Dans le train qui me ramène à mon cabinet, je lis l’article de 20 minutes « Le système de santé s’est grippé » et ses raisonnements à deux francs six sous. Je vous le résume en quelques citations en précisant ce qui m’énerve.
« Les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux ».
— La notion de déserts médicaux est tellement vague qu’on ne peut donner aucun chiffre : en France, c’est là où il y a 30 % de moins de médecins qu’ailleurs.
Pour voir un peu la démographie par spécialité en France en 2015, les chiffres sont là et pour rappel il n’y a jamais eu autant de médecins (et de patients) qu’aujourd’hui en France.
Un désert médical n’est gênant que s’il y a un retentissement sur les patients, pas à cause du fait qu’il y ait 30 % de moins qu’ailleurs. A l’extrême, si un français sur 2 était médecin, s’amuserait-on encore à dire qu’à Limoges (par exemple) il est scandaleux de ne compter qu’un médecin sur 3 habitants, soit 30 % de moins que la moyenne nationale de 1 sur 2 ?
Les premiers concernés ne sont pas les généralistes et de loin (seulement 5 % de la population est à plus de 15 minutes d’un médecin) ; ce sont les ophtalmologues, gynécologues, pédiatres, etc.
« A trois stations de RER près, on n’a pas le même accès aux soins (…) plus de 20 généralistes et 70 spécialistes pour 10 000 habitants près du jardin du Luxembourg alors qu’il y en a 10 à 12 fois moins à Bobigny ».
— Attention, la réponse à ce problème se trouve dans cette réflexion.
…
Oui, voilà. Rendre Bobigny aussi sympathique à vivre que les jardins du Luxembourg !
A noter quand même que 5 médecins généralistes pour 10 000 habitants, c’est loin d’être une situation exceptionnelle quand on s’éloigne un peu de Paris, et pour des gens qui n’ont pas pléthore de médecins à 3 stations de RER. Ni pléthore de RER, d’ailleurs.
« Faute de pouvoir aller chez le médecin, les plus précaires se rendent aux urgences. » / « Des gens pauvres, qui n’ont pas accès à une médecine de proximité, se voient diagnostiquer des cancers en phase terminale en se rendant aux urgences pour des difficultés respiratoires. »
— Les plus précaires ont la CMU-complémentaire. S’ils ne sont pas assez précaires, ils ont l’Aide pour une Complémentaire Santé.
Dans tous les cas, une consultation médicale de généraliste coûte 6,90 euros (un peu plus pour les spécialistes) si on fait un tiers payant simple (je ne parle pas du tiers payant intégral, je parle de cocher une case sur la feuille de soins – papier ou électronique –, faisable facilement pour tous les patients par tout médecin).
La situation est différente pour certains spécialistes qui font des dépassements d’honoraires ou sont en secteur 2 bien sûr… mais là, ça n’est pas un problème de lieu d’installation ni de « médecine de proximité ».
Je connais aussi des cas de patients qui se voient découvrir une maladie à sombre pronostic en passant par les urgences ou à l’hôpital, mais la cause n’était jamais « pas de médecin assez proche ». Plutôt une errance diagnostique, un nomadisme médical, un refus de soins par les patients…
« En vingt ans, le nombre de passages aux urgences a doublé » indique Hugues Nancy, co-réalisateur du documentaire.
— Je vais parler de mon hôpital de proximité, sachant que c’est globalement pareil partout. Je le connais un peu, parce que j’y ai travaillé, j’ai participé également aux CME (commissions médicales d’établissement). Elles m’ont été assez pénibles, je ne l’ai jamais caché, mais aussi instructives sur l’aspect administratif d’un hôpital.
Naïvement, je pensais que le seul but de cette structure était la santé, les soins. Faux : l’hôpital est géré par des vrais chefs d’entreprise. Leur but premier reste la santé des patients (je crois sincèrement que c’est leur vrai objectif) ; mais ça passe par acheter des IRM, embaucher du personnel soignant, des médecins, ouvrir des services, agrandir l’hôpital… Pour ça, il faut de l’argent : et là, ça peut passer par des vraies offensives guerrières pour absorber l’activité de pédiatrie délaissée de la clinique concurrente voire piquer des patients à l’hôpital voisin de 30 minutes.
Dans cette optique saine de gagner de l’argent, TOUT séjour hospitalier demandé après examen clinique, interrogatoire, etc. par un médecin généraliste passe par les urgences (genre « allo, coucou, mon patient a une tétraparésie depuis 2 semaines, il faudrait qu’il soit hospitalisé dans le service de neurologie » → « ok, faites-le passer par les urgences »).
Un passage aux urgences apporte évidemment de l’argent à l’hôpital avec 2 systèmes : un forfait de 25€ par patient venant aux urgences à condition qu’il n’y ait pas d’hospitalisation derrière (plutôt ceux qui viennent sans avis médical) et un autre forfait selon le nombre de passages annuels qui ne dépend pas, lui, de l’hospitalisation qui peut s’ensuivre (annexe 10 de ça).
Si on arrête déjà de faire passer les gens relevant clairement d’une hospitalisation par les urgences, l’activité peut redescendre de 25 % peut-être (nombre complètement aléatoire)… sauf que si les urgences rapportent moins d’argent, les moyens alloués et le personnel seront réduits d’autant. C’est rigolo comme système, non ? Quand on a une réflexion financière sur « grossir l’hôpital », on ne peut qu’augmenter l’activité. Et – ô désespoir – ça, ça n’est absolument pas du ressort des médecins généralistes qui peuvent invoquer tous les dieux de l’Inde et la Grèce antique sans jamais réussir à faire admettre un patient dans un hôpital sans passer par les urgences.
