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Ancien chef de clinique des universités

Ce mardi soir, à 23h59, mon clinicat s’achèvera dans les cris et hurlements d’enfants et adolescents déguisés en fantômes, sorcières et autres quémandeurs de bonbons. Drôle d’image.

C’est sûrement le bon moment pour en faire un bilan, et faire des remarques tout à fait personnelles sur le clinicat tel que je l’ai vécu (notamment pour les futurs chefs de clinique en médecine générale). Je vais donner quelques chiffres et clairement, ça va avoir un côté CV : je mets ici ce que j’aurais bien aimé avoir ce genre d’exemple (non exemplaire !) avant de commencer mon propre clinicat, ou avant de choisir… Si tout ça est trop pénible, c’est sans doute que vous n’êtes pas concernés et je vous conseillerai donc de passer votre chemin (il y a cette excellente vidéo par exemple qui peut vous occuper ;-))

 

Pourquoi un clinicat ? 

En novembre 2014, mon internat (3 ans) était terminé ; ma copine avait encore 1 an d’internat puis 2 ans d’assistanat à temps partagé (dont 80 % à Lille), avec un projet d’installation ultérieure sur la côte. Le clinicat était possible, compatible avec son post-internat (et notre vie commune sur 2 sites séparés de 150 km), me permettait d’avoir un poste salarié à Lille avec une activité libérale déjà débutée sur la côte…

Ca n’est pas la seule raison bien sûr : j’aurais pu remplacer aussi, j’aurais eu une vie plus cool !

Je voulais aussi faire un peu d’enseignement et de recherche – « rendre aux enfants l’enseignement que j’ai reçu de leurs pères », dit-on dans le serment d’Hippocrate… Je voulais surtout contribuer à améliorer l’enseignement de la médecine générale, parce que dans ma promo, je crois qu’à peu près tout le monde était critique envers celui-ci. J’ai commencé à y réfléchir après mon 3ème semestre (en médecine générale), soit en mai 2013 environ.

Fin octobre 2014, juste avant de débuter, j’avais écrit un mot dans les notes du téléphone : « ne pas oublier que je fais ça pour m’amuser, pas pour être MCU ou PU. Je veux faire de l’enseignement pour apporter quelque chose aux étudiants, et faire un peu de recherche. Si à la fin je peux et veux postuler en tant que MCU, pourquoi pas ; mais cela ne doit être qu’un moyen de poursuivre l’enseignement et pas une fin. » 

Je suis assez content aujourd’hui d’avoir écrit ça. Et du coup, je recommanderais bien volontiers aux futurs CCU de faire de même : une petite note d’intention. Parce qu’une fois dans le maelström, on peut un peu perdre de vue nos objectifs premiers, voire céder aux injonctions contraires au nom des sacro-saints critères de la CNU.

 

Qu’est-ce que j’ai fait pendant ces 3 ans ? 

J’ai fait des trucs. Forcément, 3 ans c’est un peu long à résumer, mais je vais essayer de synthétiser…

J’ai développé à partir de rien mon activité clinique :

  • après 3 mois de simili-remplacement, j’ai créé une activité dans un cabinet en solo,
  • mon activité a augmenté de 0 acte à 25-30 actes/jour (bonne moyenne à laquelle j’aimerais rester sans trop monter…),
  • je suis médecin agréé aux comités médicaux et commissions de réforme depuis 2 ans (en gros faire les certificats d’aptitude pour les fonctionnaires, les entrées en école d’infirmier, expertiser sur la recevabilité d’un congé longue maladie, etc.), je suis membre du réseau Sentinelles (c’est sympa en ce moment, je recommence à écouvillonner le nez des gens pour voir s’ils ont la grippe ou pas) et je participe à la permanence des soins localement,
  • je ne pense pas être plus mauvais qu’un autre, en tout cas en suivant mon auto-évaluation et/ou les relevés de sécurité sociale (dont les indicateurs sont très discutables et soumis à de nombreux biais – j’en reparlerai sûrement ici à l’occasion :)).

J’ai suivi une formation à l’enseignement : 

  • un DIU de pédagogie médicale, aussi appelé CIDMED niveau 2 (et appris à vouer un culte à tout ce qui vient des méthodes pédagogiques canadiennes – que le Grand Caribou nous bénisse),
  • les séminaires animation 1 et 2 avec d’autres chefs de clinique de médecine générale (un super moment !)

