Le tiers payant, le cinquième restant

Ca fait longtemps que je n’ai pas écrit de billet, je ne suis pas même pas sûr de me souvenir comment on fait. (Kofff kofff, c’est tout poussiéreux là-dedans…) Ah si, ça doit être là !

Bonjour. Bonnes fêtes de fin d’année, j’espère que Noël était joyeux et que l’année finit bien.

Si vous vous demandez ce que je deviens depuis mes aléas administratifs, voici un peu de nouvelles… ça pourra être intéressant pour les internes envisageant de s’installer, je crois :

  • en fait, l’Ordre des Médecins a décalé sa session d’inscription au tableau au 4 novembre, donc j’ai tout récupéré à la faculté le 3, tout faxé, et hop j’étais inscrit à J2 après mon internat !
  • le temps que le numéro RPPS soit créé, que la CPAM envoie des feuilles de soins à mon nom, il était environ le 29 novembre,
  • pendant le mois de novembre, j’ai fait un remplacement dans une maison médicale, à mi-temps (l’autre étant à la faculté), et préparé un contrat d’association (toujours en cours de relecture auprès de l’Ordre – si ça se trouve je suis en exercice illégal de la médecine et je l’ignore), ouvert un compte pro…
  • j’ai débuté mon activité avec des feuilles à mon nom à partir du 2 décembre 2014 (7 mois après mon premier remplacement).

Pendant le remplacement, c’était simple : j’utilisais des feuilles de soins des praticiens, j’encaissais tout (espèce, chèque, carte bancaire) à leur nom, et ils me rétrocédaient 80 %, que je déposais à la banque, inscrivais dans un fichier de recettes. 5 minutes, à tout casser.

Avec mon « installation » le 2 décembre, c’est devenu plus compliqué… Nous n’avons aucune formation à la comptabilité dans notre cursus (donc je découvre aujourd’hui que recettes et chiffres d’affaires signifient la même chose par exemple). Du jour au lendemain :

  • je me retrouve avec des espèces à ne pas savoir quoi en faire (65€ par jour en moyenne dans mon expérience),
  • j’ai des chèques sur les bras (8 chèques par jour), à encaisser pas trop tard pour ne pas que les patients soient pris au dépourvu,
  • je refuse les cartes bancaires (le terminal coûte 20 à 50€ par mois et quelques centimes par passage de CB je crois)… du coup, j’ai des patients pris au dépourvu qui me paient en promesse (et donc, j’ai perdu 30€ dans le mois…)
  • j’ai des patients qui ont la CMU « à jour mais j’ai pas le papier », « à jour même si le papier dit que non, c’est long à revenir », « à jour mais pas la carte vitale », etc. Et d’autres patients qui me disent « mais si d’habitude le médecin passe avec la mutuelle et c’est bon, du coup j’ai pas pris d’argent »… pour qui je fais bien sûr le tiers payant et coche la case « n’a pas payé la part complémentaire » en me disant que peut-être, quelqu’un me paiera comme ça [ça a marché une fois, la mutuelle Terciane m’a envoyé un beau courrier : « nous voulons vous payer, signez ce contrat avec nous et renvoyez-nous un RIB », à quoi j’ai répondu « vous m’avez compris. »],
  • j’ai des feuilles de soins papier à déposer à la sécurité sociale régulièrement,
  • je reçois des virements complètement aléatoires sur mon compte pro, que je ne peux même pas vérifier parce que je suis installé à la va-comme-je-te-pousse sans logiciel dédié à mon nom pendant la période d’essai jusqu’à mi-février…

Où veux-je en venir ? J’ai plein d’argent en espèces et en chèques, à déposer à la banque ; j’ai des feuilles de soins papier à déposer à la sécu… et j’ai plein de paiements dans la nature, qu’une caisse de sécurité sociale ou une mutuelle me doit. A l’heure actuelle, j’ai récupéré 58 % de mes « impayés » (qui ne le sont plus du coup).

