Plusieurs fois par mois, je me pose la question « quel antidépresseur je vais bien pouvoir mettre à M./Mme X sachant qu’il/elle est très ralenti(e), a une insomnie, a déjà essayé tel traitement, prend facilement du poids… ? »
Bref, c’est un peu compliqué… Il y a des pelletées d’antidépresseurs avec (prétendument ?) des effets différents : certains sont plutôt sédatifs, d’autres stimulants…
Dans les études, il ne semble pas y avoir de vraies différences entre les antidépresseurs sur les échelles de dépression (il y a surtout des différences en termes d’effets indésirables – par exemple les effets cardiaques des imipraminiques ou des IRSNa, les hyponatrémies des IRS…)
Néanmoins, comment choisir le premier antidépresseur à prescrire ?
Fin avril, j’ai vu passer ce tweet (et ses réponses) :
#docstoctoc Connaitriez-vous un bon site/article/tableau sur les différents type d’antidépresseurs ? poke @DrSerotonine@Psydufutur#merci
— Rifampicine (@rifampicine) 29 avril 2016
Avec les réponses suivantes :
@Matt_Calafiore @rifampicine @DrSerotonine @Psydufutur dans médecine aussi, et sur ameli (cout), sans doute prescrire.Souvent sertraline 1er
— DrJohn (@DrJohnFa) 29 avril 2016
@rifampicine @DrSerotonine @Psydufutur 2/2 En résumé : sertraline et escitalopram sont les mieux de manière générale
— Calafiore Matthieu (@Matt_Calafiore) 29 avril 2016
@rifampicine @Matt_Calafiore @DrSerotonine fluo stimulante, citalopram si angoisse ++
— Docdu59 (@MahlerNord) 29 avril 2016
@Jaddo_fr @rifampicine pic.twitter.com/npqyDtZJuR
— Docdu59 (@MahlerNord) 29 avril 2016
@L_Arnal @MahlerNord @Jaddo_fr @rifampicine @drjulienc je crois que Prescrire conseille la Sertraline plutôt
— Pauline (@P_Mzb) 29 avril 2016
@MahlerNord @Jaddo_fr @rifampicine @drjulienc Y’a aussi une version anglaise sous forme de fiche : https://t.co/9cXHoj6YEd
— Dr L’Arnal (@L_Arnal) 29 avril 2016
Du coup, j’ai fait un petit bilan de tout ça, en complétant avec d’autres sources (citées en fin d’article) :
- Inhibiteur sélectif de recapture de la sérotonine (ISRS) :
- citalopram, escitalopram : pas mieux que les autres ISRS mais avec des risques cardiaques (élargissement du QT)
- fluoxétine : stimulant, arrêt peu compliqué, peu de prise de poids, avec des « indications » dans la fibromyalgie et l’intestin irritable…
- sertraline : assez similaire, mais avec plus d’effets indésirables a priori (diarrhées, céphalées, tremblements…)
- fluvoxamine : un peu sédatif, sinon assez proche de la fluoxétine
- paroxétine : indiqué dans les troubles anxieux généralisés ; deux gros défauts : troubles de la libido (plus encore que les autres ISRS) et arrêt plus difficile.
- Inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa) :
- duloxétine : un peu stimulant, faible prise de poids, utile chez les patients douloureux (quelques essais dans la fibromyalgie…) ; comme les autres IRSNa, il est écarté par la revue Prescrire à cause des effets cardiaques de la Noradrénaline (HTA notamment)
- milnacipran : proche, avec moins d’effet étudié sur les douleurs
- venlafaxine : par rapport à la duloxétine, plus difficile à arrêter et plus de troubles de libido apparemment…
- un antidépresseur « autre » :
- agomélatine : personne ne sait trop pourquoi c’est encore commercialisé (troubles hépatiques, risque suicidaire… c’est en vente depuis 2009 mais ça n’a jamais décollé),
- mirtazapine (ou son prédécesseur miansérine) : le plus sédatif, le plus rapide à agir, avec peu d’interaction, peu d’effets digestifs… mais une prise de poids plus importante.
