(Ce billet est la reproduction actualisée de mon fil Twitter de septembre 2022).
Bon, un thread sur la fameuse « mesure phare » d’ajouter 1 an d’internat pour aller sauver les déserts médicaux… Depuis quand ça date, quels ont été les nombreux arguments (et critique de ceux-ci).
Historique… qui remonte à 2008 ! 🧶
2008 à 2015 : et si on faisait un DES à 4 ans ?
2008 : @ISNARIMG discute un internat en 4 ans pour :
– avoir la même taille que les autres spés (😬)
– permettre un DESC qui ne rogne pas (gériatrie, urgence… argument qui n’a plus lieu depuis la disparition des DESC)
– être plus professionnalisant
2012 : la Commission de la vie de l’étudiant écrit : « pour un DES en 4 ans, il est suggéré d’introduire une formation en management, droit, SHS afin d’apporter des compétences adaptées à leurs futures missions ».
(Et compta, administratif ? Non…🤦♂️)
2015 à 2018 : les enseignants disent « oui mais », les étudiants disent « non »
2015 : @CNGE_France et @LeSNEMG militent pour un DES en 4 ans. 5 arguments principaux qu’on va détailler (et commenter) dans les 5 tweets suivants…
1. « mettre en place une formation réellement professionnalisante »
Ah, on va apprendre à être « chef d’entreprise » la 4ème année ?
En quoi on l’apprendrait mieux en étant interne que collab/associé/autre ?
Plus professionnalisant que 6 mois de SASPAS, c’est installé pour moi…
2. « parfaire la formation des futurs médecins généralistes de demain »
Primo il manque d’enseignants en MG (et aucune perspective de recrutement).
Secundo, le modèle des MG c’est ✨la réflexivité✨… un interne qui se forme lui-même mais qui a besoin d’une 4ème année ?
3. « qualifier des professionnels aptes d’emblée à assurer les missions de soins primaires dans les territoires » et « proposer une maquette de stage plus riche en stages ambulatoires. »
Super projet, faisons ça sur les 3 ans d’internat déjà : passons de 2 à 3 stages ambulatoires.
4. « harmoniser la formation de médecine générale avec les autres spécialités ».
Ca, c’est vraiment un concours de taille… On peut aussi dire que notre formation est plus efficiente si elle tient en 3 ans que 4.
Et puis quelle est la limite : pourquoi 4 si 5 ou 6 c’est mieux ?
5. « assurer des soins de qualité pour l’ensemble de la population, lutter contre les inégalités sociales et géographiques de santé »
Absolument aucune preuve qu’une 4ème (5è…) année augmenterait le nombre d’installations, la qualité des soins ou la lutte contre des inégalités.
A noter que finir plus tard ne permet de s’installer plus tôt…
D’ailleurs les installations se sont fait de plus en plus tardives au fil des années et avec les allongements de l’internat (2 ans avant 1997, 3 ans depuis 2001).
2015 : @SNJMG dit « oui, mais… » et réclame :
– 2 semestres pour gynéco/ped (au lieu d’1)
– SASPAS systématique (déjà le cas)
– faciliter la recherche/inter-CHU
– lever « les dernières discriminations injustifiées entre la MG et les autres spécialités »
2018 : @ISNARIMG dit « oui mais » s’il y a :
– une formation optimale : nombre suffisant de stages ambulatoires (MSU), et d’enseignants généralistes
– une révision de toute la maquette pour s’adapter au parcours de formation de l’étudiant
En 2018 et 2019, environ 70 % de 175 et 825 médecins (a priori non représentatifs de quoi que ce soit) étaient contre cette 4ème année (respectivement @EgoraInfo et @LeGene_hebdo).
2019 : le CNGE trouve que la formation est insuffisante, les étudiants ne veulent toujours pas d’une 4ème année
2019 : le @CNGE_France souhaite augmenter l’internat à 4 ans, et voit ça pour 2021 !
3 arguments principaux sont avancés dans l’article en lien :
1. ‘ »Sur le plan pédagogique, la formation en DES de MG est actuellement insuffisante en 3 ans ».
Quels objectifs ?
A combien d’internes « incompétents » sommes-nous avec un internat à 3 ans ? (comment c’est défini ?)
A combien voulons-nous être avec un internat à 4 ans ?
