Si vous êtes un trentenaire, il est probable que vous ayez une première réponse qui vous vient en tête à la lecture de cette question, avec une étonnante précision géographico-anatomique… mais nous allons explorer ensemble quelques autres voies.
Voie N°1 : réfléchir à vos centres d’intérêt hors médecine
Comme nous l’avons dit précédemment, il est important que vous aimiez votre thèse.
N’hésitez pas à vous poser la question suivante : « qu’est-ce qui m’intéresse dans la vie ? » Vous usez les salles de cinéma ? Vous vous intéressez à l’histoire locale ? Vous êtes amateur de sagas MP3 ou fictions sonores ? Vous pratiquez la course à pieds ? Vous sillonnez les grandes randonnées ? Vous dévorez des bandes dessinées ? Vous pratiquez du piano, de la trompette ?
Cherchez des sujets qui lient vos passions avec la médecine générale : vous n’aurez plus à chercher de motivation pour écrire, ce sera un bon moment de préparer et rédiger votre thèse !
Des exemples ? En 2017, Geoffroy Leleu a soutenu sa thèse sur la médecine générale et l’organisation des soins dans le Boulonnais pendant la seconde Guerre Mondiale, passant de longues heures aux archives municipales et auprès d’historiens locaux.
En août 2020, Marine Gilles (bibliovore) a dû lire et annoter 26 romans pour sa thèse analysant les épidémies de transmission respiratoire dans la littérature.
D’autres travaux plus « classiques » ont étudié des populations de coureurs, de randonneurs… chez des étudiants qui pratiquaient ces sports. Ce sont souvent des travaux qui se déroulent très facilement parce que l’intérêt pour le sujet existe avant la thèse !
Voie N°1 bis : regarder comment ces centres d’intérêt ont déjà été traités
Une fois l’idée générale dégagée (« tiens, et si je faisais un sujet médical sur la pratique de la tormpette ? »), vous pouvez creuser un peu pour voir ce qui existe, ce qui est faisable… Ici, vous pouvez simplement « trompette » en français dans LiSSa (0 résultat pertinent) puis « trumpet » en anglais dans PubMed !
(Evidemment, notez que ça fonctionne moins bien si votre passion dans la vie est le diabète de type 2).
Vous découvrirez page 1 qu’il y a des case reports sur le risque de glaucome (par pression) – un essai clinique sur l’absence d’effet de la pratique de trompette sur la spirométrie… Au passage, vous vous rendrez compte que le mot clé n’est pas terrible, puisqu’il retrouve des articles qui vont des sons des cachalots mâles méditerranéens à l’ornithophilie des fleurs bignones… En regardant les « similar articles » (sous les résumés d’intérêt), vous noterez que des mots-clés tels que « trumpet player » ou « wind instrument player » pourraient être plus pertinents pour recentrer votre requête ; nous verrons plus tard comment faire une recherche avec les mots-clés MeSH, mais c’est ici une première approche rapide pour illustrer comment commencer à réfléchir à son sujet même sans la moindre technique !
On peut reproduire l’exemple avec d’autres thèmes, dans une démarche d’exploration si vous avez plusieurs centres d’intérêts.
Par exemple, si vous cherchez « jeux vidéo » sur LiSSa, vous trouvez plus de 300 ressources avec leur intérêt en pédiatrie, gériatrie, rééducation, psychiatrie, neurologie ; leur impact sur les performances cognitives, sur le sommeil ; les risques d’addiction ; les pratiques des médecins généralistes…
Sur le même moteur de recherche, vous avez près de 70 références avec « bande dessinée » concernant son intérêt dans l’enseignement aux médecins, la place du médicament dans Tintin, l’intérêt de BD pour informer sur une pathologie ou un suivi, etc.
Ces recherches peuvent vous amener vers d’autres pans de recherches méconnus, tels que la « bibliothérapie » pour la littérature en tant que thérapie.
Concernant le terme « cinéma », vous trouverez également des références sur « la thérapie par le film », à côté d’articles sur la représentation de la psychiatrie, des addictions, des transplantations à travers les écrans, etc.
Bien sûr, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ça n’est pas parce que ça n’est pas « votre passion » que vous ne devez pas choisir un sujet ! (Je ne voudrais pas être responsable d’une vague de sujets sur « Netflix et médecine générale »). Vous pouvez aussi préférer répondre à une question médicale qui vous intéresse. Ce qui compte, c’est que ça vous plaise.
L’ASTUCE « SPEEDRUNNER SA THÈSE »
Là où c’est intéressant de prendre un sujet « hors médecine », c’est qu’il sera probablement peu traité… et qui dit littérature pauvre dit introduction et discussion facilitées !
Vous aurez donc un sujet rapide à rédiger… qui en plus vous passionne : rien ne pourra vous arrêter sur l’autoroute en direction de la soutenance.
Et avec l’IA ? Depuis l’avènement de ChatGPT en 2022 (puis Claude, Gemini, etc.), l’IA est facilement accessible à tous : vous pouvez très simplement lancer un prompt du style « trouve-moi 10 sujets potentiels de thèse de médecine générale en lien avec la pratique de la trompette ». Comme toujours avec l’IA (et le reste), gardez un esprit critique sur les propositions qui en résulteront.
Voie N°2 : l’actualité
Vous pouvez acheter (ou consulter sur Cafeyn ou ailleurs) un journal de presse (La Voix du Nord, Ouest-France, Le Parisien, Libération, etc.), et imaginer la place du médecin généraliste dans la plupart des titres que vous voyez.
