(DISCLAIMER : Ceci est un avis personnel, non validé par une quelconque instance scientifique, ni un comité de lecture. Ceci étant, quand on voit ce que certains journaux laissent passer… ;-))
Les statines sont utilisées pour baisser le cholestérol, et font partie des médicaments les plus prescrits.
En France, en 2012, l’atorvastatine (TAHOR®) était la 21ème molécule la plus vendue, et la rosuvastatine (CRESTOR®) la 28ème… En terme de coût, la rosuvastatine a été la 3ème molécule la plus rentable en 2012, et l’atorvastatine la 6ème. La pravastatine et la simvastatine ne font pas partie du top 30 en terme de prescription ou de coût (1).
C’est donc dingue le nombre de patients chez qui on cherche à faire baisser de plus de 35% le LDL-cholestérol en utilisant la rosuvastatine non-génériquée-3ème-molécule-la-plus-chère-d’un-tableau-où-n’apparaissent-même-pas-les-vieilles-simvastatine-pravastatine-alors-que-la-pravastatine-a-moins-de-problèmes-d’interactions-médicamenteuses-comme-nous-allons-voir ! (Je tiens ce 35% des recommandations de bon usage françaises, en attendant qu’on imite les Américains (page 30 du document) qui ne stratifient plus qu’avec les facteurs de risque, sans utiliser le LDL-cholestérol).
Je ne vais pas refaire l’histoire des statines et de la démonstration ou non de leurs effets : ça a été très bien résumé par Dominique Dupagne en février 2013. Il y a actuellement 5 statines sur le marché en France : simvastatine (depuis 1988, bien connue, ayant montré son efficacité pour réduire la morbi-mortalité), pravastatine (depuis 1991, idem, et en plus non métabolisée par le CYP3A4), fluvastatine (peu prescrite), atorvastatine (1997), rosuvastatine (2003). En 2001, la cérivastatine (1998) a été retirée du marché en raison de troubles musculaires graves et d’insuffisance rénale (entre autre).
En pratique, toutes les statines peuvent donner des effets indésirables musculaires pour lesquels la conduite à tenir est assez claire : diminution de dose (surtout après 70 ans), contrôle de la TSH (l’hypothyroïdie peut donner une hypercholestérolémie et des troubles musculaires), switch vers une autre statine à faible posologie…
Mais les statines peuvent aussi entraîner des ruptures tendineuses (classiquement du tendon d’Achille). Et dans ce cas, il n’y a pas de conduite à tenir claire – en tout cas, je n’ai pas trouvé… Donc, la question de la semaine sera : « après une rupture tendineuse, peut-on réintroduire la même statine à faible posologie ? Une autre statine ? Un autre hypolipémiant (fibrate, ézétimibe) ? »
Les monographies française et internationales des statines soulignent un risque fréquent de myalgies lié à la dose (5% à 15% (2)), et un risque rare de rupture tendineuse qui, lui, est non lié à la dose (< 1/1000 (3)).
La prise de statine doublerait le risque de rupture tendineuse (4) ; toutefois, devant la rareté des ruptures tendineuses, l’imputabilité de la statine n’est pas toujours retrouvée, notamment chez les sujets de moins de 65 ans (5).
Chazerain a décrit des tendinopathies sous statine pour la première fois en 2001 (6). Deux types de situation majorent le risque :
- les patients présentant une variante du gène SLCO1B1 codant pour une protéine de transport OATP1B1 (7),
- la prise concomitante d’un inhibiteur du cytochrome P450 3A4 (macrolide, antifongique, amiodarone, diltiazem, vérapamil, réglisse ou jus de pamplemousse) pour atorvastatine et simvastatine,
- la prise concomitante d’un inhibiteur du cytochrome P450 2C9 (acide valproïque, gemfibrozil, antifongique, pantoprazole, métronidazole, sulfaméthoxazole, clopidogrel) pour fluvastatine et rosuvastatine (notez que la pravastatine n’est pas métabolisée par un cytochrome P450).
Les ruptures touchent le tendon bicipital, rotulien, quadricipital ou achilléen (8). Le risque semble majoré chez les patients diabétiques, ayant une hyperuricémie, des antécédents tendineux ou lors d’activité sportive (9). La rupture tendineuse a récidivé dans 7 cas après reprise de statine (10).
Dans l’analyse de la Base Nationale de Pharmacovigilance en 2008 (3), Marie I. et al. relevaient 33 ruptures tendineuses sous statine, principalement sous atorvastatine, simvastatine et pravastatine (moins de 10 cas sous fluvastatine et rosuvastatine).
