Monthly Archives: mars 2019

[FMC] Fiche « troubles digestifs et colopathie »

Pour moi, certains symptômes ou pathologies peuvent devenir des casse-têtes en médecine générale… Je pense aux pathologies qui gênent et traînent (ce qui n’est pas trop tolérable à notre époque d’immédiateté) : ça passe par le rhume, la coiffe des rotateurs, les épicondylites, lombalgies, ou les « colopathies » (et autres inconforts digestifs).

Ces problèmes peuvent devenir des casse-têtes lorsque le patient reconsulte en disant « ça ne marche pas ». Le but est à la fois (à mon sens) de proposer/négocier un traitement (médicamenteux ou non) qui puisse être efficace, sans faire n’importe quoi, et en ayant un raisonnement à peu près cohérent à chaque fois que le même problème se présente…

Et pour ça, rien de tel que se faire des fiches pour proposer des « réponses graduées ». C’est ce que je vous propose aujourd’hui avec la fiche « colopathie / troubles digestifs ».

La fiche est évolutive : je propose initialement les conseils non médicamenteux, puis en cas d’échec, je propose la suite, etc. (je n’imprime pas l’ensemble pour donner au patient donc).

Elle est principalement issue des 3 sources suivantes (peu de littérature scientifique pour cette fiche à l’heure actuelle – mais si vous avez des infos plus fiables, ou tout autre commentaire, je suis extrêmement preneur ^^) :

  • https://www.cregg.org/espace-patients/nutrition/motricite-et-nutrition-2/
  • https://www.passeportsante.net/fr/Nutrition/Dietes/Fiche.aspx?doc=diete-fodmap
  • http://francoistournay.fr/fodmap/

Comme d’habitude, la fiche sous cette forme est libre ici ; comme elle est quand même pas mal reprise des 3 sources ci-dessus, je vous invite à les citer si vous la reprenez pour un usage autre que pour vos patients… 🙂

 

Allez c’est parti ! Cette fiche part du principe qu’on est sur un « inconfort digestif / ballonnement / colopathie fonctionnelle ». Evidemment, il faut également envisager au début et en cas d’échec les diagnostics différentiels (dont les cancers colo-rectaux, les troubles du comportement alimentaire qu’on peut aborder avec le questionnaire SCOFF, etc.).

 

NIVEAU 1 : CONSEILS

EN CAS D’INCONFORT DIGESTIF (plénitude gastrique dès le début du repas, éructations, nausées… = 10 % de la population ; ballonnements = 30 %)

– Limiter les vêtements trop serrés au niveau de la taille

– Si possible, faire 3 repas à heures fixes dans des conditions de confort (à l’écart du bruit et de la télévision)

– Prendre le temps de manger, bien mâcher

– Eviter la prise du même aliment en excès

– Eviter de boire à la paille

– Boire environ 1,5 litre de liquide par jour (sans se priver mais pas en excès)

Limiter les boissons gazeuses, les chewing-gums, le café, l’alcool, le tabac

Limiter les repas abondants, les plats épicés, 

– Limiter les aliments riches en polyols (chewing-gums, bonbons, produits allégés et 0%…)

Limiter les repas riches en graisse :

— éviter les graisses cuites (préférer l’huile d’olive et le beurre cru), 

— éviter les oeufs fris et omelettes (privilégier les oeufs à la coque, pochés ou durs), 

— éviter les viandes en sauce, abats, gibiers, charcuteries (privilégier les viandes rouges ou blanches grillées, rôties, bouillies ou le jambon blanc)

— éviter les poissons fumés ou marinés dans l’huile (privilégier les poissons grillés, au cours bouillon ou en papillote)

 

EN PLUS, EN CAS DE BALLONNEMENTS (30 % de la population) 

– Corriger un éventuel trouble du transit sous-jacent (constipation, diarrhée), une prise de poids récente

– Pratiquer une activité physique régulière (améliore le transit des gaz)