« Les gens ne viennent pas à l’hôpital pour rien, ils ont besoin de voir un médecin, mais n’y ont pas accès, ou ne peuvent pas avancer les frais de consultation », précise Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France.
— Alors déjà, les gens viennent parfois à l’hôpital pour rien, médicalement parlant ; ils ne viennent jamais pour rien, selon eux. La dizaine d’urgentistes que j’ai croisés pensent ça.
Pour l’accès financier au médecin, voir au-dessus.
Pour l’accès physique, je pense qu’on se fout UN PETIT PEU de la gueule du monde en laissant sous-entendre qu’un patient n’a pas accès au médecin mais a accès aux urgences. Dans ma région considérée désertée ou presque, c’est simple, il y a un hôpital à 30 minutes de tout le monde, et un médecin généraliste à 3 ou 5 minutes en voiture. Dans les alpages ou en plein cœur de la Creuse, il n’y a pas de service d’urgences pour relayer des médecins généralistes.
Bref, un peu de bon sens, merci.
« L’une des solutions serait de remettre en cause le principe de liberté d’installation des médecins généralistes, comme pour les enseignants en début de carrière »
— Graaaaaaaaaaastpoahotaophqosgo. Ergh.
Bon, d’accord, je vais développer.
Un médecin généraliste a passé 1 concours d’entrée et 1 concours préparé sur 3 ans qui lui a potentiellement fait changer de région académique (ECN en 6ème année, à 24 ans, quand les enseignants ont déjà un an d’ancienneté), il peut ensuite s’installer à 28 ans, trouver un logement qui lui convient, payer un loyer, être taxé forfaitairement par l’URSSAF, la CARMF, et que sais-je ; à ce moment, il doit donc réfléchir à s’installer dans un lieu où il aura l’assurance d’avoir suffisamment de patients pour avoir une activité viable et pour, pourquoi pas, acheter une maison, perpétuer l’espèce humaine et faire grandir sa progéniture dans des coins qui lui apparaissent sympas (campagne pour certains, ADSL et fibre optique pour d’autres).
Et alors pour désamorcer tout de suite le classique « les études sont payées, il doit faire ce que l’Etat lui dit », je rappelle que je m’en gausse avec de puissants et gutturaux « Ahahah ». Pour ceux qui n’ont pas suivi, l’Etat est obligé en 2015 de suivre un décret européen, après s’être fait remonter les bretelles, pour que le temps de travail des internes soit limité à 48 heures par semaine (pour 1300-2000 euros par mois selon les gardes), afin notamment de leur laisser du temps libre pour la formation obligatoire de 80 heures par an et leur thèse. Ca ne sera évidemment pas respecté partout, et ça fait suite à 3 ans d’externat où un stage à mi-temps – avec un vrai rôle utile à l’hôpital souvent – est payé 100 à 250 euros par mois (et 20 euros par garde). Donc, nada, l’Etat ne m’a rien apporté que je ne lui ai déjà rendu au moins en grande partie, ce qui est sûrement loin d’être le cas de toutes les écoles.
Alors peut-être qu’après tout ça, certains vont chercher le soleil ou la proximité d’un cinéma. Bon. Est-ce bien une raison pour supporter la demande de restriction de liberté d’installation ?
D’ailleurs, c’était le propos du Professeur Vigneron en 2012 : » On ne peut pas les obliger à tout quitter à la fin de leurs études déjà longues pour aller s’installer là où le système a besoin d’eux. » Bon, je pense aussi qu’il n’a pas trop intérêt à critiquer cette liberté d’installation vu son parcours : chargé de recherche en Polynésie française (1982-1991), maître de conférences à Lille/Liège (1991-1994) et professeur à Montpellier (1995-2015)…
La liberté d’installation pleine et entière à la fin des études est un problème.
« Il faut (sic) développer des structures intermédiaires, entre le cabinet médical et l’hôpital, prescrit Claude Le Pen, économiste de la santé. A l’instar des centres de santé pluridisciplinaires (…) qui sont salariés par les collectivités ou par l’Etat. »
— J’ai travaillé dans 2 centres de santé pluridisciplinaires géographiquement proches, mais assez opposés dans l’esprit. Personne n’était salarié de la collectivité déjà.
Il y a une mode à la création de ces structures depuis quelques années ; toutefois, avant qu’un économiste n’ordonne de suivre le mouvement, on peut peut-être rappeler que rien ne dit que ça réduit les coûts de santé publique, que ça augmente la qualité de vie des patients ou quoi que ce soit. Oui, c’est intéressant d’avoir plusieurs modes de travail possibles ; de là à ce qu’un économiste dise qu’il « faut » des structures « entre le cabinet et l’hôpital », je crois que c’est encore une vision très hospitalière de la situation de ville…
« Même si le système de soins français n’est pas parfait, il reste très bon, tempère Hugues Nancy. Il est innovant et le plus égalitaire possible. »
Merci. Au Québec, un désert médical c’est une zone sans médecin à 200 km à la ronde. En France, c’est moins de 30 % de la moyenne nationale. C’est un problème, mais ne mettons pas tout sur la liberté d’installation des médecins.