J’ai fait de l’enseignement en 2ème cycle pour le département de médecine générale : 

  • écriture de 3h d’enseignement sur « la prévention en médecine générale » pour l’enseignement à choix libre de médecine générale en MED-5 (actualisé et animé 3h pendant 3 ans),
  • écriture de 2 x 1h sur un séminaire de présentation de médecine générale pour les MED-4 (animé 3-4h de séminaire pendant 3 ans),
  • évaluation de 4 ans de ce séminaire de présentation dans le cadre d’une thèse,
  • co-responsable des enseignements de médecine générale pour le 2ème cycle l’an dernier,

J’ai fait de l’enseignement en 2ème cycle pour la faculté cette fois, ou pour la préparation aux ECNi (dont se fiche royalement le DMG) : 

  • j’ai été co-responsable d’une conférence de préparation aux ECNi pendant 2 ans (j’en reparlerai plus bas),
  • j’ai fait une conférence de médecine générale, de tutorat, de LCA ; écrit des dossiers à 2 concours blanc de la fac ; participé à une conférence de pharmacologie, de sémiologie sur les 3 ans ; au total, j’ai donné 117 heures d’équivalent TD en 3 ans,
  • j’ai aussi écrit un recueil de cas cliniques (Dossiers Transversaux), participé bénévolement à un autre avec 2 cas cliniques (Bon usage du médicament), coordonné un troisième qui vient de sortir ce 24 octobre (Les dossiers des conférenciers) et préparé un autre (120 QI de pharmacologie) dont la version finale a été transmise ce 30 octobre  à S-Editions (contrat déjà signé),

J’ai participé aux activités classiques de tout universitaire : j’ai corrigé une fois la PACES (sciences humaines et sociales) et surveillé 27 examens de 2 à 3h en 1er et 2ème cycle…

J’ai fait de… « l’animation pédagogique » en 3ème cycle (disons ça, puisqu’en médecine générale on privilégie l’apprentissage à l’enseignement) :

  • dès mon arrivée en décembre, j’ai créé une fiche d’aide à la rédaction d’un RSCA pour rendre l’évaluation plus homogène (c’était un peu une sorte de cheval de bataille, et j’ai redit la même chose jusqu’en septembre 2017…)
  • je compte environ 240h sur 3 ans, dont 110h de groupes d’échanges de pratique, et le reste de façon variée : prévention individuelle et collective, communication et négociation (tous deux bien appropriés), portfolios (tous les ED – que j’ai synthétisés en 4 au lieu de 5 et mis à jour d’ailleurs), recherche d’informations, séminaire de rentrée (recherche), dermatologie, abord du patient avec cancer, gestes pratiques, vision globale,
  • et j’ai relu 31 portfolios (en étant sûrement un des évaluateurs les plus cools, puisque je n’ai jamais rien fait refaire – mon commentaire allant de « c’est très bien mais ça tu peux améliorer (détail) » à « c’est limite, j’accepte pour cette fois mais les fois prochaines, merci d’améliorer ces points sinon ça ne passera pas (détail) »)

J’ai écouté 28 fois le serment d’Hippocrate par mes thésardsa priori tous satisfaits (mon co-chef de clinique m’a fait remarquer que c’est un peu comme si j’avais encadré 4 à 5 % de chaque nouvelle promo pendant 3 ans :D) ; je l’ai aussi écouté 4 autres fois en tant que membre de jury non directeur…

J’ai fait de la recherche en médecine générale :

  • validé mon DESC de pharmacologie clinique et évaluation des thérapeutiques
  • obtenu un master 2 (7ème sur une promo de 57 mêlant scientifiques, médecins et pharmaciens – pas si mal pour un master 2 à mi-temps ;-)),
  • enchaîné avec deux ans de « thèse de science » (3ème et normalement dernière année en cours – ce qui a été validé par mon comité de suivi individuel le mois dernier \o/),
  • participé à une grosse étude locale (PaCUDAHL-Gé) : recrutement d’internes, formation aux bonnes pratiques cliniques, tenue d’une base de données initialement, encadrement de 2 thèses, participation à quelques rencontres, relectures de synopsis, protocoles, compte-rendus, etc.
  • publié 7 articles en 1er, 2ème ou avant-dernier auteur dans des revues françaises (j’ai réellement participé très activement à tous, qui concernent tous de la médecine générale) – si j’en crois SAMPRA, ça me fait un score SIGAPS de 40, « ce qui est bien mais pas top » ; j’en ai 2-3 autres pré-acceptés et je pense paradoxalement que je vais davantage pouvoir publier maintenant que j’ai du temps libre pour faire ça…

J’ai aussi eu une petite activité « d’expertise » en :