Limiter l’excès de fibres : céréales (pain au son, pain complet, céréales…), fruits et légumes secs, crudités, légumes fibreux (choux, choux-fleurs, brocolis…), féculents (pois, haricots, fèves, lentilles, couscous…)

– Essayer de voir si certains aliments augmentent les douleurs (produits lactés, etc.) : par exemple, remplacer les céréales classiques par des produits à base de farine d’avoine, maïs ou riz ; limiter les pâtes de blé et le couscous et privilégier le riz, quinoa, millet ou sarrasin

 

NIVEAU 2 : EN CAS D’ÉCHEC : 

– Arrêter les aliments riches en lactose pendant au moins 2 semaines (test) : lait, produits laitiers (yaourts), fromages (notamment frais ou à pâte molle), crème, glace… 

– En absence d’amélioration à 2 semaines, il est inutile de poursuivre ce régime d’exclusion

 

NIVEAU 3 : EN CAS D’ÉCHEC :

OPTIFIBRE PDR BTE 125G (gomme du guar)

1/2 cuillère matin et soir. 

En augmentant progressivement jusqu’à 3 cuillères par jour (maximum). 

Pendant 1 mois.

 

NIVEAU 4 : EN CAS D’ÉCHEC, RÉGIME FODMAPs (glucides Fermentiscibles : Oligosaccharides tels que fructane et galactans, Disaccharides tels que lactose, Monosaccharides tels que fructose en excès, And Polyols tels que sorbitol, mannitol, xylitol et maltitol). Ce régime peut être accompagné par un(e) diététicien(ne). 

Etape 1 – Pendant 2 à 6 semaines, éliminer tout FODMAPs jusqu’à disparition des symptômes : 

fructanes : 

—– fruits (pomme, melon, pêche, brugnon, abricot, nectarine, kaki, figure, datte, pruneaux, grenade), 

—– légumes (ail, oignon, échalote, vert du poireau, champignon, salsifis, choux de Bruxelles, fenouil, aubergine, asperges, betterave…), 

—– céréales (blé, seigle, orge, kamut ; notamment pâtes, biscuits, couscous, barres de céréales) ; 

—– divers : chicorée, pissenlit, inuline, pistaches

(remplacer les céréales classiques par des produits à base de farine d’avoine, maïs ou riz ; limiter les pâtes de blé et le couscous ; privilégier le riz, quinoa, millet ou sarrasin)

galactans : 

—– légumes (courges, betteraves, pois, choux de Bruxelles), 

—– oléagineux (noix de cajou, pistaches), 

—– légumineuses (pois chiches, haricots rouges, lentilles, fèves…), 

—– divers : soja, cacao en grande quantité, condiments (houmous, tzatziki, ketchup, pesto, sauces et épices avec ail et oignons)

fructose : 

—– fruits (cerises, tomates séchées ou concentrées, coing, figue, goyave, mangue, melon, pomme, poire, nectars de fruits, fruits en conserve, confitures), 

—– légumes (asperge, coeur d’artichaut, pois sucrés), 

—– produits sucrés (sirop de maïs, miel, fructose, bonbons), 

—– alcool (vins liquoreux, rhum, liqueur et porto)

disaccharides (lactose) : lait de vache et chèvre ; fromages frais, crème, yaourt

polyols : 

—– fruits (abricot, avocat, cassis, cerise, melon, mûre, prune, pruneaux, pêche, pomme, poire, noix de coco, litchi, nash, nectarine), 

—– légumes (champignon, choux-fleu, pois, maïs sucré, choux de Bruxelles, céleri), 

—– produits sucrés (chewing-gums, bonbons et chocolats sucrés), 

—– produits avec les édulcorants sucrants suivants : sorbitol (E420), mannitol (E421), isomalt (E953), maltitol (E965), lactilol (E966), xylitol (E967), érythritol (E968), polydextrose

– Donc que manger ? 

