Mon congé paternité s’est achevé, j’ai repris les visites hier et les consultations ce jour…
« Bonjour, vous pouvez entrer… Installez-vous. Qu’est-ce qui vous amène ? »
Au cabinet, j’accueille tous mes patients ainsi. C’est devenu une phrase qui rythme mes journées depuis (bientôt) 9 ans. Quand j’arrive en visite au domicile d’un patient, il m’arrive régulièrement d’en prononcer une partie par automatisme.
Je ne sais pas quand j’ai adopté cette ritournelle. Peut-être pendant mes stages d’interne en médecine générale, entre 2012 et 2014 — ou peut-être juste après, en 2015. Vous savez comment c’est : on s’installe seul et paf, on commence à radoter !
« Qu’est-ce qui vous amène ? »
Un suivi de maladie chronique, avec la réévaluation, l’adaptation ou le renouvellement éventuels du traitement. Une addiction à prendre en charge.
Une maladie aiguë. Une infection à COVID-19, une autre infection respiratoire, ORL, digestive, cutanée… Un traumatisme, une entorse, une possible fracture. Un problème de vaisseaux, de nerfs, de ligaments, de peau, de tendons…
Des soucis psychologiques, un problème social, une énigme administrative à résoudre. Un parcours de soin à coordonner. Un document à remplir pour un assureur qui ne devrait pas le réclamer mais qui bénéficie d’une belle tolérance ordinale pour attenter au secret médical de tous les patients du pays.
Le suivi d’un nouveau-né, d’un bébé, d’un enfant. Des vaccins. De la prévention, du dépistage. Un implant à poser ou à retirer. Une grossesse à prévoir, annoncer ou suivre.
Parfois un seul de ces motifs, parfois deux, parfois tous à la fois.
« Qu’est-ce qui vous amène ? »
Ce n’est évidemment pas la seule option d’approche. On peut tenter un « ça va ? », mais il risque d’aboutir à un « oui » laconique ou un « non » logique (en France, on va rarement voir son médecin quand ça va)… Il existe bien d’autres questions, ouvertes cette fois, comme « que puis-je faire pour vous ? », « de quoi souhaitez-vous me parler aujourd’hui ? » ou autre phrase d’accroche. Peu importe celle qui est choisie : elle deviendra sans doute une ritournelle au fil des ans…
« Qu’est-ce qui vous amène ? »
Je pose cette question puis je me tais. J’essaie en tout cas… 30 secondes, 1 minute parfois… Je me tais pour plusieurs raisons : déjà, parce qu’en fait je cherche à ouvrir le dossier médical, à la date du jour ; ensuite parce qu’il faut que le patient puisse exprimer avec ses mots le(s) premier(s) motif(s) de sa venue sans être interrompu toutes les 15 secondes. J’en note les idées principales, je sépare les motifs en autant de paragraphes que nécessaire… J’écris beaucoup, mais je tape assez vite, ça compense. Parfois, quand je me souviens pourquoi le patient a pris rendez-vous, je le guide ; ce n’est pas l’idéal, mais personne n’a jamais prétendu faire des consultations idéales et parfaites.
Ensuite, j’enchaîne avec ma deuxième ritournelle : « est-ce qu’il y a autre chose qui vous amène ? »
Très souvent, il y a autre chose. Un bouton dans le dos, qui ne fait pas mal et auquel on ne pense plus. Un certificat médical pour un sport à haute intensité comme les échecs. Un renouvellement annuel de pilule, qui mérite qu’on s’y attarde si on veut prendre le temps de bien faire les choses.
Tous ces motifs annexes — ou parfois principaux — que le patient oublie sur le chemin, en salle d’attente ou devant le bureau du médecin, et qui finiraient au service des motifs oubliés, s’il existait.
Parfois, le patient lit un papier ; parfois il récite la liste des motifs en les comptabilisant sur ses doigts pour ne pas en oublier… parfois encore, il improvise parce qu’il n’a pas anticipé qu’on pourrait parler d’autre chose que de son motif principal. Peu importe : l’essentiel est qu’à la fin, les problèmes relevant de mes compétences soient pris en charge.