- tianeptine, vortioxétine : plus récent, moins connus
- un tricyclique ou imipraminique :
- amitryptiline : a l’avantage d’être actif dans les douleurs neuropathiques
- clomipramine : indiqué dans les TOC et TAG (troubles anxieux généralisés) – le seul en dehors des ISRS
- imipramine, dosulépine, doxépine, trimipramine : à peu près comme les deux précédents mais sans leurs AMM hors dépression
- amoxapine, maprotiline : moins d’effets indésirables anticholinergiques, moins de prise de poids
- un IMAO sélectif A (moclobémide), ou un IMAO non sélectif (iproniazide) : old school, ne sont plus utilisés (on a mieux)
Autrement dit, en fonction des souhaits du patient :
- « Je ne veux pas grossir » : fluoxétine (attention à la libido) – duloxétine (attention à la TA)
- « Je veux que ça me stimule » : fluoxétine – sertraline (attention à la libido et diarrhées) – duloxétine
- « J’ai des TOC » : fluoxétine – fluvoxamine – sertraline – paroxétine – escitalopram – clomipramine
- « Tout me stresse en permanence, j’ai un TAG (en plus des TOC ou pas) » : paroxétine (attention à la libido et arrêt difficile)
- « J’ai des douleurs partout » : fluoxétine – duloxétine – paroxétine
- « Je veux que ça me sédate » : miansérine/mirtazapine (attention au poids)
- « J’ai des troubles de la libido, je ne veux pas que ça aggrave » : miansérine/mirtazapine – duloxépine
- Et en deuxième intention, après avoir essayé plusieurs ISRS, on peut envisager un tricyclique (attention aux effets anticholinergiques, sédation, prise de poids, hypotension orthostatique et effets cardiaques avec allongement du QTc)…
Ca vaut ce que ça vaut ! Vous êtes libre de commenter à loisir (je sais notamment que la duloxétine et la mirtazapine sont à écarter/n’apportent rien de nouveau pour Prescrire).
Mais c’est « ma » fiche aujourd’hui, à partir d’un simple recopiage, à partir de sources qui proposent des résultats parfois différents, en adaptant aux AMM françaises…
Je ne suis pas revenu aux articles originaux qui ont permis d’arriver à ces propositions et je n’ai pas creusé plus que ça… J’essaie d’en tirer quelques petites règles qui pourront m’aider pour mes prochains choix.
Note. Quelques petites règles pour mémoire (histoire de ne pas vendre dans ce billet le message « 1 dépression = 1 médicament ») :
- la psychothérapie, c’est bien et c’est parfois suffisant seul ;
- dans les cas les plus « graves » (mélancolie délirante, risque suicidaire élevé), l’électroconvulsivothérapie sous anesthésie et curarisation est possible (3 séances de quelques secondes par semaine pendant 6 semaines, sous curare : les gens tremblotent un peu, mais ça n’est pas Frankenstein) ;
- en général, les ISRS sont recommandés en première intention ; les IRSNa sont aussi recommandés en première intention, notamment dans les dépressions sévères ; les antidépresseurs tricycliques sont recommandés en deuxième ou troisième intention, notamment dans les dépressions sévères ;
- les antidépresseurs sont débutés à petite dose (cette règle peut se discuter dans le cas d’un switch d’une molécule à une autre, où on peut préférer choisir la posologie équivalente immédiatement) ; c’est notamment important pour les troubles digestifs (nausées, vomissements, diarrhées) causés lors de l’instauration ou augmentation de posologie des ISRS et IRSNa ;
- il est intéressant d’utiliser une échelle d’évaluation, notamment pour le suivi (par exemple le test d’Hamilton) ;
- l’efficacité des antidépresseurs apparait en général vers 2 semaines ;
