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[FMC] Protoxyde d’azote en tant que drogue récréative

Parlons du protoxyde d’azote et de ses dangers en tant que drogue récréative…

Le protoxyde d’azote : c’est quoi, et on en trouve où ?

Le protoxyde d’azote est l’oxyde nitreux (N2O, nitrous oxide en anglais), le « proto », le « gaz hilarant », les #Whippets ou #HippyCrack en anglais.

Le N2O est présent :

  • dans l’atmosphère (puissant gaz à effet de serre, favorisé par les engrais azotés)
  • dans les flacons de MEOPA pour anesthésie (notamment aux urgences pédiatriques)
  • dans certains moteurs à combustion (kits NOS)…

Il est également en vente libre en tant que gaz de compression pour les cartouches de siphon (chantilly !). Plein de marques : « cream deluxe », « infusionmax », « Fastgaz », « Smilewhip »… Ce sont ces cartouches de siphon qui sont utilisées à visée récréative (drogue).

Il existe plusieurs modes de vente :

  • capsule métallique de 8g (qui jonche les rues des grandes villes) : 50 cents €
  • cartouches, bonbonnes (environ 80-100 cartouches) voire obus / « tank » depuis peu.

On trouve ça en vente sur internet pour un prix assez faible…

Les consommateurs vident le gaz dans un ballon de baudruche, puis l’inhalent. Un ballon est réalisé avec 8g environ (1 capsule) mais il existe vraisemblablement une marge importante lors de la vente « au ballon »…

Depuis quand le N2O est utilisé à visée récréative ?

Le N2O a été découvert en 1772, utilisé dans les foires comme « gaz hilarant« , puis en dentisterie au XIXème siècle comme anesthésiant. En 1961, il est utilisé pour la 1ère fois en obstétrique. Le 1er cas d’abus mortel date de 1960 (femme de 19 ans).

Entre 1999 et milieu des années 2000, le dispositif TREND (@OFDT) observe des usages de protoxyde d’azote dans le milieu festif techno-alternatif en France (ballons à 1-2€). Il disparait puis refait son apparition vers 2017 à Lille, Bordeaux, Paris.

Evidemment, la France n’est pas la seule touchée. Le début des signalements à Lille vers 2017 n’est sans doute pas étranger à la proximité avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni, où c’est également une pratique en augmentation.

Il est intéressant de voir que les tweets sur le sujet sont apparus vers 2011. L’un d’entre eux cite l’épisode de Nip/Tuck diffusé en 2011 où un perso « s’éclate » au protoxyde d’azote.

Apparition de la mode en 2011 sur Twitter
Déjà évoqué en 2009 dans un épisode de Nip/Tuck

Courant 2016, une revue de littérature a fait le point sur les nombreux cas signalés et les conséquences de ces consommations de protoxyde d’azote. Bien sûr, ce ne sont « que » les cas publiés.

Comment ont évolué les consommations en France récemment ?

Les centres d’addictovigilance et de pharmacovigilance (@Reseau_CRPV) ont rendu plusieurs rapports à @ansm dont le dernier en date était de novembre 2021. Ces rapports ont conduit à des synthèses de l’ANSM, du DGS…

Ces rapports donnent une idée de la consommation en France :

  • 47 cas en 2019, 254 en 2020 (évidemment sous-déclaré !)
  • 68 % hommes – médiane 21 ans (de 14 à 53 ans)
  • de + en + régulier (30 % usage quotidien)
  • de + en + important (34 cas prenant > 100 capsules/jour !)

En juin 2022, il y a eu un communiqué des centres d’addictovigilance qui appelaient à sensibiliser largement :

  • nombre de cas remontés x 10 depuis 2019
  • nombre d’atteintes neuro x 3 entre 2020 et 2021
  • de + en + d’usage pour anxiolyse/défonce

Cela a été rappelé en décembre 2022 par les CEIP sur leur bulletin commun… En janvier 2023, l’ANSM a proposé une nouvelle synthèse avec document d’aide au diagnostic pour les médecins. Les chiffres ont peu évolué : 22 ans, 58 % masculin…

Dernière synthèse ANSM en janvier 2023

Pour le suivi, on peut voir sur Google Trends un certain cycle dans les requêtes (juillet-août et décembre).