— fruits à faible teneur en fructose (O/M) à la fin du repas ; pas en prise isolée dans la journée : agrumes (orange, citron, clémentine, pamplemousse – hors interaction médicamenteuse), fuits exotiques (ananas, banane, fruits de la passion…), baies et fruits rouges (fraises, framboises, canneberges, groseilles, etc.), melon, kiwi, raisin ; on limite les jus de fruits à 125 ml (1/2 verre) ; limiter les fruits et légumes séchés

— légumes à faible teneur en fructose et riches en amidon (O/M) : pomme de terre, patate douce, salade (laitue, cresson, mâche, endive…), choux (frisé, brocoli, savoie…), poireaux, tomates, carottes, courgettes, épinards, courges, fèves, haricots…

— produits laitiers pauvres en lactose (D) : laitages sans lactose, « laits » ou yaourts végétaux (amande, riz, soja, coco – attention, ne convient jamais aux nourrissons !), fromages vieux (cheddar, parmesan, gouda), fromages et laitages de brebis, crème fouettée, crème de coco

— céréales faciles à digérer : pain au levain, pain sans gluten, quinoa, riz et dérivés (galettes de riz, pâtes de riz, craquelins…), maïs et dérivés (tortilla, maïzena, polenta), sarrasin, millet, sorgho, farine d’avoine… 

— éventuellement, sucres pauvres en fructose (O/M) et polyols (P) en quantité raisonnée : sucre blanc, cassonnade, confiture sans fructose, sirop d’érable, chocolat, stévia (2 sachets par jour), sucralose

— viande, volaille, poisson, tofu, thé, tisanes, épices et condiments (sel, poivre, basilic, gingembre, menthe, origan, thym, persil, romarin… éviter ail et oignon), huiles végétales (olive…)

— se méfier des produits à 0 % ou allégés (riches en polyols) 

Etape 2 – Evaluer l’efficacité

– Si le régime n’est pas efficace à 6 semaines, il est inutile de poursuivre ce régime d’exclusion.

– Si le régime est efficace (dès 2 semaines), il faut ensuite réintroduire les aliments pour éviter les restrictions inutiles et dangereuses, et connaître les quantités qu’il est possible de consommer sans symptôme

Etape 3 – Tests de réintroduction 

— réintroduire un groupe alimentaire par semaine (en testant 2 à 3 fois par semaine, avec une journée de repos entre chaque)

— réintroduire en dehors des repas habituels pour bien identifier les symptômes (à jeun ou 2 heures avant un repas) 

— réintroduire en augmentant graduellement la quantité en arrêtant dès l’apparition de symptôme modéré,  

— si les symptômes réapparaissent, réintroduire après leur disparition en essayant de diminuer la portion de moitié ; si les symptômes ne réapparaissent pas, l’aliment peut être réintroduit entièrement

Par exemple : 

— semaine 1 : réintroduction d’un polyol fruit : 3 mûres le lundi, surveillance le mardi – 5 mûres le mercredi, surveillance le jeudi – 10 mûres le vendredi, surveillance le week-end 

Si les symptômes réapparaissent le samedi, noter que la consommation de 5 mûres est possible sans symptôme. Si les symptômes ne réapparaissent pas, réintroduire sans limitation. 

— semaine 2 : réintroduction d’un autre polyol légume : 1 tasse de champignon ou céleri (100 g) le lundi, 2 tasses le mercredi, 3 tasses le vendredi… 

— semaine 3 : réintroduction du lactose : lait (250 ml) ou yaourt (200g)

— semaine 4 : réintroduction du galactan : petits pois ou fèves

— semaine 5 : réintroduction du fructane : baguette ou couscous ; dattes ou melon

— semaine 6 : réintroduction du fructose : miel (5 ml) ou mangue

 

NIVEAU 5 : à ce stade, éventuellement, on peut tenter le pro-biotique…

ALFLOREX SYMBIOSYS GELULE 30

1 gélule par jour pendant 40 jours.

 

NIVEAU 6 : SI PERSISTANCE, TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE :

A nouveau, il faut ré-envisager les diagnostics différentiels ! 