Nous sommes en 2023, le DES à 4 ans a été validé, et à ma connaissance, aucune de ces questions n’a de réponse. On peut donc directement réfléchir à un DES à 5 ans sur le même argument : « 4 ans ça n’est pas assez par rapport à 5 », et enchaîner avec 6, 7, 8 ans… tout en prônant la réflexivité et la formation continue.
2. « N’étant pas en situation professionnelle pendant une longue durée, beaucoup d’internes ne se sentent pas prêts à s’installer »
Comme mentionné plus haut, @ordre_medecins a interrogé 15300 jeunes MG en 2019 : 75 % aspirent à l’installation, 35 % le font à 5 ans de rempla…
Dans la même enquête, les 2 grands déterminants à l’installation étaient :
– des services publics ;
– la proximité familiale.
Ce qui permet de se rendre compte que les internes et jeunes médecins sont en réalité des êtres humains normaux. C’est d’ailleurs bien illustré avec l’installation à proximité de la faculté, où il y a des services publics et où les internes, à 27-28 ans en sortie d’études, ont généralement commencé à avoir une vie familiale, amicale, etc. Notons que « se voir imposer un lieu pour boucher les trous » n’apparaissait pas en tête, désolé pour les députés qui continuent à croire à la coercition.
3. « La gestion du cabinet, c’est un peu un fantasme. Les médecins ont des comptables. L’apprentissage de la médecine, ce n’est pas l’apprentissage de la comptabilité. »
Ca n’est donc pas si clair si c’est un semestre « professionnalisant » avec la gestion du cabinet ou pas…
(En vrai, je suis un peu d’accord : chaque MSU le fait d’une façon différente… l’interne n’aura pas toujours une vision flatteuse de ce backstage du cabinet et ça sera autant incitatif qu’un frein, selon le niveau de procrastination et de propension à être débordé du MSU…)
Il y a aussi dans cette interview, l’assurance que « les internes de serviront pas de bouche-trou : nous avons des MSU formés »…
Regardons maintenant les avis d’internes :
– en 2008, 52 % de 923 internes étaient contre
– en 2013, 55 % de 1 508 internes étaient contre (voire 60 % pour ceux ne voulaient pas de DESC…)
– en 2018, 78 % de 664 internes étaient contre (39 % contre, 39 % d’accord si la 4ème année est optionnelle)
Donc la situation fin 2018 :
– les internes sont contre
– leur intersyndicale associative est plutôt pour
– les enseignants sont pour
– les politiques comprennent rien mais s’ils peuvent dire à leurs administrés « j’ai trouvé des médecins pour vos campagnes », ça les branche…
2019 : nouvel argument : une 4ème année « pour les territoires »
En mars 2019, le CNGE aborde un nouvel argument : « l’augmentation du nombre de MSU (10700 dont 9100 pour le 3ème cycle en 2019) va permettre la mise en place de la 4e année du DES de médecine générale : c’est une solution attractive forte pour l’exercice dans les territoires.«
En juin 2019, un amendement est déposé au Sénat pour que « la dernière année du troisième cycle (soit) une année de pratique ambulatoire en autonomie, en priorité dans les zones (où l’offre de soins est insuffisante). »
Aussitôt, les boucliers sont levés en guide de réponse au Sénat :
– pour @ISNARIMG : « Le Sénat marche sur la tête et préconise de brader la formation des médecins ! »
– pour @LeSNEMG : il faut un projet ambitieux de 4ème année :
– pour @CNGE_France : la « solution aux problèmes démographiques pour les patients est la 4e année du DES de MG dans les territoires », en précisant que cet amendement est une très bonne idée, mais inapplicable et dangereux pour la formation sans 4ème année.
– enfin @agnesbuzyn, ministre de la Santé en 2019, se disait défavorable « pour l’instant » à une 4ème année de MG pour l’instant, en absence de consensus.
2022 : le « quiproquo » des étudiants dans les déserts
Et donc… nous voici en septembre 2022 avec une séquence de communication politique ridicule, comme les Macronistes en ont l’habitude (en gros, on teste dans la presse, et si jamais ça se passe mal on dit que les gens n’ont pas compris).
Le 23 septembre, le JDD titre « EXCLUSIF. Le gouvernement va envoyer de jeunes médecins généralistes dans des déserts médicaux » : « Les étudiants seront encouragés à aller exercer dans les territoires les moins bien dotés en médecins, à la campagne, centres-villes ou banlieues. « C’est le levier le plus rapide qu’on ait trouvé pour améliorer l’accès aux soins » ».