Tendance sur Google

Enfin, outre Twitter, Google Trends et les circuits classiques (addictovigilance et publications), l’analyse des forums peut aussi être une piste pour faire de la « cyberpharmacovigilance » ou « cyberaddictovigilance ». C’est ce qu’on a fait sur un forum de bodybuilder sur le dopage…

Mais… si c’est juste un gaz hilarant, pourquoi empêcher les gens de s’amuser ?

Parce que le protoxyde d’azote a de nombreux effets indésirables graves !

Et cette drogue a le mauvais goût d’être addictive. Comme dit plus haut, certains consomment beaucoup (jusqu’à 400 capsules par jour !). C’est un point discuté dans l’édito de la lettre de pharmacovigilance de Lille en mai 2022.

Les effets recherchés par les consommateurs sont :

  • euphorie, hilarité, distorsion des perceptions (« courses de moto / conduite automobile excitante »)
  • anxiolyse, défonce, planer, oublier (associé à alcool/cannabis)
  • antalgique (colopathie fonctionnelle…)

Cela s’explique par ses propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques qu’on peut résumer ici en 2 mots :

  • absorbé (en 5 min) et éliminé (en 30 min) par voie pulmonaire
  • ça passe dans le sang en 5 min (effets au niveau cérébral, sur les récepteurs morphiniques, dopaminergiques, etc.)
Pour en savoir plus…

Les risques immédiats sont :

  • asphyxie (oedème pulmonaire massif par irritation de voies aériennes)
  • perte de connaissance (surtout sur épilepsie apparemment, ou si polyconsommation)
  • accidents de la route
  • brûlures : doigts, bouche, cuisse si bonbonne (froid du gaz)
  • attaque de panique, délire, amnésie,
  • vertiges / sensation d’ébriété,
  • nausées, vomissements ; fausses routes (perte du réflexe de toux par le froid),
  • fatigue
  • troubles du rythme cardiaque, douleurs thoraciques
  • etc.

Il existe aussi des risques plus tardifs, dans le cadre d’un abus répété, dont :

  • perte de poids
  • fatigue persistante
  • insomnie
  • troubles de l’érection,
  • anémie, baisse des plaquettes et globules blancs
  • thromboses veineuses,
  • troubles neurologiques dont une perte de force et de sensibilité (picotements, engourdissements), un syndrome pyramidal (parésie spastique, comme après un AVC) et des troubles de l’équilibre Bref, un tableau de sclérose combinée de la moelle (combiné = pyramidal + cordonal postérieur)
Souvenirs de sémiologie neurologique

D’autres troubles neurologiques sont décrits : convulsions, tremblements… Pour visualiser, il y a ce récent témoignage via @afpfr ou celui-ci dans cet article du Point.

https://twitter.com/afpfr/status/1527756298036576260

Pourquoi le N2O entraîne ce genre de symptômes ?

  • le N2O oxyde les ions cobalt de la vitamine B12, qui devient inactive
  • la B12 transforme l’homocystéine en méthionine normalement… donc le N2O augmente l’homocystéine (prothrombotique) et diminue la méthionine, essentielle à la myéline (donc démyélinisation).

C’était un sujet détaillé dans la lettre de pharmacovigilance de Toulouse. La démyélinisation (périphérique et centrale) est responsable de polyneuropathie sensitivomotrice, myélite, ataxie proprioceptive, névrite optique

Quelle prise en charge ?

  • Si urgence, le 112 (ou 15)
  • Symptomatique : vitamine B12 +/- B9
  • Etiologique : aider à l’arrêt (MG, consultations jeunes consommateurs au CSAPA, @DroguesInfo au 0800231313)
  • Epidémiologique : déclaration en addictovigilance (http://signalement-sante.gouv.fr)
  • Sociétale : depuis le 1er juin 2021, la vente est interdite aux mineurs, dans les débits de boissons et de tabac en France. Dans les actions qui pourront être menées, les centres d’addictovigilance (et @ansm) incitent à poursuivre le recueil et le suivi, informer, limiter l’accès.

En résumé, pour le médecin généraliste…

Devant des troubles neuro chez un jeune (ataxie proprioceptive, paresthésies…), penser à interroger sur la consommation de protoxyde d’azote.

Penser à doser B12 et homocystéine (parfois B12 préservée mais inactive !)

PS : Image mise en avant par MJ Jin de Pixabay. Ce billet a été publié sous forme de fil Twitter en mai 2022 :

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