Six ans plus tard, mon analyse de la Base en trouve 120 : 42 ruptures tendineuses sous atorvastatine, 30 sous simvastatine, 24 sous pravastatine, 18 sous rosuvastatine et 6 sous fluvastatine. La faible fréquence des effets tendineux déclarés sous rosuvastatine CRESTOR® était probablement liée en 2008 à sa récente commercialisation : un relais par rosuvastatine n’est donc pas/plus recommandé (je voyais dans la base « le médecin va faire un relais par CRESTOR® » : ne le faites plus !)
Dans la Base Nationale de Pharmacovigilance, la rupture tendineuse survenait entre 4 semaines et 17 ans après l’introduction de l’atorvastatine. La moitié des cas déclarés apparaissaient la première année ; ces délais concordaient avec 10 cas décrits dans la littérature (11).
Les tendinopathies seraient dues à :
- un changement de matrice extracellulaire : activation de métalloprotéinases matricielles MMP-2 et MMP-9 dégradant le collagène de type 1 (8) (effet similaire à la toxicité des fluoroquinolones),
- une diminution de croissance et différenciation des ténocytes (10),
- un déficit en ubiquinone ou coenzyme Q10 (12), sans que la supplémentation soit efficace (13)
Concernant un relais par ézétimibe…
En 2006 puis 2009, la Haute Autorité de Santé (HAS) a défini la place de l’ézétimibe : inefficacité de la statine ou mauvaise tolérance. En pratique, les monographies française et internationales signalent que les sujets intolérants à une statine sont souvent aussi intolérants à l’ézétimibe. Dans les nouvelles recommandations américaines, l’ézétimibe n’a plus sa place, et on peut gager que ça sera bientôt le cas également en Europe, vu que cette molécule n’a pas prouvée son efficacité dans la réduction de morbi-mortalité (ça baisse le cholestérol, soit… mais est-ce que ça fait vivre mieux ou plus longtemps : pas sûr ! La cérivastatine a prouvé qu’on pouvait baisser le cholestérol et réduire également la durée de vie…)
Donc deux possibilités pour les paragraphes qui vont suivre : soit je vais sauver de la miséricorde une pauvre molécule en lui trouvant un nouveau rôle (post-rupture tendineuse), soit je vais tirer sur une ambulance…
La HAS et les monographies mentionnent un risque musculaire (myalgie et rhabdomyolyses) sous ézétimibe. L’association d’ézétimibe à une statine (INEGY®) semble augmenter le risque de myotoxicité de la statine, comme pour les fibrates. Dans la littérature, un cas de rhabdomyolyse sous ézétimibe en monothérapie a été rapporté en 2006 (14).
Dans la Base Nationale de Pharmacovigilance, nous trouvons 2 ruptures tendineuses sous ézétimibe en bithérapie (atorvastatine ou simvastatine) et 2 cas particulièrement intéressants en monothérapie :
- Un homme de 54 ans était traité par QUESTRAN®, puis LIPANTHYL®, puis VASTEN®, puis TAHOR®, puis CRESTOR® (arrêté à chaque fois vers 3 mois de traitement pour des tendinites, avec amélioration à l’arrêt…). Un traitement par EZETROL® a été débuté, et le patient a signalé des tendinopathies à 6 mois, puis une rupture du tendon quadricipital gauche à 3 ans.
- Une femme de 60 ans ayant des antécédents de tendinopathies sous fibrates puis statines. Un traitement par EZETROL® a été instauré. La symptomatologie s’est aggravée, et son tendon d’Achille s’est partiellement rompu 3 ans plus tard (sans rhabdomyolyse ni autre étiologie retrouvée).
Concernant la levure de riz rouge…
Le riz rouge est rouge, parce qu’il est fermenté par un champignon (une levure) : Monascus purpureus. Ce Monascus produit des molécules appelées judicieusement « monacolines ». Parmi elles, la monacoline K est commune à d’autres champignons (Aspergillus terreurs…) et porte un autre nom : lovastatine (commercialisée comme statine dans divers pays, mais pas la France).
La levure de riz rouge est donc efficace pour diminuer le cholestérol, est bien naturelle… mais n’est rien d’autre qu’une statine, dont elle partage les effets indésirables (notamment musculaires).
