Le saviez-vous ?
L’amiodarone peut induire des syndromes extra-pyramidaux (tremblements, rigidité des membres – bras et jambes, j’entends – et « peu de mouvements » – mimiques pauvres, difficultés à démarrer la marche, marche à petits pas, etc.)
Là, vous me voyez venir avec l’effet écrit en petit dans la notice par des gens frileux qui s’inventent des histoires, parce qu’ils ont entendu parlé du cas d’un moine bolivien dont la belle-sœur a un voisin qui était sous amiodarone et qui a déclenché une maladie de Parkinson aussitôt.
Eh bien non, les « parkinsonismes » sous amiodarone sont loin d’être rarissimes : dans les monographies française et internationales, ça concernerait 3% des patients sous amiodarone ! (Plutôt 1-2 % dans la littérature, comme nous verrons plus loin)…
Une dizaine de cas intéressants sont présentés dans la littérature, et semblent montrer que la réversibilité des effets neurologiques est positivement liée à la durée du traitement (1) :
- un patient de 59 ans a été traité par amiodarone au décours d’un AVC secondaire à une arythmie ; il a présenté une semaine après un tremblement fin de la main droite, une pauvreté des expressions faciales ; l’arrêt du traitement à 2 mois a permis une amélioration dès 2 semaines (1) ;
- une patiente de 69 ans a également été traitée par amiodarone au décours d’un AVC ; elle a présenté un tremblement du membre supérieur droit, et une diminution des mimiques faciales ; l’arrêt du traitement à 2 mois a permis une amélioration dès la première semaine (1).
- une patiente a présenté des tremblements d’attitude, des dyskinésies bucco-faciales, une hypertonie extrapyramidale des 4 membres, une marche ataxique au cours d’un traitement depuis 18 mois sous amiodarone ; les symptômes ont régressé en 1 mois à l’arrêt (2) ;
- une patiente a présenté un tremblement de repos à 3 semaines de l’instauration d’amiodarone, suivie de dyskinésies buccolinguofaciales et d’une hypertonie extrapyramidale des membres supérieurs ; l’arrêt du traitement à 2 mois a permis une disparition des symptômes en 1 semaine (2) ;
- une patiente de 82 ans a présenté des tremblements des membres inférieurs avec dyskinésie buccale peu après l’introduction d’amiodarone ; son arrêt à 1 mois a permis une régression en 2 jours (3).
Le mécanisme neurotoxique est méconnu. Nous savons que l’amiodarone et son métabolite (la deséthylamiodarone) franchissent la barrière hémato-encéphalique (4) ; l’amiodarone inhibe l’activité de la phospholipase, entraînant une accumulation (dose-dépendante) de phospholipides dans les lysosomes (5). Ces inclusions lysosomales ont été retrouvées au niveau hépatique (6), pulmonaire (7), mais également dans les cellules de Schwann, fibroblastes et cellules périneurales chez les rongeurs (8,9).
Dans une étude rétrospective réalisée chez 707 patients traités par amiodarone entre 1996 et 2008, 11 ont présenté des effets indésirables neurologiques possibles : 4 « nouveaux » tremblements, 2 majorations de tremblement pré-existant, 2 neuropathies périphériques, 2 ataxies, 1 trouble mnésique. Dans 7 cas, l’amiodarone a été interrompue ou sa posologie diminuée ; suite à ça, une amélioration clinique était constatée dans 6 des 7 cas (10).
Dans la Base Nationale de Pharmacovigilance, l’amiodarone est suspecte dans 82 cas de « troubles des mouvements », dont 8 cas de « maladie de Parkinson et Parkinsonisme ». L’évolution semble moins souvent favorable à l’arrêt que dans la littérature (environ 50 % d’amélioration à l’arrêt), et les délais, lorsqu’ils sont décrits, sont compatibles avec ceux de la littérature : les symptômes apparaissent entre 12 jours et 12 mois après l’introduction de l’amiodarone, et s’améliorent en 2 jours à 4 mois après l’arrêt (9).
Cet effet indésirable semble mal connu. Il n’est notamment pas signalé dans les « Vidal Recos » (qui est un de mes outils préférés en consultation, pour tout vous avouer). Une étude multicentrique au Royaume-Uni sur 328 patients présentant une maladie de Parkinson a montré que 38 étaient traités par un médicament inducteur de syndrome extra-pyramidal, dont 3 par amiodarone (1 %) (11).