« Est-ce qu’il y a autre chose ? »
Encore un motif. Un nouveau paragraphe.
« D’accord, on va en reparler. Est-ce qu’il y a autre chose ? »
Non, cette fois, nous avons fait le tour. Très bien, alors revenons maintenant sur chaque motif évoqué, et essayons de les développer…
Cette discussion que nous avons, pour recueillir et préciser les symptômes fait partie de l’examen clinique. C’en est la première partie ; la deuxième, c’est l’examen physique, qui sera ciblé sur les symptômes : inspection, palpation, percussion et auscultation, selon les besoins du moment. J’essaie d’éviter la ritournelle gestuelle par contre, et de ne pas ausculter et prendre systématiquement la tension si ça n’est pas pertinent… évidemment, il m’arrive de le faire, parfois pour de bonnes raisons, parfois par habitude, parfois parce que ça s’apparente à un folklore nécessaire et réclamé sans lequel la consultation, eût-elle pu durer 30 minutes, n’aurait pas eu lieu.
L’examen clinique s’achève… Nous tenons une ou plusieurs hypothèses diagnostiques. Parfois, nous complétons avec un autre examen au cabinet : un test antigénique pour la COVID-19, un test streptococcique pour l’angine, une analyse d’urine, une spirométrie, un ECG, un test de mémoire, etc. Tout ça va renforcer ou minorer nos hypothèses…
Certains examens peuvent être réalisés ailleurs auprès d’un autre confrère (biologiste au laboratoire d’analyse, radiologue en cabinet d’imagerie, autre spécialiste en libéral, à l’hôpital ou en clinique privée) ; il faudra que le médecin et le patient se mettent d’accord sur cette prise en charge (inutile de prescrire un examen que le patient n’ira pas réaliser), puis il faudra coordonner le tout avec un courrier, voire une prescription médicale de transport, puisque cette aberration existe toujours (nous contrôlons ici que les ambulanciers ne facturent pas des transports inexistants ou non pertinents).
Et puis quand tous les motifs ont été transformés en hypothèses diagnostiques (ou en diagnostics certains parfois), qu’une conduite à tenir a été proposée et acceptée pour les principales, que l’ordonnance (éventuelle mais fréquente) est prête à imprimer, je repose la question…
« Est-ce qu’il y a encore autre chose ? »
Parce que parfois on oublie… Oui, finalement, il y avait autre chose. Alors, on recommence ce qui n’a pas été fait, avant de conclure la consultation.
« Vous réglez comment ? En espèces, en chèque ? En totalité, en tiers payant ? »
C’est ma dernière ritournelle… Même si avec les années, je finis par savoir qui règle comment…
Pendant que le patient range ses affaires et prépare le règlement, je profite parfois de cette petite minute pour jeter un œil à un courrier reçu ou un bilan biologique qui arrive au compte-goutte tout l’après-midi… Je glisse un courrier dans le scanner pour le numériser. Ca passe inaperçu, mais il faut rentabiliser le temps médical.
Il y a quelques jours, à Davos (pour présenter entre autres cet article canular de 2020), j’ai découvert avec amusement que les médecins Suisses étaient rémunérés au temps médical, en présence ou absence du patient (incluant donc le temps de lecture des courriers, les appels téléphoniques ou e-mails pour ajustement de traitement par exemple). Ce n’est pas du tout le modèle français ; les deux ont évidemment leurs avantages et leurs inconvénients… En France, le système tient en partie grâce aux actes « gratuits » réalisés par les professionnels de santé.
Il est temps de raccompagner le patient jusqu’à la porte de sortie et lui souhaiter « bonne journée »… Je jette un œil en salle d’attente : il reste des masques à disposition des patients (il est obligatoire au cabinet), du « sérum hydroalcoolique » (le nectar des solutés, pas un qui colle ou qui reste 3h !), la radio diffuse une musique sympa… et je n’ai pas de retard.
Le patient est sorti. J’enchaîne avec le suivant.
« Bonjour, vous pouvez entrer… Installez-vous. Qu’est-ce qui vous amène ? »