Mébévérine chlorhydrate 200 mg comprimé 

1 comprimé 2 à 3 fois par jour avant les repas avec un grand verre d’eau.

ou

Pinavérium bromure 100 mg comprimé 

1 comprimé matin et soir au milieu des repas avec un verre d’eau. Maximum 3 comprimés par jour.

ou éventuellement

Alvérine citrate + siméticone 60 mg/300 mg capsule ( METEOSPASMYL )

1 capsule 2 à 3 fois par jour au début des repas ou au moment des douleurs.

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La tristitude médicale (avec de vrais morceaux de karaoké !)

Il y a quelques années, j’ai écrit quelques billets sur la « tristitude » d’être externe (ma première nuit en chambre mortuaire, ma nuit sur une table de gynécologie, les « missions » des externes, etc.) ; récemment, j’ai écrit quelques billets sur la pratique médicale actuelle et ce que je pense de la loi Santé 2022 pour la médecine générale (en septembre, en février et la semaine dernière).

Il était temps de combiner tout ça en musique ! ^^

Crédits Instrumental : La Tristitude, par Oldelaf (je vis en 2011-2012, mais c’est la faute de Couple, Tamica et Grushkov qui ont sorti leur « Sonitude » en février 2019 !)

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Former plus, mieux et avec moins : équation difficile pour 2022

On a parlé récemment de la Loi Santé 2022, qui apporte des solutions aux problèmes, et révèle parfois des problèmes à partir des solutions.

Par exemple, à un moment, la solution proposée est « on va donc supprimer le numerus clausus* ».
(*le nombre de places ne va pas augmenter subitement car il y aura toujours un manque physique de places et de personnel, et chaque université devra donc fixer son propre « numerus clausus » en concertation avec l’ARS.)

Si le problème était « il manque de médecins formés », la solution serait « on va augmenter le numerus clausus (de 20 % par exemple) et donner des moyens concrets aux universités pour le faire ».
Si le problème était « à cause du NC, on ne peut pas trop diversifier les voies d’accès », la solution serait « on va augmenter les passerelles et le taux d’étudiants venant d’ailleurs que la santé » (c’est déjà ce qui est prévu).
Si le problème était « la PACES est un gâchis humain », la solution serait « on va mieux préparer/prévenir les participants à ces Hunger Games, on va créer davantage de passerelles de sorties et de réorientation… » (ce vers quoi on tend je crois) ; on pourrait imaginer des sélections à l’entrée, sur dossier et/ou entretien, avec le risque majeur que ça représente en discrimination (c’est un problème qui existe b), et donc en perte de « liberté » (d’accès) et d' »égalité » (anonymat du concours), qui sont quand même des mots assez importants je crois.

Bref, la suppression du NC est une solution… mais à aucun problème. Ou alors un seul qui me semble évident : « les gens vont se rendre compte que la pénurie de médecins est de notre faute (en plus ils ressortent des vieux articles argh), mais si le NC est officiellement supprimé, au ministère on pourra dire qu’on n’est pas responsables »… le tout sans augmenter les moyens ! 

Certes nous n’avons pas davantage besoin d’un NC en médecine que dans d’autres disciplines, qui s’organisent comme ils l’entendent pour sélectionner et limiter les accès… mais maintenant que la pénurie médicale est créée secondairement aux choix passés du NC, il faut au minimum assumer ces choix plutôt que se retirer et laisser les autres gérer.

Bref, cette loi peut révéler en filigrane les problèmes perçus par le ministère. Et parmi ces problèmes, il y a la question de la qualité des soins. 

Dans la loi santé, on ne parle pas de « développement professionnel continu ». Mais on parle dans l’article 3 sur la re-certification des compétences.

Je trouve ça bien, la recertification régulière des compétences : dire « à partir de 2022, les jeunes vont être certifiés régulièrement », c’est s’assurer que dans 15-20 ans, on aura fait le nécessaire pour avoir des généralistes aux « compétences » proches partout sur le territoire.