Au total, sur mes 163 actes du mois, j’ai été payé à 78 % (espèces, chèques, et virements par les caisses de sécurité sociale ou mutuelles exceptionnellement). Donc sur des actes en moyenne à 24,1€ (visites, bébé, enfants, ça majore les 23€), je perçois 18,8€ avant les charges. (J’en profite, je viens de faire un peu ma comptabilité, relever mes dépenses et tout ça…)

 

Du coup, pour ou contre le tiers payant généralisé ? (Disclaimer : je n’ai pas lu la loi, j’en ai juste entendu parler). D’autres en ont bien mieux parlé que moi : Jaddo, Dr. Niide, Docmanz, Dr. Lehmann

Il y a des avantages :

  • Pour le patient : aucune avance de frais (53 % de mes actes ne sont pas payés par les patients, on peut aisément imaginer que régler une consultation n’est pas à la portée de tout le monde),
  • Pour la sécurité sociale : tout le monde en tiers payant, ça simplifie la donne…
  • Pour le médecin : ne plus recevoir d’espèces et de chèques, c’est un gain de temps certain ; ne plus finir la consultation par « vous réglez comment habituellement ? » ça doit être agréable,

Et des inconvénients :

  • Pour le médecin : j’ai 58 % de règlements sur mes impayés contre 78 % « grâce » aux règlements par les patients ; si on était en tiers payant généralisé aujourd’hui, en l’état, j’aurais perdu 20 % de mes recettes pour le même travail… et pour tenter de réduire cette perte, j’aurais dû passer des heures au téléphone avec les mutuelles (en gros),
  • Pour le médecin : si le patient oublie de payer/renouveler sa mutuelle, la différence c’est que le non-remboursé sera le médecin et non plus le patient (là-dessus, on peut imaginer que l’oubli par le patient pourrait être favorisé par une négligence de certaines mutuelles envers les patients trop « consommateurs » de soins, dans une dystopie),
  • Pour le médecin : c’est très compliqué d’avoir des contrats signés avec toutes les mutuelles existantes, et ça implique d’y consacrer quelques minutes au début de chaque première consultation,
  • (C’est clair qu’à court terme, c’est les médecins qui seront désavantagés ?)
  • Pour le patient, à court terme : aucun changement (quand je vois les pétitions à faire signer par les patients, je trouve ça relativement moche, vu que la moitié ne comprend sûrement pas l’appellation « tiers payant » – j’ai découvert le principe en 6ème année de médecine et je n’ai pas tout compris au fonctionnement des différentes caisses… d’ailleurs, il y a un jeu de mot dans le titre : le tiers payant, c’est la troisième personne (la sécurité sociale, qui paie les 2 tiers…) et pas le tiers du paiement… bref, vous pourriez au moins sourire avec des titres comme ça),
  • Pour le patient, à long terme : la mutuelle devient obligatoire (en même temps, qui n’en a pas en France…) et on peut imaginer des choses : une modification de la répartition part sécu / part mutuelle avec majoration de la part mutuelle et donc majoration de la cotisation par les patients ; un regard appuyé de certaines mutuelles sur les prescripteurs qu’elle rembourse (ne pas rembourser certaines prescriptions onéreuses, certains séjours, etc.)…

Tout ça m’amène à la réflexion suivante : je m’en fous.