  • participant à des congrès… 
    • 4 communications orales en tant qu’invité dans des congrès à visée régionale (journées régionales de médecine, journées régionales de pharmacovigilance),
    • 1 communication orale dans un congrès international à Prague (en 1er auteur car mon article, mais je n’étais pas le présentateur car occupé et aussi anglophone qu’un poisson rouge slave),
    • 3 posters (2 au CNGE, et 1 à Lille dans le cadre de la thèse de science à présenter en anglais à des français, et avec les questions en français – ouf…)
    • 12 présentations orales aux congrès de médecine générale (CNGE et CMGF), dont 9 présentées,
    • 1 atelier co-animé (avec des amis de Twitter, good old times, tout ça ^^)
    • je suis membre du comité scientifique des journées régionales de médecine depuis 2 ans et j’ai été modérateur à une session de congrès à Lille
  • participant à relire des documents d’agences de santé :
    • 6 fiches INCa,
    • 2 fiches des réseaux OncoNor/OncoLogik
  • et participant à des revues :
    • 2 commentaires d’articles dans Exercer, 2 articles dans Données pour exercer
    • 3 articles rédigés chez Prescrire (entre décembre 2014 et juin 2017 où j’ai mis en stand-by),
    • 3 reviewings chez Exercer, 1 chez la Revue d’épidémiologie de santé publique et 28 chez Prescrire.

 

Sur quels points attirer l’attention d’un futur chef de clinique ? 

Concernant la part clinique…

Mon clinicat a assez mal démarré sur la partie « clinique ». C’est avant tout un mauvais concours de circonstances qui ne devrait plus se reproduire : déjà je devais débuter en novembre 2015 après une année « DESC » mais le candidat 2014 s’est désisté tardivement (en avril avec les dossiers à rendre en janvier normalement…). Le DMG m’a dit « non mais c’est bon, tu peux trouver ton lieu d’installation jusqu’en octobre » avant de me dire « ah non en fait tu as 15 jours » quelques semaines plus tard (changement de responsables, etc.)… Le cabinet où j’étais était parfait, mais il n’y avait pas de place avant un départ en retraite 2 ans plus tard. J’ai donc dû trouver en urgence un cabinet acceptant de m’accueillir, sans me connaître, sur un poste à mi-temps, avec un contrat de l’ARS à signer… Bonne chance !  

J’ai trouvé un poste, et c’était aussi inattendu que cool… Mais être à mi-temps, dans une structure coûteuse (1800€/mois en temps plein) avec un rythme plutôt effréné, c’est peu acceptable en général. C’était difficile d’avoir une légitimité en étant présent 4 demi-journées par semaine, avec des pratiques divergentes sur certains points, sans pouvoir accepter trop de nouveaux patients non plus vu qu’à mi-temps (pour ne pas surcharger les collègues en mon absence, ce qui est logique) – et pour rappel au début nous n’avons pas les papiers et numéros nécessaires à notre exercice pendant 1 à 2 mois. A l’heure actuelle, je suis sûr que ça passerait mieux, mais en début de clinicat, il me fallait clairement plus de liberté pour gérer la fac ET le cabinet. Bref, nous avons rompu d’un commun accord (et en bons termes) notre contrat à 3 mois et j’ai dû rebondir. J’avais anticipé notre rupture : fin décembre, j’ai visité le cabinet d’un ancien kinésithérapeute (à 300m du cabinet que j’allais quitter) pour lequel je signais en janvier, en me disant que c’était une bonne occasion de créer une activité que le clinicat.

Et je confirme ! C’est à mon sens une des meilleures solutions pour une raison simple : l’activité clinique montre crescendo, et le travail universitaire va plutôt decrescendo pendant le clinicat (enfin ça dépend bien sûr, mais en tout cas, il y a moins la charge de préparer 6h de cours quand on avance par rapport aux premiers mois – et on maîtrise mieux la direction de thèses par exemple, etc.)

Sauf que :

  1. l’ARS (Nord-Pas-de-Calais en tout cas) refuse de verser la prime de chef de clinique si on n’a pas un contrat de collaboration. Je me suis donc assis sur plusieurs milliers d’euros pour pouvoir exercer en solo… Mais pas de regret ! Si j’étais resté dans la MSP à 1800€ mensuels, j’aurais  à faire mes comptes aujourd’hui avec la perte de salaire ARS je pense ; là, être en cabinet solo m’a permis d’économiser quelque chose comme 1200€ sur les 1800€ mensuels de la MSP et c’est « plus sain » disons. Enfin je vis assez bien l’idée de « ne rien devoir » à l’ARS… je n’aime pas les devoirs de réserve ^^
  2. les critères CNU acceptent les « médecins installés » pour l’activité clinique, mais il faut aussi montrer « la capacité à animer une équipe clinique pluriprofessionnelle, attestée par une description du projet et/ou la production de protocoles de soins visés par la structure ». Bref, je pense qu’à l’heure actuelle il est mieux vu d’amener un dossier de « moteur de maison de santé pluridisciplinaire avec un projet s’inscrivant dans une up-levelisation du niveau de santé de la population locale en fonction de ses particularités » plutôt qu’un dossier de « je m’installe comme dans les années 70 lolilol ».