Mais si la solution est « il faut certifier les jeunes en priorité », c’est que le problème est :

  • « les jeunes ne sont pas compétents »… Ce qui pose question : les enseignants des départements de médecine générale se forment déjà à « la certification de compétences », donc les compétences des jeunes à la sortie de l’internat ne sont pas censées être douteuses. C’est un peu comme mettre le clignotant : on le fait quand on vient d’avoir le permis, et parfois on prend de mauvaises habitudes avec l’assurance et l’automatisation des gestes…
  • « on n’arrivera pas à changer les plus anciens, tant pis ; on se fiche des 15 ans à venir, ce qui compte, c’est après »… ce que j’imagine mal du gouvernement (potentiellement en exercice pendant cette période ; la vision à long terme est rarement ce qui est privilégié…) On peut toutefois imaginer que le gouvernement ait été mis au courant de la démographie médicale actuelle, un peu en creux (à cause du NC et de son évolution dans les années 80-90), et qu’ils se disent que « faire sortir de leur zone de confort » (^^) les médecins installés risque d’augmenter les déplaquages et aggraver la situation.

Néanmoins, si le vrai problème est de recertifier des gens qui « flirtent avec l’irrationnel » aujourd’hui par exemple, peut-être qu’on pourrait commencer par allumer la télé et se dire qu’il faut cibler (sur les émissions de télé, sur les prescriptions… soyons créatifs) et ne pas se cantonner d’abord aux jeunes médecins… Là encore, on a l’impression qu’on a un objectif (« recertifier les médecins ») mais qu’on ne se donne pas les moyens de le faire vraiment.

Assez naturellement, on peut supposer que les « certificateurs » seront des enseignants des départements de médecine générale qui se forment déjà à « la certification de compétences ». Comme je fais (plus ou moins) partie de cette catégorie, je peux légitimement poser la question : qui va recertifier les certificateurs ?
Comment s’assurer que les certificateurs auront tous la même façon de recertifier les compétences ?
Est-ce que nous devrons appliquer à la lettre toutes les recommandations de la HAS, même celles critiquées par les sociétés savantes ?
Est-ce que notre ROSP sera utilisée pour certifier nos compétences, avec tout ce que ça signifie comme moyens pervers possibles d’augmenter nos compétences (statistiquement) en faisant moins bien in fine ?
Est-ce que nous aurons des « experts qualité » qui vérifieront le nombre de litres de sérum hydro-alcoolique utilisé dans notre cabinet à l’année ? (On sait que ça marche vachement bien :D)

Plein de questions qui se posent. Mais l’une des plus importantes, c’est : avec quel argent ? Parce que – eh -, on est des libéraux, et quand on s’absente pour se « recertifier », 1/ on ne soigne pas les gens, 2/ on ne gagne pas d’argent.

C’est là qu’on va parler du développement professionnel continu (DPC) et des enveloppes pour se former quand on est professionnel de santé. Je vais parler uniquement des médecins généralistes, parce que c’est le seul que je connais ; je crois que c’est exactement pareil pour les autres professionnels.

La formation médicale continue est une obligation depuis l’ordonnance Juppé du 24 avril 1996 (rappelée dans la loi du 4 mars 2002) ; elle a été remplacée par la DPC dans la loi HPST du 21 juillet 2009, et elle représente une obligation pour tous les professionnels de santé (au moins 2 formations sur 3 ans depuis 2017).

En 2019, les 1,7 millions de professionnels de santé disposent d’une enveloppe annuelle de 173 M€ (soit 100€ par professionnel de santé en moyenne) ; dans cette enveloppe globale, 90 M€ sont dédiés aux 220 000 médecins (soit 410€ par médecin). Cet argent paie la formation en premier, puis indemnise ensuite le médecin qui se forme et est donc absent du cabinet. Il y a plus de 15 000 formations existantes, répondant aux exigences de l’Agence Nationale du DPC (ANDPC). Chaque médecin peut théoriquement suivre 21h de « développement professionnel continu » (DPC) et en moyenne 7h de DPC « hors quota » (en fait 21h de hors quota sur 3 ans).