Par ailleurs, le thésaurus des interactions médicamenteuses de l’ANSM ne signale pas d’interaction entre l’amiodarone et un traitement anti-parkinsonien (12). L’ouvrage de référence en terme d’interactions médicamenteuses (Stockley’s Drug Interactions) n’en mentionne pas non plus pour la lévodopa, les agonistes dopaminergiques, les inhibiteurs de la catéchol-O-méthyl-transférase ou les inhibiteurs de la MAO-B.
Bref… des syndromes extrapyramidaux sont décrits avec l’amiodarone par un mécanisme inconnu. Les troubles surviennent le plus souvent dans les mois suivant l’introduction du traitement. En cas de maladie de Parkinson débutante ou s’aggravant sous amiodarone, la diminution de posologie ou l’arrêt de cet anti-arythmique est donc à envisager en fonction du rapport bénéfice / risque (avec un médecin, et idéalement un cardiologue, en fonction des alternatives thérapeutiques existantes…)
Pssst, et j’en profite pour signaler ici que dans le cadre de mon stage au centre régional de pharmacovigilance de Lille, j’ai mis en place un site web : http://pharmacovigilance-npdc.fr/ Je suis en train de récupérer des avis sur ce site – design, navigation, contenu… Ces avis me serviront pour une présentation au congrès des généralistes enseignants à Lille, en novembre (s’ils l’acceptent, bien sûr). Donc si vous voulez donner votre avis sur un court questionnaire, en 5 minutes, c’est par là → Merci ! 🙂
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Références
1. Katrak PH. Stroke patients: Do they have a predilection for extrapyramidal side effects from amiodarone? Arch Phys Med Rehabil. janv 1999;80(1):112-114.
2. Arnaud A, Neau JP, Rivasseau-Jonveaux T, Marechaud R, Gil R. [Neurological toxicity of amiodarone. 5 case reports]. Rev Médecine Interne Fondée Par Société Natl Francaise Médecine Interne. nov 1992;13(6):419-422.
3. Pawar PS, Woo DA. Extrapyramidal symptoms with concomitant use of amitriptyline and amiodarone in an elderly patient. Am J Geriatr Pharmacother. déc 2010;8(6):595-598.
4. Palakurthy PR, Iyer V, Meckler RJ. Unusual neurotoxicity associated with amiodarone therapy. Arch Intern Med. mai 1987;147(5):881-884.
5. Shaikh NA, Downar E, Butany J. Amiodarone–an inhibitor of phospholipase activity: a comparative study of the inhibitory effects of amiodarone, chloroquine and chlorpromazine. Mol Cell Biochem. août 1987;76(2):163-172.
6. Ishida S, Sugino M, Hosokawa T, Sato T, Furutama D, Fukuda A, Kimura F, Kuwabara H, Shibayama Y, Hanafusa T.Amiodarone-induced liver cirrhosis and parkinsonism: A case report. Clinical Neuropathology 29: 84-88, No. 2, Apr 2010. [cité 31 juill 2014]; Disponible sur: http://link.springer.com/article/10.2165/00128415-201013070-00029/fulltext.html
7. Martin WJ, Kachel DL, Vilen T, Natarajan V. Mechanism of phospholipidosis in amiodarone pulmonary toxicity. J Pharmacol Exp Ther. oct 1989;251(1):272-278.
8. Costa-Jussà FR, Jacobs JM. The pathology of amiodarone neurotoxicity. I. Experimental studies with reference to changes in other tissues. Brain J Neurol. sept 1985;108 ( Pt 3):735-752.
9. Willis MS, Lugo AM. Amiodarone-induced neurotoxicity. Am J Health Syst Pharm. 15 mars 2009;66(6):567-569.
10. Orr CF, Ahlskog J. Frequency, characteristics, and risk factors for amiodarone neurotoxicity. Arch Neurol. 1 juin 2009;66(7):865-869.
11. Lyell VR, Henderson EJ, Ahearn DJ, MacMahon DG.Multi-centre survey of new patients referred from primary care with parkinsonism – what proportion are on medications which can cause drug induced parkinsonism? 14th International Congress of Parkinson’s Disease and Movement Disorders: abstr. 113, 13 Jun 2010. [cité 31 juill 2014]; Disponible sur: http://link.springer.com/article/10.2165/00128415-201013090-00015/fulltext.html
12. Interactions médicamenteuses – ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé [Internet]. [cité 30 juill 2014]. Disponible sur: http://ansm.sante.fr/Dossiers/Interactions-medicamenteuses/Interactions-medicamenteuses/(offset)/0
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