La thèse de médecine générale (ou autre spécialité, ou pharmacie, ou mémoire d’autres professions de santé dont IPA, etc.) est un passage obligatoire pour exercer — que ce soit en libéral, salariat, hospitalier…
Avec la 4ème année de médecine pour la promotion de novembre 2023, il faudra désormais la soutenir en 3 ans afin d’avoir le droit de… passer en 4ème année et finir l’internat (avant, on pouvait aller jusqu’à 6 ans après le début de l’internat !). Même si nous pouvons émettre des critiques sur la 4ème année, il faut être honnête et dire ici que soutenir la thèse après la fin de l’internat n’a jamais vraiment été une bonne solution : pendant les études, nous avons un peu de temps dédié à la recherche, une émulation avec les co-internes, des contacts avec des chefs de clinique et autres enseignants…
Par expérience, attendre de remplacer est un mauvais calcul : les remplacements s’enchaînent (et c’est difficile de s’arrêter totalement avec les prélèvements en année N+1 de l’URSSAF et la CARMF), il n’y a plus de contact avec la faculté, des difficultés pour trouver un directeur, la motivation, etc. En général, nous occupons notre temps libre à autre chose qu’à faire une recherche bibliographique, définir un objectif de thèse, recueillir des données : ça ne change pas subitement à la fin de l’internat !
La thèse est aussi un « symbole » : celui de la fin de vos études de médecine, avec le serment d’Hippocrate. C’est l’occasion d’amener sa famille, ses proches, ses amis à la faculté de médecine ; reculer la date de soutenance, c’est aussi s’exposer à des aléas de vie (déménagements, décès, pandémie…) qui pourraient vous faire regretter de ne pas l’avoir passée plus tôt.
Pourtant, même s’il s’agit d’une obligation avec une date limite claire, d’un symbole de fin d’études, il est fréquent que les internes débutent leur thèse tardivement, voire se retrouvent en situation de demander des dérogations auprès du Doyen pour allonger leur délai (au-delà de 6 ans après leur début d’internat).
L’une des raisons est que la thèse est parfois sacralisée et/ou peut faire peur… et nous allons donc commencer ici par clarifier quelques points sur le rôle d’une thèse, sa longueur et sa durée.
Le rôle : une thèse sert à s’initier à la recherche
La thèse de médecine générale est généralement un premier travail de recherche au format IMRaD (Introduction – Matériels et méthodes – Résultats – Discussion – conclusion). Le modèle est : « j’ai une question en lien avec la médecine générale, j’applique une méthode, j’ai un résultat, je le discute et on conclue ».
La thèse permet aux internes de se rendre compte que la science c’est complexe et ingrat !
Après avoir réalisé une thèse, le médecin sait normalement que chercher des informations dans la littérature demande un peu d’esprit critique, que recueillir des données c’est parfois long et difficile, que synthétiser les résultats pour les rendre accessibles est nécessaire (texte, tableau ou figure ?), qu’il y a toujours des limites aux études et qu’il faut donc être humble dans les conclusions qu’on en tire — y compris pour un travail mené avec le plus grand sérieux les soirs et week-ends, pendant quelques mois d’internat.
La longueur : une thèse est un article, elle tient en 12 pages (interligne 1,5)
Si vous vous demandez « de quoi vais-avoir l’air avec ma thèse de 10-15 pages alors que mes amis ont fait 150 pages ? », la réponse est « d’une personne synthétique ».
Depuis une dizaine d’années, quasiment toutes les facultés veulent des « thèses articles » pour les thèses d’exercice (c’est évidemment différent pour les thèses d’université). Consultez des articles publiés en français : c’est exactement ce que vous devez faire.
La raison est simple et tient en un point : la taille est fixée par des universitaires qui sont souvent membres de jury et qui préfèrent lire et commenter un texte de 15 pages plutôt qu’un document de 300 pages ! En prime, une thèse article a des chances d’être publiée ensuite, ce qui est utile pour l’éventuelle carrière universitaire de ceux qui seront dans les co-auteurs (thésard, directeur et éventuellement membres du jury).
L’ASTUCE « SPEEDRUNNER SA THÈSE »
Rapidement dans votre travail, identifiez une revue qui a publié quelques articles proches du vôtre (qu’on appellera ici BelleRevueQueVousVisez), et considérez que vous allez publier dans celle-ci à la fin de votre travail.
Vous pourrez télécharger les « recommandations aux auteurs » et la suivre à la lettre, tant sur la typographie, la mise en forme des références bibliographiques (sauf exotisme incompatible avec les exigences de votre faculté), la taille (en général 20 000 à 30 000 signes espaces comprises), etc.
En parallèle de ces recommandations, vous pouvez télécharger 1 ou 2 articles récents (pas de 1987 donc) sur un sujet similaire au vôtre dans BelleRevueQueVousVisez : cela vous permettra de vous rassurer sur la longueur de votre texte en vous guidant sur le rythme d’écriture à adopter (taille de l’introduction, sous-sections en « matériels et méthodes », nombre de tableaux et figures). Il ne s’agit bien entendu pas de plagier ici, mais d’avoir un modèle !