Ca c’est la théorie.

En pratique, voyons ce que ça donne avec 5 exemples:

  • Initiation à la maîtrise de stage de troisième cycle de médecine générale : 2 jours (14 heures) : 1330€ pour la formation (630€ d’indemnisation pour le médecin – en honoraires donc du « super-brut » où 40% partiront en charges sociales ou retraite, calmons-nous).
  • Certifier la compétence en équipe de Département de MG : 2 jours (14 heures) : 1200€ pour la formation (630€ d’indemnisation)
  • Diagnostic du SAOS et lecture de polygraphies ventilatoires – perfectionnement : 1 jour (8 heures) : 580€ pour la formation (450€ d’indemnisation). 
  • Nouveau DES et certification : Améliorer la réflexibilité des internes grâce aux Groupes d’Echanges de Pratiques : 1 jour (7 heures) : 665€ pour la formation (315€ d’indemnisation)
  • La dermatoscopie en médecine générale : 1 jour (6 heures) : 665€ pour la formation (315€ d’indemnisation)

A ce stade, normalement, vous vous dites « eeeuuuuh 410€ par médecin, mais près de 1000€ pour la moindre formation, ça ne risque pas de poser un léger problème ? »

Bah si (what a surprise !).

Sur les 220 000 médecins en France, environ 51 000 suivent au moins une formation (25 %). Malgré cela, le 12 août 2016 et le 7 novembre 2018, les enveloppes ont été suspendus pour les médecins (en 2017, l’enveloppe n’a pas été entièrement consommée – hourra ! -, mais c’était la première année de l’obligation « triennale » qui s’achèvera fin 2019).

Pour être maître de stage des universités (MSU), il faut assister obligatoirement à la formation S1 de 14 heures (Initiation à la maîtrise de stage de troisième cycle de médecine générale) ; pour accueillir un étudiant en SASPAS (rendu obligatoire par la réforme 2017), il faut également suivre les formations S3, S4, S5 de 14 heures chacune (supervision directe, supervision indirecte, SASPAS). Il faut donc 56 heures de formation pour être MSU d’internes, soit 2 ans d’enveloppes pleines… Si le SNEMG n’avait pas oeuvré pour le maintien du hors quota, ça serait même 2,7 ans d’enveloppes pleines !

Sauf que les MSU ont aussi une « redevance pédagogique » et doivent donc se former à « améliorer la réflexibilité par les GEP », etc. sans même compter les besoins/envies de formation pour soigner… (on est soignant avant d’être enseignant quand même). Il y a quelques années, les médecins avaient 50-56 heures de formation annuelles (7-8 jours). Si on n’arrive pas à donner les moyens nécessaires pour continuer à former plus de 25 % des médecins, vouloir ajouter une couche au gâteau me semble faire preuve d’une folle assurance…

On ne peut pas demander toujours plus (plus de MSU, plus de formation, plus de recertification…) tout en donnant moins. Ca n’est même pas une question d’argent pour les médecins (315€ d’indemnisation pour 1 journée d’absence au cabinet, ça ne compense pas évidemment, mais c’est déjà ça, on s’en fiche un peu). C’est vraiment une question de possibilité : parce que si l’enveloppe est épuisée, l’organisme de DPC ne peut pas nous accueillir gratuitement… donc on ne peut pas se former (enfin si, on peut mais il faut dans ce cas débourser 600€ la journée pour avoir le droit de ne pas travailler au cabinet, autant vous dire que je préfère partir en week-end ^^).
C’est vraiment ridicule : même en disant « ok je quitte mon cabinet, je ne bosse pas ce jour-là, je fais 600 km en voiture aller-retour, je me réserve 2 nuits d’hôtel » ça ne suffit pas, on ne peut pas se former parce qu’on n’a pas le budget (ou alors à des tarifs exorbitants).

En 2022, on va donc augmenter le nombre de médecins formés mais sans augmenter les moyens à l’université, et on va recertifier les (jeunes) médecins mais sans augmenter les moyens de développement continu. 

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