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[Avent 2024 – Ecrire sa thèse] – 8/24 – Scientifique et stylé…

Après les billets sur « estimer la longueur d’une thèse« , « se rassurer sur l’originalité« , « trouver un sujet« , « écrire directement sans brouillon« , « utiliser un modèle pré-formaté avec un plan générique » et « connaître les bases pour la typographie et les fonctions utiles sur Word« , nous allons aujourd’hui nous terminer cette première grande partie sur la rédaction par le caractère scientifique… tout en maintenant un certain style agréable à lire ! Votre but est de produire un document clair (sans ambiguïté), facile à lire et à comprendre.

Attention, tout ce qui sera dit ici ne sera pas consensuel ! C’est impossible de l’être parce qu’il y a quasiment autant de règles que de revues… Pour illustrer, je vous listerai en fin de billet quelques personnes (ou organismes) qui ont déjà proposé des guides.

Rendre votre texte scientifique

La rédaction scientifique n’est pas de la grande littérature… néanmoins, vous avez le droit de rendre un travail agréable à lire.

Même si c’est vrai, on évitera une phrase telle que « Il est à déplorer malheureusement que tant de personnes sont atteintes de démence de nos jours » mais plutôt : « En France, 1,2 millions de personnes seraient atteintes de troubles neurocognitifs en 2019 [1]« .

Voici quelques règles simples pour rendre votre texte « scientifique » :

  • Répétez le même mot (ou concept) plusieurs fois dans le même paragraphe s’il le faut, plutôt que de lui trouver des synonymes ; privilégiez des constructions symétriques lorsque ça s’y prête (même si cela entraîne des répétitions qui ne sont pas très littéraires) ;
  • Précisez : limitez les approximations, précisez les dates (années) plutôt que dire « actuellement », privilégiez des chiffres précis (avec leur indicateur de dispersion – écart-type, quartiles, intervalles de confiance…)
  • Sourcez… : soyez scientifique en sourçant tout ce que vous affirmez ! Un modèle idéal c’est un « article de qualité » sur Wikipedia : toute affirmation est sourcée (avec en plus pour vous l’exigence que cette source soit autant que possible un article publié dans une revue scientifique).
  • … en utilisant la bonne source : votre thèse-article étant courte, tout doit être de qualité.

L’EXERCICE D’ILLUSTRATION : À LA RECHERCHE DE LA SOURCE PERDUE
Sur ce dernier point, je vous propose un exercice amusant : déterminer le nombre d’angines en France.
Si vous cherchez sur Google, vous trouverez sur Santé Publique France, sur Santé.fr, sur Assurance Maladie qu’il y a 9 millions d’angines par an en France (et que les médecins ne font que 1,5 millions de TROD, dénonce le directeur de l’Assurance Maladie, car ahlala ces généralistes, je vous jure, on a les chiffres hein).
Mais que valent ces chiffres ? Si vous cherchez un peu, vous finirez par retrouver un article de 1997 qui vous mènera à une conférence de 1991 (par l’Association pour la Formation Continue en Pathologie Infectieuse) affirmant que « plus de 8 millions d’angines sont survenus en France en 1990″… sans source ! Ils évoquent simplement que 1,3 séances médecins/100 leur étaient consacrées en 1981 (… ce qui est très peu et n’expliquerait absolument pas les 8 millions !) A priori, il était recommandé de traiter chaque angine par antibiotique, ils ont donc considéré qu’à l’époque 100 % des angines étaient bien diagnostiquées et traitées…
Donc en 2024, toutes les plus grandes institutions françaises sur la santé reprennent un chiffre de 1981 sans source, et basent leur prise en charge dessus
(on se souviendra que Gabriel Attal annonçait qu’il libérerait 15 millions de consultations par an, notamment avec les TROD délégués aux pharmaciens chez les personnes de plus de 10 ans). Apparemment, 55,4M d’habitants (1981), 58M (1991) ou 68M (2024), ça ne change rien sur la prévalence des angines. En pratique, feu l’observatoire de médecine générale de la SFMG indiquait en 2009 que 3175 des 68188 patients inclus consultaient pour angine… soit 4,66 % (quand je vous disais que 1,3 % au-dessus c’était très peu !). En extrapolant aux 51,6M de « consommants » des soins en 2006, on serait donc plutôt à 2,4M d’angines selon les médecins généralistes (notons d’ailleurs que si on utilise le chiffre plus haut de « 1,3 séances médecins/100 pour angine en 1981,. C’est aussi un chiffre imparfait, mais qui se rapprocherait davantage du nombre de TROD utilisés.
Cherchez la source et n’hésitez pas à tout remettre en question !
Et évidemment, si vous demandez à une IA, elle vous sortira 9 millions avec les principales sources Google… et beaucoup d’aplomb face auquel vous devrez garder votre esprit critique.