C’est un exercice intéressant parce que la presse quotidien régionale balaie souvent beaucoup de thématiques à des échelles locales, régionales, nationales et internationales : actualités, faits divers, politique, sport, économie, écologie, société, cinéma, littérature, et même des pages de paris sportifs et turf…
Voie N°3 : les dernières études publiées
Survolez les titres de revues parmi les plus prestigieuses — par exemple le British Medical Journal (BMJ), le New England Journal of Medicine (NEJM), le Lancet, le Journal of the American Medical Association (JAMA). Vous pouvez sélectionner un numéro au hasard : le dernier en date, celui du mois de votre anniversaire, etc.
Si vous voulez quelqu’un qui vous fait un Reader’s Digest de tout ça, n’oubliez pas de vous abonner à l’excellent DragiWebdo, qui peut aussi vous apporter des idées de thèse chaque semaine à partir de sa compilation des dernières études portant sur la médecine générale. @Dr_Agibus vous parlera également des communiqués d’agences biomédicales qui peuvent être des sources intéressantes (les sujets « à la une » de l’ANSM, les actualités de l’InCA, etc.)
La revue Exercer est également une mine à idées, puisqu’il s’agit très souvent de thèses de médecine générale publiées (après révision par les pairs et correction).
Enfin, il existe également des revues d’hypothèses, telles que Medical Hypotheses (ou feu Journal of Medical Hypotheses and Ideas)… C’est difficilement exploitable en médecine générale, mais c’est amusant de savoir que ça existe !
Voie N°4 : les congrès (et même sans y aller !)
Voici quelques congrès de médecine générale :
- le CMGF (Congrès de Médecine Générale France, du Collège de Médecine Générale) et la pré-conférence FAYR-GP
- le CNGE (Collège Nationale des Généralistes Enseignants)
- le SSMIG (Société Savante Médecine Interne Générale, en Suisse)
- le MGOI (Médecine Générale Océan Indien),
- la WONCA déclinée en plusieurs régions du monde (World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians)
J’ajouterais volontiers le congrès EMOIS (Information médicale)… et vous pouvez y ajouter ceux des spécialités qui vous branchent le plus (pédiatrie, maladies infectieuses, dermatologie, etc.). La liste est évidemment non exhaustive !
Vous pouvez aller à ces congrès pour baigner dans l’ambiance (je vous le recommande — dans ce cas, mettez un masque FFP2 quand vous irez, pour revenir avec plus de connaissances que de viroses). Toutefois, pour notre objectif ici de trouver un sujet de thèse, vous pouvez aussi lire les programmes depuis votre canapé, dans les transports en commun ou dans votre lit avant de dormir.
La plupart de ces congrès ont des applications (mises à jour annuellement) qui vous permettent :
- de découvrir les programmes ;
- d’identifier les coups de coeur du conseil scientifique et/ou du public ;
- de lire les résumés ;
- de regarder et lire les posters (communications affichées).
Certains congrès mettent à disposition un livre de résumé (ou « Abstract Book ») : il suffit de taper « WONCA abstract book » sur Google pour mettre la main sur quelques-uns.
Voie N°5 : les thèses et mémoires
Je termine exprès par les thèses. Il y a une cohérence qu’on retrouvera plus loin ici, qui consiste à privilégier les études publiées dans les meilleures revues, les revues indexées (validées par les pairs) puis les congrès (validés par un comité scientifique), et enfin les thèses (validés par un jury de thèse). Ce sera la même chose pour vos références bibliographiques !
Pour trouver des thèses, le plus simple est d’utiliser SUDOC (Système Universitaire de DOCumentation), le catalogue collectif national répertoriant les collections des bibliothèques universitaires françaises et autres établissements d’enseignement supérieur. Il y a donc les livres, revues et thèses hébergées dans les BU. Notez qu’avec HAL-DUMAS (Dépôt Universitaire de Mémoires Après Soutenance), vous pouvez également avoir accès à des mémoires de masters validés par jury dans toutes les disciplines.
Si vous êtes chauvin et ne voulez trouver que des thèses de votre université (en cas ouvert grâce à une identification préalable), vous pouvez chercher avec les moteurs de recherche locaux, par exemple :
- Angers : https://dune.univ-angers.fr/node
- Lille : https://pepite.univ-lille.fr/ori-oai-search/
- Nantes : https://nantilus.univ-nantes.fr/vufind/
- etc.
Mais je le redis, utiliser SUDOC est préférable en premier car multi-université !
Normalement, une fois cette étape franchie, vous devriez avoir une idée du sujet qui va vous intéresser… et peut-être même votre question de recherche précise ! Que ce soit dans un article ou dans une thèse qui vous plait, je vous conseille de jeter un oeil à la section « Discussion > Perspectives » qui contient généralement des idées de nouveaux travaux à mener…
Dans tous les cas, il va falloir commencer à creuser votre thème, et donc commencer rapidement à rédiger… Le prochain billet parlera « brouillon » et sera totalement disruptif 😀
LE MOT POUR LE DIRECTEUR DE THÈSE
Il est fréquent qu’un étudiant arrive avec une idée vague de sujet (« j’aime bien l’infectiologie ») : ça vaut toujours le coup de vérifier si la « voie N°1 » sur les centres de l’intérêt de l’étudiant hors médecine a été explorée en amont… Beaucoup pensent qu’il faut un sujet proche des sujets dont ils ont entendu parler, ce qui tend à réduire le champ des possibles.
J’insiste beaucoup là-dessus, mais préparer et soutenir une thèse sur un sujet-passion c’est tellement agréable pour tout le monde (thésard, directeur, proches, jury…) que ça vaut le coup d’y passer du temps au début.
Dans ces phases initiales, le rôle du directeur est donc de montrer l’étendue des possibilités, tout en gardant un oeil sur la faisabilité et le réalisme.
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