- évidemment, le patient (la patiente) peut être revu(e) en consultation plus précocement : un suivi hebdomadaire semble assez raisonnable au début, à adapter au cas par cas…
- un éventuel changement d’antidépresseur ne s’envisage vraiment qu’après 4 semaines (si le patient ne trouve pas d’effet ou, plus objectivement, en cas de réduction du score de Hamilton < 25 %) ;
- à 6-8 semaines, le score d’Hamilton doit être réduit (amélioré) de 50 % ; sinon, c’est (théoriquement) une indication à changer d’antidépresseur ;
- dans 60 % des cas, le premier antidépresseur sera « le bon » ; pour les 40 % restant, il faudra faire quelques essais ;
- un changement de molécule se fait souvent avec chevauchement sur 2 semaines (réduction de posologie de l’ancien, augmentation progressive du nouveau) ; dans certains cas, il peut se faire directement (par exemple au sein d’une même classe – parfois à des posologies moins fortes – ou pour passer d’un ISRS à un IRSNa) ;
- il est parfois recommandé d’attendre 2 semaines après le précédent antidépresseur (voire 5 semaines après la fluoxétine), avant de débuter un traitement par IMAO – si pour une raison mystérieuse vous voulez prescrire un médicament qui interdit de manger des vieux fromages ;
- une fois le « bon médicament trouvé », les symptômes disparaissent en général entre 6 semaines et 3 mois ; néanmoins, un antidépresseur est instauré pour une durée minimale de 6 mois (risque de rechute précoce sinon) ;
- pour un troisième épisode dépressif, la durée minimale recommandée est de 2 ans (à dose efficace, pas 6 mois puis 1 jour sur 3…) ;
- les ISRS ont aussi une indication dans les TOC et sont efficaces partiellement chez 50 % des patients environ : l’effet est jugé vers 12 semaines (dont 6 à dose maximale tolérée), avant une éventuelle rotation des ISRS ; l’arrêt est possible, avec diminution d’un quart de comprimé par mois (si prise > 1 an) ou d’un quart de comprimé par semaine (si prise < 1 an) ;
- tous les antidépresseurs ont des effets indésirables : hyponatrémie (surtout les ISRS mais en fait tous), élévation de l’intervalle QTc (surtout les tricycliques mais en fait tous), hypotension orthostatique (surtout les tricycliques mais en fait tous), effet anticholinergique (surtout les tricycliques, mais aussi les IRSNa par effet de la noradrénaline sur le système autonome), levée d’inhibition et risque suicidaire à l’introduction (discuté, certains recommandent une anxiolyse importante les premières semaines, notamment chez les jeunes), syndrome sérotoninergique… ;
- il faut penser à l’intervalle QTc à un moment… Notamment chez les personnes plus âgées, avec une hypokaliémie (ou hypomagnésémie), un risque de surdosage (insuffisance rénale ou hépatique, dénutrition ou interactions médicamenteuses), et d’autres médicaments allongeant le QT (neuroleptiques, macrolides…) ;
La prochaine fois, j’essaierai de faire un panse-bête sur les pansements 😉
EDIT du 4 novembre. On peut sans doute « sauver » dans cette liste la sertraline en alternative à la fluoxétine par exemple (http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD006117.pub4/full — Andrea Cipriani, citée dans les commentaires, a d’ailleurs fait le même type d’article pour plusieurs antidépresseurs).
Pour certains, c’est d’ailleurs le traitement de première intention en raison surtout de cette méta-analyse ; en l’état actuel, avec ce que j’ai pu lire, je reste encore pour ma part sur mon quinté « fluoxétine – paroxétine – mirtazapine – duloxétine – amitryptiline » qui me semble assez bien répondre aux différentes situations que je rencontre.