  • A titre personnel : la loi n’oblige pas au tiers payant généralisé, elle oblige au tiers payant sécurité sociale en 2017 (et ça, je le fais déjà à qui le souhaite bien volontiers). Ensuite, je perds déjà de l’argent en masse : quelque soit l’évolution, je suis en début d’activité, je peux m’adapter à l’un ou l’autre – j’aurai toujours des pertes, que j’essaierai de minimiser de façon à avoir le meilleur ratio « argent récupéré / temps passé ».
  • La variable « LeProgrès » n’apparait nulle part… Si la loi passe, les lanceurs du premier logiciel qui saura faciliter la vie des médecins pourront se faire une aurification orchidienne bilatérale (un lecteur de carte vitale qui dit clairement quelle est la mutuelle du patient, si on a un contrat avec, et sinon, comment le passer par exemple). De la même façon, les mutuelles auront tout intérêt à être réglo là-dessus… Qui m’interdit d’afficher en salle d’attente : « j’ai un contrat avec les mutuelles suivantes (…), pour toutes les autres, réglez la part mutuelle de 6,90€ » ?
  • Pour les patients et le passage à un système de santé « privatisé » par les mutuelles… je crois que nous en sommes bien loin. Si on pousse un peu le curseur en augmentant le coût des mutuelles, il faudra revoir les critères de la CMU-complémentaire ou de l’ACS (des clients perdus pour les mutuelles, une prise en charge par la sécurité sociale… ça n’est dans l’intérêt de personne).
  • Quelque soit le gouvernement, l’estime par le peuple restera toujours une priorité (ne serait-ce que pour pouvoir se faire réélire et avoir une belle page Wikipedia)… J’imagine très difficilement qu’on puisse proposer une médecine au rabais et exclusivement réservée aux riches dans quelques années en France – le progrès va sans conteste dans l’autre sens (même si on a déremboursé des sirops et des collutoires, je pense vraiment que nous sommes mieux soignés en 2014 qu’en 2000).

Enfin, l’avantage énorme de la médecine générale, c’est que nous sommes « précieux » : suffisamment rares et utiles pour décider où on souhaite s’installer et comment on souhaite exercer ou arrêter d’exercer. Donc quiconque voudrait imposer un salariat ou une régulation de l’installation devra se lever de bonne heure, pour les années à venir. Le problème ne se serait jamais posé si nous avions été plus nombreux (donc bien joué pour le numerus clausus.)

Voilà… J’avais juste envie de parler un peu de tiers payant d’un point de vue de (très) jeune installé… Parce que quand même, je suis en grève donc je montre mon intérêt sur la question (enfin « le cabinet où je me suis installé au lendemain de mon internat au lieu de faire du remplacement comme tout le monde pour satisfaire mon contrat avec l’ARS » est en grève, pour être plus précis). Sur ce, je retourne à mon mémoire bibliographique sur la gestion des données manquantes par méthode de l’imputation multiple dans les études épidémiologiques de cohorte publiées sur la base MEDLINE depuis 2010… A l’année prochaine 😉

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A propos Michaël

Interne en médecine générale. Novelliste, scénariste de fictions sonores.
Ce contenu a été publié dans Une idée de la médecine (militantisme ponctuel). Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

9 réponses à Le tiers payant, le cinquième restant

  1. DOURIEZ dit :

    Bonjour,

    Je pense que cela est inutile pour vous mais, Pour info: Pour connaitre les droits sécu et cmu de vos patients relevant du régime général, il est possible de se connecter là: http://www.ameli.fr/professionnels-de-sante/medecins/index_rhone.php .
    Merci pour votre blog

    • Michaël dit :

      Bonjour,

      Merci ! Ca n’est pas si inutile, je n’ai créé mon espace pro qu’en fin de semaine dernière 😉
      Ca permet de passer outre les cartes non à jour, c’est déjà bon à savoir !
      Par contre, ça rajoute toujours un petit temps dans la consultation et pas forcément facile à utiliser : souvent, le règlement ou non de la consultation est une affaire déjà entendue… au pire, je coche les deux cases « n’a pas payé la part obligatoire / n’a pas payé la part complémentaire » et je regarde ce qu’il se passe (prise en charge par la mutuelle ou… bah 16,10€ c’est déjà pas si mal pour 15-20 minutes ;-)).
      (Et sinon, j’ai passé une nuit dans un château-pensionnat avec votre filleul il y a 2 mois, et on rangé un de ses potes dans un placard :D)

      Amitiés 🙂

  2. B. dit :

    Super article, très enrichissant.
    Merci !

    • Michaël dit :

      Content que ça te soit utile… J’essaierai de détailler vers mars 2015 mon début d’installation, je trouve ça intéressant/pertinent à partager. Je commence à avoir de la matière sur les alternatives méconnues pour un nouvel installé à mi-temps ! 😀

  3. sven337 dit :

    Ce qui m’ennuie avec le tiers payant pour les médecins, c’est que votre boulot, c’est de faire de la médecine, pas de l’administratif. Le secteur de la santé croule déjà sous la paperasse (je n’ai rien contre la sécurité sociale, je constate simplement), et je trouve ennuyeux qu’on forme un nombre restreint de médecins pour leur demander ensuite de passer un pourcentage non négligeable de leur temps à faire des tâches administratives.

