. Mais si c’est le seul anti-émétique qui soulage (maladies de Parkinson, mal de transports ou autre, même une femme enceinte), même si l’efficacité n’est pas prouvée dans des études, il ne faut pas hésiter à le prescrire, s’il est encore sur le marché… Le risque de décès existe (il n’y a pas que Prescrire qui le dit, il y a aussi une revue de la littérature récente par exemple) ; mais ce risque est exceptionnel, non quantifié ou quantifiable actuellement, et lié à une tendance au QT long – le dompéridone révèlera un trouble sous-jacent en fait.

C’est juste que tout cet abattage médiatique relayant des données mal utilisées par Prescrire… Voilà quoi.

Sur ce, bonne nuit.

 

Petite remise au propre du 20/2, notamment les liens.

Merci à @jdflaysakier d’avoir relayé cet article sur son blog santé ; à @DDupagne pour son relais sur Atoute.org ; à @Docteur_V qui a non seulement cité cet article mais est allé au-delà sur la prescription individuelle et collective et l’a mieux décrit que je ne l’aurais fait. Un grand merci également à tous ceux qui l’ont relayé, apprécié et/ou commenté sur Twitter 🙂

Merci également à Sciences & Avenir qui l’a relayé dans un article…

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