Au total, les ruptures tendineuses sous statines sont rares mais bien décrites, avec des délais de survenue variables (1 mois à 17 ans), et une augmentation en cas de prise d’inhibiteur enzymatique. Elles ne dépendant pas de la dose administrée, et une récidive est possible, même en diminuant la dose ou en changeant d’hypolipémiant (statine, fibrate, ézétimibe ou levure de riz rouge). Dans quelques rares cas, l’ézétimibe seul a été associé à une rupture tendineuse. ne semble donc pas conseillé, bien que l’AMM soit « en cas d’intolérance aux statines » (pas cette intolérance là donc).
Si les mesures hygiéno-diététiques sont insuffisantes, il faut penser à arrêter les médicaments hyperlipémiants si possible (diurétique thiazidique). Enfin, un relais par colestyramine QUESTRAN® pourrait être envisagé, puisque cette résine n’est associée à aucun cas de rupture tendineuse (2 cas de myalgies dans la base mais en association avec une statine ou un fibrate). Bien sûr, il faudrait alors tenir compte des effets indésirables du colestyramine, notamment une mauvaise tolérance digestive et une diminution d’absorption des autres traitements (à prendre à distance).
Bon week-end de Pentecôte à ceux qui lisent actuellement !
(Et je n’oublie pas que mon prochain billet devra être sur mes méthodes de recherche bibliographique, pour répondre à 2 récents commentaires ;-))
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1. Cavalié Ph., ANSM. Analyse des ventes de médicaments en France en 2012. Jul 2013. [Internet]. [cité 4 juin 2014]. Disponible sur: http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/796352eff0e9119cca0ea5bbd898353a.pdf
2. Antons KA, Williams CD, Baker SK, Phillips PS. Clinical Perspectives of Statin-Induced Rhabdomyolysis. Am J Med. mai 2006;119(5):400-409.
3. Marie I, Delafenêtre H, Massy N, Thuillez C, Noblet C, Network of the French Pharmacovigilance Centers. Tendinous disorders attributed to statins: A study on ninety-six spontaneous reports in the period 1990–2005 and review of the literature. Arthritis Care Res. 15 mars 2008;59(3):367-372.
4. Savvidou C, Moreno R. Spontaneous distal biceps tendon ruptures: are they related to statin administration? Hand Surg Int J Devoted Hand Up Limb Surg Relat Res J Asia-Pac Fed Soc Surg Hand. 2012;17(2):167-171.
5. Contractor T, Beri A, Gardiner JC, Tang X, Dwamena FC. Is Statin Use Associated With Tendon Rupture? A Population-Based Retrospective Cohort Analysis. Am J Ther. 21 janv 2014;
6. Chazerain P, Hayem G, Hamza S, Best C, Ziza J-M. Four cases of tendinopathy in patients on statin therapy. Joint Bone Spine. oct 2001;68(5):430-433.
7. SLCO1B1 Variants and Statin-Induced Myopathy — A Genomewide Study. N Engl J Med. 2008;359(8):789-799.
8. De Oliveira LP, Vieira CP, Guerra FDR, de Almeida M dos S, Pimentel ER. Statins induce biochemical changes in the Achilles tendon after chronic treatment. Toxicology. 15 sept 2013;311(3):162-168.
9. Tendon disorders due to statins. Prescrire Int. avr 2010;19(106):73.
10. Marie I, Noblet C. Tendinopathies iatrogènes : après les fluoroquinolones… les statines ! Rev Médecine Interne. avr 2009;30(4):307-310.
11. Lareb (Netherlands Pharmacovigilance Cntr). HMG-CoA-reductase inhibitors and tendinitis or tendon rupture. Internet Document : [5 pages], 2010. [Internet]. [cité 4 juin 2014]. Disponible sur: http://download.springer.com/static/pdf/34/art%253A10.2165%252F00128415-201013290-00063.pdf?auth66=1402058830_43e13e6c8d9011a95ca0ed9bc76f0c3b&ext=.pdf
12. Hargreaves IP, Duncan AJ, Heales SJR, Land JM. The effect of HMG-CoA reductase inhibitors on coenzyme Q10: possible biochemical/clinical implications. Drug Saf Int J Med Toxicol Drug Exp. 2005;28(8):659-676.
13. Young JM, Florkowski CM, Molyneux SL, McEwan RG, Frampton CM, George PM, et al. Effect of coenzyme Q(10) supplementation on simvastatin-induced myalgia. Am J Cardiol. 1 nov 2007;100(9):1400-1403.
14. Simard C, Pharm B, Poirier P. Ezetimibe-associated myopathy in monotherapy and in combination with a 3-hydroxy-3-methylglutaryl coenzyme A reductase inhibitor. Can J Cardiol. févr 2006;22(2):141.
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