    Après, je pense que vous avez raison de relativiser l’impact de cette décision. Tiers payant ou pas, au final, ça ne change pas *qui* paie, donc ça ne change pas grand chose à part déplacer le fardeau administratif sur les épaules du professionnel plutôt que sur celles du client.

    • Michaël dit :

      Tout à fait, d’autant que nous ne sommes pas du tout formés à l’administratif 🙁

      Ceci étant, je pense aussi qu’il faut prendre du recul sur l’exercice de la médecine actuel et ne pas oublier que nous sommes informatisés :
      – les feuilles de soins sont électroniques au lieu d’être manuscrites dans la plupart des cas (10-20 secondes gagnées par consultation facilement),
      – ce passage de la carte vitale remplit la comptabilité également (à part quelques vieux routards du livre-comptable qui font ça à la main le week-end, c’est un sacré temps de gagné !),
      – le remboursement est plus rapide par feuilles de soins électroniques,
      – les arrêts de travail / accidents de travail / maladies professionnelles (etc.) sont pré-remplis par nos logiciels, et peuvent se dupliquer à chaque fois (encore du temps de gagné),
      – l’informatique permet aussi de s’épargner l’organisation manuelle des archives, de récupérer les biologies en ligne, etc.

      Franchement, les soins ne vont vraiment pas si mal dans l’ensemble !

      … hormis dans les vrais déserts médicaux, qui se régleront tout seul après la fin du Papy Boom (prévu en 2020). Le numerus clausus a atteint son apogée il y a 8-9 ans, mais c’était 10 ans trop tard (il y a plus de sorties que d’entrées… jusqu’en 2020). Maintenant, les seules solutions actuelles, c’est empêcher les médecins d’aller travailler à l’hôpital pour venir en libéral en leur proposant des conditions d’exercice vendeuses, comme les maisons médicales par exemple, bien plus attractives que l’exercice médical en solo d’antan.

      D’ailleurs, ça me fait penser que le prochain gouvernement aura le gros lot : la fin du Papy Boom devrait diminuer les déserts médicaux, relancer l’emploi… la fête quoi ! 😉

  4. sven337 dit :

    On lit à plusieurs endroits que les médecins préfèrent de plus en plus le salariat à l’exercice libéral. C’est quelque chose d’assez stupide sur le plan financier et de la liberté personnelle (ce qui se prouve assez facilement et à quoi je consacre parfois un peu de temps lorsqu’un jeune médecin/orthophoniste/avocat me dit qu’il serait quand même beaucoup plus heureux s’il était salarié).

    Je me demande si une des raisons derrière cela n’est pas précisément la charge administrative qui pèse sur l’exercice libéral. Rien que l’aspect comptabilité est assez lourd (et coûte cher à l’économie française en productivité perdue), mais si on continue à rajouter des tâches non-médicales aux médecins libéraux, est-ce que cela ne va pas renforcer le désir de devenir salariés ?

    Il est vrai que l’informatique aide, mais d’un autre côté elle « pousse à la consommation » de tâches administratives. On n’aurait pas autant d’administratif dans l’économie s’il n’y avait pas l’informatique derrière… Cela me fait penser à cet essai, que j’avais trouvé très intéressant : http://strikemag.org/bullshit-jobs/

    • Michaël dit :

      Sans informatique, nous n’aurions pas autant de tâche administrative c’est vrai…

      C’est difficile de parler de « productivité » en médecine, puisqu’elle est quasiment infinie (tout le monde est toujours « malade », si on considère qu’un rhume est une maladie par exemple…)

      Je ne suis pas du tout pour le salariat pour ma part (je n’ai rien contre non plus, mais pas pour moi : j’ai choisi médecine (et médecine générale) pour être libéral et faire ce que je veux ;-))

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