Garder une certaine exigence littéraire

Bien que l’écriture scientifique ne permette pas de faire du Proust ou du Zola, vous pouvez tout de même viser un texte final de qualité, simple, clair et agréable à lire.
Je parle ici du texte final : comme dit avant, vous pouvez écrire « au kilomètre » pour un premier jet moche, ce n’est pas grave, c’est normal et c’est même très bien… comment atteindre la perfection si on ne part pas de la « non-perfection » ? 😉
C’est la réécriture qui permettra d’améliorer… mais pour réécrire, il faut déjà avoir écrit ! Si vous bloquez au stade de l’écriture, je vous renvois aux premiers billets sur le choix de sujet, sur la structure et longueur de la thèse, etc.

Lors de la réécriture, voici quelques grandes idées pour que le texte soit agréable à lire :

  • Epurez : préférez les phrases courtes, limitez les adverbes, les double négations et les phrases creuses et mots vagues (« il a été noté que », « il y avait », « généralement »…) ;
  • Simplifiez : utilisez des mots simples, mettez les mots clés (dont verbes) en début (ou fin) de phrase, optez pour des constructions simples (sujet-verbe-complément) autant que possible ; exprimez les choses simplement pour que ça soit facile à comprendre — votre but n’est pas de fatiguer le lecteur mais qu’il trouve votre travail intéressant ;
  • Construisez votre propos de façon logique : enchaînez vos idées de façon évidente d’un point de vue temporel (les causes puis les effets, etc.)
  • Organisez pour clarifier : la clarté viendra de votre organisation préalable comme évoqué les jours précédents (écrire le squelette de votre thèse, aller chercher les informations utiles puis écrire — appelez ça « feuille de route », « squelette », « modèle détaillé », « synopsis », peu importe). Cela peut se rapprocher de la méthode d’écriture itérative du « flocon de neige » (vous partez d’une phrase en 15 mots, secondairement détaillée en un paragraphe résumé, qui sera lui-même détaillé phrase par phrase en paragraphes plus détaillés, à l’image des ramifications d’un flocon lorsqu’on zoome dessus) ;
  • Ecrivez rapidement les idées clés (take-home messages et autres lignes mémorables) : comme en fiction, c’est souvent plus facile d’écrire en connaissant la fin, ce qui permet de tout rédiger pour amener vers cette fin… ;
  • Rédigez un paragraphe pour chaque sujet : un paragraphe = une idée… qui doit arriver rapidement et simplement ;
  • Privilégiez la voix active (ce qui implique d’avoir recours à des « nous » en français — ce qui n’est pas consensuel) ; par exemple, « nous avons inclus 150 patients » plutôt que « 150 patients ont été inclus » ;
  • Limitez les négations : « il n’est pas autorisé de conduire à gauche » est moins bien que « il est interdit de conduire à gauche » ;
  • Supprimez les mots inutiles — notamment des adverbes ou des phrases creuses (« il a été noté que », « il est notoire que », etc.) ;
  • Evitez les abréviations, sauf si elles sont connues (MG pour médecin généraliste, ça passe ; MGL / MGS pour médecin généraliste libéral / salarié, ça complique la lecture pour ne faire gagner que du temps de rédaction — ce dont se fiche le lecteur !). Dans tous les cas, la première occurrence de l’abréviation doit être en toutes lettres suivi de celle-ci entre parenthèses.
  • Exprimez les idées coordonnées dans une forme similaire (on revient sur l’idée de phrases symétriques évoquée plus haut : « j’ai appris la trompette ; j’apprends maintenant le piano » est plus simple à lire que « j’ai appris la trompette, et maintenant le piano m’est enseigné »… ou encore cette présente « liste de grandes idées » qui commence systématiquement par un verbe)
  • Traquez les verbes « faibles » (avoir, être, etc.) et utilisez les noms ou adverbes prévus lors du premier jet rapide pour en faire des verbes « forts ». Une façon pertinente de se relire est de ne lire… que ses verbes !
    • Par exemple : « le taux de 20 % en 2020 est passé à 30 % en 2024″ -> « le taux a augmenté de 20 à 30 % entre 2020 et 2024″
    • Ou : « Il y avait (ou notre travail montre) une amélioration des douleurs à J7 sous paracétamol » -> « le paracétamol a amélioré les douleurs à J7″.
    • Ou encore : « Un débat sur les retraites a eu lieu hier à l’Assemblée, dans une session que les parlementaires ont pris la décision d’écourter » -> « Les parlementaires de l’Assemblée ont débattu hier sur les retraites, dans une session qu’ils ont décidé d’écourter »
  • Débutez fort : le lecteur retiendra surtout le début et la fin de l’article, soignez les. C’est la même chose dans chaque sous-section, et mêmes dans chaque phrase : mettez le verbe tôt dans la phrase, proche du nom, pour faciliter la compréhension.
  • Osez ! Vous avez le droit de trouver quelques « punchlines » dans votre thèse, de proposer des éléments controversé (tant que c’est sourcé !)