(Rappelons ici que s’il y a des zones sous-dotées, c’est lié aux politiques de santé imprévoyantes des 3 dernières décennies suivant le raisonnement hautement malin : « pas de médecin, pas de dépenses de santé, donc des économies »…)
Dans la majorité parlementaire, toujours pas de consensus apparemment… certains craignent découragement et « perte de vocation ».
Le 25 septembre, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, détaille ses motivations :
C’est un festival d’approximation :
– « c’est la seule spécialité à 3 ans » (toujours le concours de celui qui pisse le plus loin)
– « sans la phase de consolidation, ils ne peuvent pas exercer en autonomie supervisée » : on a depuis des années un SASPAS qui veut littéralement dire « stage (ambulatoire en soins primaires) en autonomie supervisée… »
– « cette absence de phase de consolidation est une faiblesse qui ne favorise pas une installation immédiate » : rien, nulle part, personne ne peut dire qu’avec une année de plus, les internes s’installeront plus vite ! On l’a même vu plus haut, c’est sûrement l’inverse…
– « ce sera encouragé dans les territoires les moins pourvus ».
Le 2 octobre, suite de la séquence de communication poliitque donc, avec cette fois François Braun, l’oubliable ministre de la Santé de l’époque, qui répondait dans Ouest-France que « ce ne sera pas une 4ème dans les territoires »…
… puis le 18 octobre 2022, @BrunoRetailleau a fait adopter au Sénat une proposition de loi pour que la 4eme année soit dans les déserts médicaux.
A noter ici qu’en 2026, la France sera un désert : c’est encore le creux de la démographie médicale…
Et pour avoir un maître de stage, il faut qu’il y ait un médecin…
On imagine bien qu’il y a un aspect politique à avoir des internes qui exercent une année de plus « dans les territoires » à compter de novembre 2026, avant des Présidentielles en avril 2027…
… et à la fin, le 49.3 officialise la 4ème année de médecine à partir de 2023
Le 14 octobre 2022, du 28 octobre au 1er novembre, les 14 et 17 novembre 2022, les étudiants se sont mobilisés contre le projet de loi de finances de la sécurité sociale 2023 (PLFSS) et son article 23, actant la mise en place de la quatrième année de médecine générale.
Et donc le 2 décembre 2022, « après six motions de censure rejetées et cinq recours à l’article 49.3 par la Première ministre Elisabeth Borne, la quatrième année (dès la rentrée 2023 !) a été officialisée par l’Assemblée nationale » (enfin surtout par le gouvernement).
Pour l’instant, tout reste à construire, puisque la première 4ème année aura lieu en novembre 2026 (pour la promo 2023).
La promotion de 4000 internes de novembre 2026 ne sortira donc pas diplômée et en plein creux démographique, on va « perdre » ces étudiants (sauf à considérer qu’ils seront bel et bien tous thésés, et des docteurs juniors parfaitement autonomes, bossant davantage que s’ils étaient en libéral à leur compte, installés ou remplaçants).
Comme pour la COVID-19, il manque toujours des objectifs clairs, évaluables a posteriori, pour pouvoir déterminer si les actions menées ont atteint les objectifs fixés ou non. On peut adopter une réflexion scientifique avant une telle décision, avec notamment les points suivants :
1 – Quelles nouvelles compétences sont attendues pour les internes ?
–> Gérer sa compta, son cabinet ? Qui va leur enseigner vu que ça n’est pas un sujet à enseigner ?
–> Déléguer comme lors d’un remplacement ? Quelle différence avec un remplacement alors (hormis la validation et « l’obligation » à travailler) ?
2 – Pourquoi 4 ans et pas 5 ou 6 ? Quel est le seuil idéal pour avoir des internes les mieux formés possibles, sans impacter sur leur installation et le service rendu à la population ?
3 – Alors que toutes les enquêtes et études montrent que les internes s’installent avec leur famille, les possibilités de travail pour leur conjoint, d’école pour leurs enfants, etc. pourquoi croire que cette décision changera quelque chose ?
4 – Quels seront les indicateurs qui seront utilisés pour évaluer l’efficacité de cette mesure ?
Sans indicateur, il sera toujours facile de trouver le témoignage de F., 28 ans, qui s’installe dans un village de la Creuse après son stage… et ignorer ceux qui auront été dégoûtés et seront partis à l’hôpital.
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