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Sources (désolé, la plupart sont en accès réservé et j’ai la flemme de faire plus détaillé… c’est donc plus pour moi que pour vous ;-)) :
- http://www.vidal.fr/recommandations/1567/depression/traitements/
- https://www.uptodate.com/contents/switching-antidepressant-medications-in-adults
- http://www.uptodate.com/contents/unipolar-major-depression-in-adults-choosing-initial-treatment
- Décisions partagées de la clinique Mayo (novembre 2013) : http://shareddecisions.mayoclinic.org/files/2013/11/CURRENTiADAPT_cards_P11-28-11.pdf
- Individualiser le traitement antidépresseur, par le Dr Eric Teboul (cf. tweets)
- http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/guide_medecin_troubles_anxieux.pdf
- La Revue Prescrire
Et pour switcher sans accro : http://wiki.psychiatrienet.nl/index.php/SwitchAntidepressants
😉
Oh mon Dieu, ce site est génial ! Merci beaucoup 🙂
Belle synthèse. Mais en terme EBM c’est plus compliqué ( ou peut être en fait plus simple)
Il y a des études qui démontrent l’efficacité des ATD dans le traitement de l’EDC modéré à sévère
Aucune ne démontre la supériorité de l’un sur les autres.
La méta analyse de Cipriani ( qui montre une supériorité d’efficacité de la sertraline) est contredite par une méta analyse incluant les articles non publiés ( et donc avec une absence d’efficacité démontrée)
Il n’y a pas d’étude fiable sur l’utilisation d’IRS plutôt sédatif, plutôt stimulant selon la situation clinique.
Les tricycliques font aussi bien que les IRS mais sont moins bien tolérés et donc entraînent plus d’arrêt de traitement.
Les IRS NA ne sont pas plus ou moins efficaces ni plus ou moins bien tolérés que les IRS.
Tous les IRS et IRS NA sont potentiellement » torsadogènes » mais sertraline fluoxétine moins et citalopram escitalopram plus
En conclusion choisir un ATD est compliqué ou très simple
éviter les risque torsade pointe
choisir un de ceux qui restent et essayer
changer en cas d’effet secondaire spécifique à la molécule (sédation et mirtazipine, stimulation et fluoxetine)
ensuite oublier tous les autres
Merci Bertrand 🙂 Belle synthèse également… c’est plus court que mon pavé !
J’ai volontairement laissé de côté la comparaison de l’efficacité (un comble !) vu qu’il n’y a visiblement pas de « meilleur » à l’heure actuelle.
Et pour oublier les autres, j’ai commencé : je n’en retiens plus que 5 sur les 25 commercialisés en France.
Ping : Exercer en médecine libérale | Le blog de MimiRyudo
J’avais trouvé ceci qui sont des études faites par Bichat-Lariboisière, mais cela date de 2009, même si l’on voit que les conclusions générales sont assez semblables
Je ne sais pas si cela peut être utile.
http://www.bichat-larib.com/revue.presse/revue.presse.resume.affichage.php?numero_resume=44
Je suis sous ATD depuis des années, si longtemps que…
En ce qui me concerne, je ne sais pas évaluer mon état. Au fil du temps et de mes diverses réactions (arrêts, changements) « on » (le doc et moi, il est généraliste) en a déduit que je souffre davantage d’un « terrain dépressif » que d’une véritable dépression.
Je suis arrivée sur ce site parce que je veux changer de molécule, suite à une prise de poids importante et contre laquelle « le reste » n’a pas fonctionné.
Je suis sous paroxétine depuis un moment déjà, je vais demander à mon doc de passer sous fluoxétine. Il me semble qu’il me fallait un ATD sédatif plutôt que stimulant. Mais depuis le temps, j’ai changé, j’ai évolué…
A voir donc.
J’ai envisagé le millepertuis mais cela demande des connaissances que je n’ai pas, et mon doc non plus.
J’envisage aussi d’arrêter l’ATD. Les précédentes tentatives ont échoué.
Merci en tout cas pour toutes ces infos, j’ai pris des notes !