Lorsque vous aurez relu plusieurs fois votre thèse, et que vous en aurez marre, vous pouvez la lire à voix haute (pour démasquer d’autres problèmes — voire vous la faire lire, éventuellement par une IA si vous ne trouvez personne pour ça)… Si le temps le permet, vous pouvez aussi laisser reposer quelques jours/semaines afin de pouvoir la redécouvrir d’un oeil plus neuf.

Je le redis : ces propos ne sont pas tous consensuel, et un relecteur pourra vous rétorquer que la revue limite le recours à « nous » et préfère la forme passive. Ce sont aussi des habitudes éditoriales à respecter pour une publication… mais pour la thèse, c’est vous le responsable éditorial !

Quelques questions (et réponses non consensuelles)

A quel temps écrire : passé, présent ou futur ?

On considère (à tort, comme dit avant !) que la rédaction a lieu après avoir fini l’étude, pour en relater les résultats. Le temps d’écriture est donc le passé (passé simple, passé composé, imparfait) dans toutes les sections, de l’introduction à la conclusion. Bien sûr, il y a quelques moments où il est logique de recourir au présent ou au futur :

  • Le présent est utilisé pour les généralités, notamment en introduction et discussion : « L’incidence du diabète de type 2 augmente avec l’âge » (au passé ou futur, ce serait bizarre).
  • Le futur est utilisé dans la section discussion > perspectives : « Dans notre étude, le délai moyen entre une infection COVID et un décès était de 21 jours en 2020. Nous réaliserons une nouvelle étude sur les données de 2022 et 2024″.

Faut-il privilégier les formes actives ou passives ?

A choisir, la forme active est plus agréable à lire ! La voix passive est plus lourde, crée du mystère en évinçant potentiellement le COI, inverse les causes et effets dans la lecture… et déresponsabilise les auteurs ! Le passif peut être intéressant toutefois en section « méthodes » pour éviter de débuter chaque phrase par « nous avons… »

Par contre, certaines revues préfèrent éviter le « nous »… et donc privilégient une forme passive et neutre : « xxx patients ont été inclus », « l’objectif de cette étude », etc. C’est un choix éditorial, et tout est possible.

Peut-on utiliser « je » ou « nous » ?

De manière générale, on n’utilise pas « je » (même dans sa thèse) mais « nous ». Même si vous êtes seul (avec votre directeur quand même !)
Une anecdote célèbre est celle de Jack Hetherington qui a écrit un article seul en 1975… mais pour ne pas retaper son papier en remplaçant « nous » par « je », il a intégré en co-auteur F.D.C. Willard… son chat (Felix domesticus Chester, fils de Willard). Ce n’est pas le seul animal qui a co-écrit des articles : citons Galadriel Mirkwood en 1978 (raconté ici), Bruce Le Catt en 1982 (avec un erratum en 2017), Grandmother Liboiron en 2017 ou encore… Nemo Macron en 2020 dans un article canular que j’ai largement raconté ici !
Comme dit juste au-dessus, certaines revues n’aiment pas le « nous » ; d’autres s’en fichent (par exemple, l’article de Nature en 1953 par Watson & Crick — et Rosalind Franklin non citée — débute par « We wish to suggest a structure for the salt of DNA »)

Puis-je faire des copier-coller de cet article / cette recommandation ?

