[Avent 2024 – Ecrire sa thèse] – 20/24 – L’art de la discussion et de la conclusion

Pour la première fois depuis le 20, j’ai un jour de retard… mais je vais essayer de le rattraper dans le week-end ! Et j’ai eu une bonne nouvelle pour cette suite de billets, j’en parlerai peut-être dans le dernier 🙂

Nous allons parler ici « l’art de la discussion »…

L’introduction peut être vu comme un entonnoir ou un cône : on débute par une généralité, puis on affine le sujet, on évoque ce qui n’est pas connu sur le thème, on pose une question de recherche précise. La discussion inverse ce cône : on répond à la question (résultats principaux), on appuie la conclusion (nos données, les données des autres), on défend la conclusion (anticipation des critiques avec les limites) et on conclue avec les messages généraux (« ce que veulent dire mes résultats et pourquoi tout le monde devrait s’en préoccuper »).

La discussion est une section très intéressante à écrire, celle où vous avez le plus de liberté, où vous pouvez vraiment « bien écrire ». Malgré cette liberté, la discussion est très bien codifiée comme évoqué ci-dessus, avec 4 grandes parties :

  • Résultats principaux
  • Comparaison à la littérature
  • Forces et limites
  • Perspectives

Nous allons détailler les 4 parties. La conclusion est parfois incluse dedans dans certains articles ; pour la thèse, la conclusion est un chapitre séparé… nous en parlerons donc séparément !

Résultats principaux

La dernière phrase de l’introduction est une question de recherche au format PICO (par exemple « dans la population des internes de médecine générale de Lille, est-ce qu’un atelier d’expression théâtrale était associé à une amélioration de la communication ? »).

La première phrase de la discussion répond à cette question : dans notre étude, le score de communication SEGUE était significativement plus élevé dans le groupe de 52 internes ayant suivi un atelier de 2 jours d’expression théâtrale par rapport au groupe de 48 internes qui n’y a pas participé (20 vs 10 points, p < 0,05). Il ne doit pas y avoir de données inédites dans cette section : vous répétez le(s) résultat(s) principal(aux) de votre étude… et vous les discutez ensuite !

Vous pouvez donc expliquer ce que ça signifie, évoquer ce qui est nouveau / appris grâce à votre travail. Vous pouvez proposer des explications physiopathologiques éventuellement, des mécanismes pour insérer votre travail dans quelque chose de plus général (vous inversez l’entonnoir de l’introduction !)

Vous pouvez ensuite développer quelques autres résultats (objectifs secondaires notamment) et quelques données qui seront utiles dans la suite de votre discussion — pour la comparaison à la littérature notamment. La discussion peut vous permettre de proposer des hypothèses ; dans tous les cas, il faut se garder de conclure de façon péremptoire et savoir rester humble quant à la portée de votre étude (sans en minimiser l’intérêt !)

Comparaison à la littérature

Dans cette section, il faut comparer votre résultat principal à la littérature ; comme pour l’introduction, vous pouvez comparer localement, nationalement puis internationalement (encore une fois sur le schéma inverse). Si votre travail est vraiment inédit, vous pouvez comparer à quelque chose de proche. A défaut, vous pouvez juste dire que vous n’avez pas trouvé de résultat similaire dans la littérature (par exemple, si vous avez étudié l’intérêt des internes de médecine générale pour les travaux de BTP).
L’idée est de voir comment vous vous insérez dans le paysage scientifique actuel… (il est peu probable que votre travail le révolutionne, mais il s’agit de vous positionner et rappeler l’intérêt de votre étude).

Ensuite, vous pouvez comparer votre ou vos résultats secondaires (ceux qui répondent à l’objectif secondaire, qui ont fait l’objet d’une section « résultats secondaires » en résultats…).

Comme toujours, il faut privilégier les études de la littérature scientifique (plutôt que des thèses ou mémoires non publiés) : études internationales dans des revues à fort impact factor (Nature, NEJM, BMJ, JAMA, Lancet…), études internationales ou nationales dans des revues connues (Thérapie, Exercer, Presse Médicale…), puis si besoin, dans des rapports (HAS, Insee, etc.) puis des thèses.

Enfin, vous pouvez comparer les caractéristiques de votre population : cela permettra d’enchaîner avec les forces et limites, si vous avez un échantillon comparable à la population cible… ou pas !
Si vous étudiez les médecins ou l’organisation des soins, vous pouvez cette fois être amenés à utiliser des données moins issues de la littérature scientifique, telles que :

Forces et limites

Dans cette section, vous allez expliquer (d’abord) pourquoi vos résultats sont robustes (forces)… et anticiper les questions/critiques. Il ne s’agit pas de faire des généralités ici mais d’être précis et spécifiques avec les limitations de l’étude.

Voici tout de même quelques exemples « génériques » de forces, qui seront à adapter et personnaliser à votre étude :

  • Grande taille de l’échantillon : une population d’étude importante renforce la puissance statistique et la généralisation des résultats ; cette grande taille peut être relative : si vous étudiez les patients avec une prothèse de hanche qui ont terminé l’ultra-trail du Mont-Blanc, avoir 18 patients c’est bien !
  • Validité interne : c’est le moment où vous expliquez que vous avez conçu et mis une oeuvre une étude qui limite autant que possible les biais, par exemple :
    • Représentativité de l’échantillon (et extrapolabilité) : la population est comparable à la littérature, notamment avec un mode de recrutement aléatoire ;
    • Conception robuste de l’étude : une étude randomisée contrôlée, un suivi longitudinal sur plusieurs années, etc. C’est le moment de vanter les choix méthodologiques !
    • Utilisation d’outils validés : si vous avez utilisé des questionnaires, tests ou mesures standardisés, validés dans la littérature, notamment dans la langue choisie… c’est mieux, et c’est pertinent de le rappeler ici ;
  • Validité externe : vous venez de comparer votre échantillon et vos résultats à la littérature : si ce que vous avez fait est cohérent avec les données existantes, cela « valide » de façon « externe » votre étude ;
  • Originalité, pertinence clinique, applicabilité pratique : si vous avez fait une recherche-action, si vos résultats ont un impact rapide et direct sur la santé de la population (ou des internes ou autre), c’est le moment aussi d’en parler !

