Dans les 4 premiers billets, nous avons de comment trouver : la motivation – l’intérêt – le sujet…
A ce stade, normalement vous avez une idée un peu vague qui commence à se dessiner (voire une question de recherche — on y reviendra plus loin). Admettons pour ce billet que vous vous intéressez au vécu de l’alopécie androgénique chez les internes en médecine générale de moins de 30 ans.
Vous allez donc commencer à lire des articles, des résumés, puis tomber sur des rapports d’instituts, d’agences, de sociétés savantes, de conseils scientifiques, de hautes autorités, de haut conseil ou d’autres organismes plus ou moins théodule dont nous avons le secret en France…
Rapidement, vous allez avoir des informations sur la prévalence (16 % des 18-29 ans), la pathogenèse (avec le dihydrotestostérone et la 5-alpha-réductase), la génétique (80 % de la variance est liée à la génétique dans des études chez des jumeaux), le diagnostic avec les scores (Hamilton-Norwood), les traitements en 2024, etc.
Va donc se poser la question suivante…
Dans quoi dois-je prendre des notes ?
Il y a plusieurs écoles, qu’on peut aussi rapprocher de modes d’écritures (de fiction) :
- ceux qui vont tout lire et rien noter (tout découvrir sur le sujet, avant de le traiter, la « méthode papillon ») : le risque c’est rapidement d’oublier, et ensuite s’arracher les cheveux (ahah) pour retrouver cet article qui disait que la prévalence de l’alopécie était moindre chez les Esquimaux ;
- ceux qui vont tout lire et TOUT noter sur un brouillon (carnet papier, Notes de téléphone portable, fichier txt/doc, Google Doc ou équivalent, mindmap…) pour ne rien oublier : le risque… c’est de ne jamais commencer la thèse ! C’est un peu l’équivalent de ceux qui rédigent un univers pour leur fiction pendant 10 ans (détaillant la géopolitique, l’histoire, les évènements de vie de chaque personnage…) et oublient d’écrire leur histoire dans ce si joli cocon qu’ils ont préparé ;
- ceux qui écrivent directement et vont chercher essentiellement ce dont ils ont besoin : en narratologie, je rapprocherais ça de « l’arène de récit » ou storyworld (chère à John Truby dans l’Anatomie du scénario), c’est-à-dire le cadre qui va être montré au lecteur, spectateur de l’arène (cadre spatial, temporel, culturel, physique, historique, social…)
Il n’y a pas une seule bonne méthode, soyons clair ! Mais ici, il s’agit de mes conseils donc je vous livre ma préférence (qu’on appellera ici modestement « la méthode Michaël pour réussir sa thèse ») : arrêtez de lire des articles sur le sujet, sautez le brouillon et commencez à rédiger votre thèse d’emblée ! Votre objectif est d’écrire une thèse (pas un brouillon) donc… écrivez une thèse !
Comment commencer à rédiger sa thèse à ce stade précoce (et indifférencié) ?
Je vous conseille d’écrire directement sur un fichier de thèse UNIQUE et déjà formaté (on en parle demain et je vous en présente un !), en cherchant dans la littérature des réponses à des questions précises : quelle est la prévalence, comment poser un diagnostic…
Afin d’éviter de passer à côté d’informations essentielles, je vous conseille quand même de lire au moins un article très générique sur le sujet (ça peut être la page wikipedia français/anglais, une page d’encyclopédie médicale — UpToDate, ClinicalKeys, EMC Akos, etc. — ou l’article « androgenetic alopecia » NEJM ou Lancet ou JAMA ou BMJ, etc.)
Le but est (comme en fiction !) d’écrire rapidement un premier jet. Il ne s’agit pas de passer 5 heures à écrire et réécrire à l’infini les 5 premières phrases pour qu’elles soient parfaites, mais d’écrire rapidement tout ce qui vous vient, et d’y revenir après. Au pire, si c’est la première phrase qui vous bloque, commencez par la deuxième… 😉
Aussi, ne vous forcez pas à écrire de façon linéaire : au contraire, vous pouvez écrire un peu d’introduction, préparer la comparaison à la littérature en section discussion, anticiper les résultats, réviser la méthode à partir des tableaux de résultats attendus, rédiger les limites en discussion, modifier la méthode pour diminuer les limites de votre travail… Ecrivez vos forces et limites avant d’avoir envoyé votre questionnaire : c’est en les connaissant que vous les éviterez (et c’est mieux que les découvrir a posteriori). Toutes ces parties se nourrissent et vous avez même appris en Lecture Critique d’Articles (LCA) à ne pas lire de façon linéaire, donc sentez-vous libre de rédiger en papillonnant d’une partie à l’autre !
L’ASTUCE « SPEEDRUNNER SA THÈSE »
Pour aller encore plus vite, vous pouvez même faire un premier jet de votre thèse avec de faux chiffres (que vous corrigerez, bien évidemment !), histoire d’avoir directement la structure du texte (et pas seulement « insérer ici la prévalence »…) !