Pour le formuler très clairement, un article fait en général 20 000 à 30 000 signes (espaces comprises). Du premier mot de l’introduction au dernier de la conclusion (sans annexe donc), cela représente environ 10 à 12 pages en interligne 1,5 avec des marges classiques à 2,5.
Si vous voulez en rajouter, pour montrer que vous avez bien lu plein de documents sur le sujet (et je vous le conseille), c’est dans les annexes : en général, j’aime bien y lire une partie « historique » (voire une section « médecine évolutionniste »), une perspective internationale, des graphiques ou cartes, le questionnaire ou la grille utilisée, etc. Par exemple, si votre travail porte sur l’hypothyroïdie, les annexes peuvent être le lieu pour évoquer en 1 ou 2 pages des questions telles que « pourquoi l’hypothyroïdie existe encore et n’a pas été un trait supprimé par la sélection naturelle ? » ; « en quelle année a été inventée la lévothyroxine, comment, par qui, et qu’est-ce que ça a changé ? » ; « est-ce que la prévalence de l’hypothyroïdie est la même dans tous les pays ? est-ce que les traitements utilisés sont partout les mêmes ? » etc. Cela apporte une jolie mise en perspective de votre travail, sans « polluer » votre recherche : tout cela est aussi facultatif et ne sera traité qu’en fonction de vos envies et de votre temps.
Au total, rassurez-vous : votre document papier (avec les remerciements, les références, les annexes, et en imprimant sur les rectos uniquement) fera probablement une cinquantaine de pages… et vous permettra ainsi de pour pouvoir imprimer sur la tranche et mieux ranger votre travail dans les bibliothèques ! Merci les annexes 😀
La durée : « on m’a dit qu’une thèse, ça prend 18 mois »
Et bien, ce n’est pas ni tout à fait faux… ni tout à fait vrai !
Sur les 68 thèses que j’ai encadré seul et qui ont été soutenues, entre la date où j’ai dit (par mail) « OK, je te dirige » et le jour de soutenance, il s’est passé en moyenne 567 jours (écart-type : 293 jours)… soit 18 mois ! Et la médiane est proche, à 539 jours (Q1 : 359 jours ; Q3 : 640 jours). Toutefois, j’ai des extrêmes de 119 jours (3 mois) à… 1619 jours (4 ans et 5 mois) !
Ca ne dépend donc que de vous (et votre sujet).
Au total… comment trouver la motivation ?
Une thèse c’est court en taille… mais ça nécessite de synthétiser suffisamment de données pour être intéressant, et donc probablement quelques mois de travail (de soirs et week-ends en général, en parallèle des stages, des enseignements facultaires, de la vie de famille / couple / amis, etc.)
Si vous êtes quelqu’un de rigoureux, vous pouvez d’emblée établir un rétro-planning sur 12 à 18 mois avec une régularité. Par contre, si votre passion dans la vie est de vous dépasser les deadlines que vous vous fixez, ce n’est peut-être pas la peine de vous infliger un rétroplanning qui vous culpabilisera et vous bloquera… Bref, faites comme vous avez l’habitude et comme cela vous a réussi dans la vingtaine d’années qui vient de s’écouler : à n’en pas douter, ça sera très bien !
Pour vous motiver, vous pouvez penser :
- A la science : vous allez la servir, et c’est votre joie (©le discipline de Léonard). C’est rarement suffisant, soyons honnêtes.
- A vos collègues : votre travail va peut-être leur servir et c’est une fierté de partager. C’est plus fréquent, notamment avec les sites d’aides à la décision médicale ! (Je suis ravi que BioMG.fr ou certificats-absurdes.fr servent aux consoeurs et confrères, j’ai l’impression que le temps consacré est « rentabilisé » en temps pour les autres).
- A vos proches : ils seront fiers de vous lorsque vous lèverez la main droite pour réciter le serment d’Hippocrate (et même si vous bafouillez sur « opprobre », personne ne vous le fera remarquer parce que l’émotion l’emportera).
- A vous… Si vous êtes passionné de littérature et que votre thèse vous impose de lire des livres, ce sera un chouette moment et vous n’aurez pas à chercher bien loin la motivation !
Et ce sera l’objet d’un prochain billet : trouver un sujet de thèse (qui vous plait) !
LE MOT POUR LE DIRECTEUR DE THÈSE
Si j’acte une direction ce jour, je crée un dossier intitulé « 2024-12-02 – Nom Prénom du thésard – Thème de la thèse » dans mon dossier « Thèses » sur mon ordinateur (y compris si on décide de travailler sur Google Docs). Une fois la thèse soutenue, je renomme avec un numéro avant (par exemple 75 – 2024-12-02 – Nom Prénom du thésard – Titre de thèse).
Cela me permet d’avoir une visibilité d’ensemble sur les thèses soutenues, sur les thèses en cours, sur le délai depuis le début de la thèse… et de temps en temps de faire une relance par mail, voire essayer d’identifier les sources de blocage (en évitant les injonctions un peu culpabilisantes du style « il faut écrire tous les jours », parce que ça n’est pas un conseil personnalisé — en pratique, si l’étudiant préfère écrire de 23h à 2h du matin un week-end par mois, peu importe tant que ça fonctionne).
Peu importe votre fonctionnement : il est quand même important de savoir identifier qui vous encadrez et depuis quand !