Une façon amusante de faire est de se demander comment vous auriez pu faire une étude « naze » et ce qui différencie votre travail de ça.

De la même façon, les limites doivent être personnalisées, et peuvent tourner autour des biais en quantitatif (on n’en parle pas en qualitatif !) :

  • Biais de sélection (dont données manquantes, perdus de vus…) : l’échantillon peut ne pas être représentatif de la population cible, limitant la généralisation des résultats ;
  • Biais d’information (mémorisation, désirabilité sociale…) : erreurs potentielles dans la collecte des données, comme des réponses biaisées, erronées, des mesures inexactes, etc. ;
  • Biais de confusion : certains facteurs confondants peuvent ne pas avoir été pris en compte.
  • Limitations liées au choix d’étude : une étude observationnelle ne peut pas établir de relation causale (on trouve une association entre 2 variables, pas de lien de causalité) ; un suivi court ne permet pas d’identifier des effets à long terme ; une étude chez les médecins généralistes installés ne permet pas de connaître l’avis des remplaçants, etc.

Les limites sont l’occasion de rappeler ce que vous avez mis en oeuvre pour les diminuer. Je vous rappelle ici qu’il est pertinent d’avoir déjà écrit ces limites avant même d’avoir débuté votre étude (lancé les questionnaires, réalisé des entretiens, etc.) Vous avez donc pu adapter la section méthodes pour limiter ces biais : par exemple, vous avez choisi les répondants de façon aléatoire pour limiter le biais de sélection ; vous avez choisi un délai court pour limiter le biais de mémorisation ; les réponses étaient anonymes pour limiter le biais de désirabilité sociale, etc.

Notez que la place des limites est ici : après les résultats principaux, la comparaison à la littérature et les forces… Ne commencez pas votre discussion par les limites !

Perspectives

Vous poursuivez votre « histoire » (que vous racontez) avec les perspectives :

  • l’intérêt d’études de confirmation pour vos résultats principaux et/ou secondaires,
  • les questions sans réponse au terme de votre travail (voire les questions nouvelles que vous avez soulevées),
  • les directions futures qui n’ont pas été traitées ici car hors de votre champ, etc.

Pensez aux futurs thésards qui seront aux premiers chapitres de leurs thèses, sans sujet, et qui liront (comme vous l’avez peut-être fait) des sections « perspectives » de thèses précédentes sur un vague thème d’intérêt !

Dans toute la discussion, vous écrivez autant que possible à la voix active, au passé (pour les détails, résultats, analyses, le contexte, etc.) ; vous utilisez logiquement le présent pour ce qui est toujours d’actualité :

  • « Dans notre étude, l’allaitement maternel prolongé était associé à… »
  • « Darwin C. a montré que… »
  • « Les résultats suggèrent que… »
  • « Notre étude comporte des forces et des limites… »

… mais dans les perspectives, c’est la section de la thèse où il peut être pertinent d’utiliser le futur :

  • « Dans un prochain travail, il sera pertinent d’analyser… »

Conclusion

La conclusion est un chapitre à part dans la thèse. Il est difficile de ne pas y re-répéter ce qui a été dit en résultats puis dans discussion > résultats principaux… mais ce n’est pas grave !

L’idée ici est de faire une ouverte. « So what ? » Quelles sont les implications, spéculations, recommandations de votre travail ? A quel(s) point(s) les lecteurs doivent-ils se préoccuper suite à votre thèse ? C’est le moment du « take-home message » : il doit être clair, cohérent avec l’étude. Il faut mieux un message très focalisé mais réel, plutôt qu’un message flou (« peut-être que… »), ne correspondant pas à votre travail.

Encore une fois, il faut se garder de trop extrapoler vos résultats : arrêtez vous modestement à ce que vous avez prouvé… n’allez pas sur le terrain de ce que vous souhaiteriez avoir prouvé ! Un des grands messages que je distille depuis le début est d’écrire la thèse en un premier jet, sans se soucier des résultats initialement, pour avoir un grand cadre : il ne s’agit bien sûr pas de garder une conclusion pré-écrite ! Le but est d’avoir une idée des conclusions possibles (en quantitatif, soit l’hypothèse est rejetée, soit elle ne l’est pas : vous avez 2 conclusions possibles), et de tout mettre en oeuvre pour pouvoir l’annoncer, parce que vous aurez limité les biais, etc. Pré-écrire, c’est anticiper les critiques et donc les prévenir.
Par exemple, si vous étudiez la pratique du waterpong sur la qualité du sommeil, et que sur 100 inclus, 5 avaient poursuivi l’activité à 6 mois et disaient vachement mieux dormir : non, vous n’avez pas montré que le waterpong améliorait la qualité de sommeil. Votre étude soulève la question de l’arrêt précoce plus qu’autre chose.

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