Par exemple : « L’alopécie touche xxx % des hommes de moins de 30 ans en France (réf) et xxx % des femmes de moins de 30 ans (réf). Les principaux facteurs de risque identifiés sont : la génétique (réf), blablabla. Les conséquences principales de l’alopécie sont des troubles psychologiques (réf), blablabla. Il existe des différences de vécu entre les hommes et les femmes (réf). Les internes de médecine générale sont exposés au public ; leur vécu de l’alopécie n’a pas été étudié à notre connaissance. Notre objectif principal était… »
Vous pourrez ensuite chercher une à une les réponses que vous vous posez à chacune des questions, puis développer à partir de cette petite trame.
Ce travail peut être fait pour toutes les sections : introduction – matériels et méthodes – résultats (avec des tableaux de non-chiffres en xx %) – discussion – conclusion.
L’intérêt est également de vous ouvrir la porte à une autre tâche : la relecture et la qualité du texte (diminuer les répétitions, améliorer les choix de verbes, etc.)
Votre écriture sera plus efficace en étant itérative : au lieu de passer 5 jours à réécrire une introduction jugée (à tort) parfaite avant d’arriver à la section méthodes, vous devriez plutôt écrire votre thèse en 1 jour en la pensant (à tort) nulle… Ce sera moche et on s’en fout.
C’est une application du principe de Pareto (ou loi des 80-20), qui dit que 80 % des effets sont le produit de 20 % des causes... c’est assez réaliste de penser que 80 % de votre thèse sera du remplissage et des généralités qui finalement prendront seulement 20 % de votre temps (et aussi que 80 % de votre temps sera consacré à seulement 20 % de votre thèse… pouvant donner l’impression fausse de ne pas avancer).
Deux mots sur vos rituels d’écriture…
J’ai déjà parlé de ça dans les jours précédents, mais la pédagogie c’est la répétition disaient Saint-Exupéry, Churchill et Mark Twain (enfin, ils ont sans doute déjà dit ces mots dans leur vie, peut-être pas exactement dans cet ordre. Au pire, ils ne sont plus à une citation apocryphe près).
Primo, ne culpabilisez pas avec votre mode d’écriture. On s’en fiche que vous consacriez 1h par jour le matin, 1h par jour le soir, 8h le week-end, 1 semaine temps plein tous les 3 mois… Faites comme vous le sentez, comme vous le pouvez avec votre vie personnelle et professionnelle. N’oubliez juste pas que vous avez une thèse et une deadline à respecter.
Si vous avez besoin de déculpabiliser à propos de ça, il y a le livre de Mason Currey sur « Tics et tocs des grands génies » qui a inspiré des infographies amusantes sur les routines quotidiennes des gens créatifs.
Deuxio, puisqu’on parle de routine d’écriture… là aussi, faites comme vous le sentez. Si vous avez envie d’écrire votre thèse exclusivement dans votre lit, dans votre canapé avec un plaid et un chocolat chaud, sur votre bureau avec une tasse de thé, dans un train… ça vous regarde !
Sachez juste identifier vos besoins et les freins :
- est-ce que vous avez besoin d’un calme que vous peinez à trouver à la maison ? (Dans ce cas, planifiez des séances de travail au calme).
- est-ce que vous êtes accroc aux réseaux sociaux ou jeux vidéo ou à différentes sources de notifications ? (Dans ce cas, passez en mode Avion, ou utilisez Word en mode Affichage > Focus, ou commandez-vous un Freetype TypeWriter à 500€ (gloups) : les solutions ne manquent pas)
- est-ce que vous n’arrivez pas à écrire tant que vous n’êtes pas dans votre « flow » (ou état de grâce) qui nécessite de quelques dizaines de minutes avant d’arriver ? (Dans ce cas, planifiez plutôt quelques séances longues et épargnez-vous des tentatives sur des temps courts qui ne feront que vous donnez un sentiment d’échec inutile).
Enfin, faites juste attention si vous intégrez exclusivement du thé vert à votre routine, à ne pas finir anémié par carence martiale !
C’est tout pour aujourd’hui… demain, je vous donnerai et présenterai mon « modèle de thèse » !
LE MOT POUR LE DIRECTEUR DE THÈSE
Mon directeur de thèse et un assesseur de jury (puis directeur de master 2 et de thèse d’université et président d’université !) m’avaient dit en 2014 qu’il fallait « raconter une histoire ». J’avais compris l’idée générale, mais c’est assez récemment (environ 10 ans plus tard) que j’ai vraiment saisi l’importance que ce conseil peut avoir sur la rédaction.
En conseillant cette méthode de « l’autoroute de la thèse » ou « du premier jet en un jour », ou « de l’écriture au kilomètre » ou toute appellation de votre choix, vous inciterez à écrire une histoire globale, débarrassée de tout le superflu. Lors des réécritures itératives, l’histoire s’affinera et on aura une thèse « organique » (à la façon d’une intrigue organique) où tous les éléments feront partie d’un même organisme, tenant tous ensemble… idéalement la thèse doit perdre quelque chose d’important si vous supprimez une phrase !
« Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher » (Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, 1939).