Je déconseille fortement.
D’une part, vous vous exposez à des problèmes (improbables) avec le contrôle anti-plagiat.
D’autre part, il n’est pas agréable lors de la lecture de sentir un changement de style d’écriture, et de se dire qu’on lit une recommandation que l’auteur de la thèse a peut-être lu moins attentivement que nous… Vraiment, écrivez avec vos propres mots, et sourcez tout ce que vous dites : personne ne vous critiquera d’avoir essayé de comprendre et de faire comprendre…

Y’a-t-il un ordre pour écrire ?

Dans un billet de 2010-2011, l’ADML (ex-AACC) propose de faire : tables et figures / résultats / méthodes / introduction / discussion / abstract.
Je ne suis pas d’accord avec ça, parce que ça implique de n’écrire qu’une fois les tables, figures et résultats disponibles. Pour moi, la « méthode du flocon » évoquée au-dessus est meilleure : vous écrivez les titres de sous-section de l’introduction, méthodes, résultats, discussion, conclusion ; vous insérez quelques idées clés dans chacune de ces sous-sections ; vous détaillez progressivement selon vos envies du jour et les données à votre disposition.

De la lecture…

Comme évoqué en début de billet, voici quelques organismes qui ont proposé des guides… parfois discordants les uns avec les autres sur les avis :

  • J’avais beaucoup aimé en novembre 2013 le MOOC Writing in Sciences de Kristin Sainani (Coursera / Stanford), qui connait chaque année de nouvelles éditions, et dure environ 30 heures ;
  • Elle appuyait notamment son exposé sur le livre de 1918 « The Elements of Style » de William Strunk, Jr. ou encore « On Writing Well: The Classic Guide to Writing Nonfiction » de William Zinsser
  • Le CNGE Formation propose une formation « Rédiger pour publier », à destination des généralistes enseignants principalement (animé régulièrement par Jean-Pierre Lebeau, rédacteur-en-chef d’Exercer) ;
  • L’ADML (Association for Diagnostics and Laboratory Medicine – anciennement AACC) a publié en 2010-2011 son Clinical Chemistry Guide to Scientific Writing en 14 parties (incluant aussi le rôle de reviewer, etc.) ;
  • L’International Committee of Medical Journal Editors (ICMJE) propose des recommandations en ligne, traduites en français ; la plupart des revues incitent à les suivre dans leurs « recommandations aux auteurs » (par exemple Exercer) ;
  • l’International Society of Medical Publication Professionnals (ISMPP) a publié les Good Publication Practice 3 disponibles en anglais ici ;
  • si vous vous passionnez pour l’écriture scientifique, sachez que l’European Medical Writers Association publie le journal Medical Writing ;
  • J’ai également cité dans le 1er billet (avant-propos) quelques sources utiles, dont « La rédaction pour la recherche en santé » ;
  • Enfin, il existe de nombreux ouvrages (et sites, blogs, podcasts, etc.) sur l’écriture de manière générale, dont certains éléments (mais pas tous !) peuvent être réutilisés en rédaction scientifique.

LE MOT POUR LE DIRECTEUR
En tant que premier relecteur du travail, j’ai 3-4 obsessions : tout doit être (bien) sourcé – tout doit être clair, sans ambiguïté – le style doit être fluide (suppression des mots inutiles, verbes forts, formes actives, etc.)
Il est souvent difficile de couper son propre texte pour des raisons diverses (notamment si on a passé beaucoup de temps à relire et réécrire déjà)… mais c’est beaucoup plus simple en tant que directeur, dépourvu de ce type de sentiments, d’épurer et de supprimer ce qui est inutile.
A titre personnel, je supprime aisément des mots, parfois paragraphes redondants (notamment dans les résultats). J’ai plus de difficultés à supprimer toute une section qui aurait été bien rédigée et construire, même si elle n’apporte rien à l’article prévu (en dehors de l’objectif). Dans ce cas, je propose de résumer cet hors-sujet en une phrase et de mettre le reste en annexe (ex. « La physiopathologie de la Schtroumpfose reste controversée (Annexe 1) »).

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