Vous pouvez aussi vous installer dans une MSP avec un des membres de votre DMG, mais il semble que parfois c’est préférable de scinder l’activité clinique et l’activité à la faculté.

Bref, j’ai deux conseils ici :

  • prévoir le clinicat tôt et trouver une « part soins » qui vous corresponde, avec des collègues qui ont une pratique qui vous convienne et qui acceptent quelqu’un avec votre pratique à (théoriquement) mi-temps (encore une fois, je pense qu’on est de mieux en mieux accompagnés) ; 
  • attention à ne pas « dépendre » un peu trop du complément de revenus de l’ARS (ne pas en avoir m’a évité cet écueil). On a vu des chefs qui avaient du mal à la transition « chef de clinique » – « pas chef » : pensez de façon précoce à cette transition.

 

Concernant l’enseignement…

Pour les enseignements de médecine générale, j’ai eu beaucoup de plaisir à animer certains enseignements (prévention et dépistage, ça a été mon dada). Quelques autres étaient pénibles (vision globale, cancer…). Tout le monde le sait – étudiants, enseignants -, mais il n’est facile de refaire des cours… Ca devrait néanmoins s’arranger bientôt avec la reprise de tous les enseignements prévue pour la promotion à venir, dans le respect de la réforme des DES.

On touche toutefois à ma principale frustration de la partie « enseignement de médecine générale » : chez nous, l’enseignant ne peut pas refaire le cours qu’il va « donner ». C’est normal et je l’entends bien : un même enseignement est décliné à plus de 10 groupes par an, parfois par 3 ou 4 enseignants différents, avec une validation préalable par d’autres intervenants en général ; si chacun le fait à sa façon (comme ça a pu arriver), on se retrouve avec des messages inhomogènes voire contradictoires, et on passe pour des clowns (au mieux)…
Mais malgré tout, le système est un peu fermé. Pour changer « officiellement » la moindre virgule, il fallait demander au concepteur qu’il le fasse lui-même, sachant que 1/ il peut être très mal pris de modifier un powerpoint qu’on n’a pas réalisé (ne pas faire en absence d’un adulte qualifié) ; 2/ certains concepteurs sont retraités ou à l’autre bout du monde. Certains se passent simplement du support de présentation et le font a capella. 
Bref, un juste milieu devrait pouvoir être trouvé. Si on ne « débloque » pas ça un peu, s’il n’y a pas de système simple d’édition, de commentaires ou de partages (même sur un Google Drive ou équivalent), ça sera toujours frustrant… Là encore, la liste des « référents » par ED sera mise à jour avec la refonte des enseignements donc ça devrait pouvoir se simplifier…

Dans le même principe, j’ai appris après 8 mois de clinicat qu’il fallait « s’approprier » les ED qu’on faisait (c’est-à-dire y assister en tant qu’enseignant observateur), y compris si on a déjà eu l’ED (6h) en tant qu’interne 1 an plus tôt, si on a lu le déroulé pédagogique et si on a potassé la présentation… (je l’ignorais, et d’ailleurs personne ne me l’avait dit lors de mon inscription sur le planning à plein d’ED…) C’est un peu particulier, ça n’existe clairement pas dans les autres spé chez nous ; je ne sais pas si c’est répandu dans les autres facs en médecine générale… Bref, un conseil : renseignez-vous avant de faire de l’enseignement sur ce que vous avez le droit ou pas le droit de faire. 

L’autre point de frustration, c’est que 3 ans après, si je me dis « qu’est-ce que j’ai changé ? », eh bien en médecine générale, je crois que la réponse est « pas grand-chose, voire un peu moins ». Ca soulève même la question « sommes-nous là pour changer quelque chose ? » Je pense que c’est une question à se poser avant de débuter le clinicat : quelle place voulons-nous avoir ? Que voulons-nous changer ? 
Il y a quelques enseignements que j’ai (re)faits sur la recherche, la prévention ou la communication, mais rien qui n’aurait pu se faire de la même façon sans moi. Par ailleurs, je serais bien incapable de citer la moindre décision d’importance du DMG que j’aurais pu vraiment influencer par mon avis. Ce n’est pas qu’on ne m’a pas écouté, c’est juste que mon avis n’était pas dans le sens des grandes décisions qui ont été prises de façon collégiale par les instances actuelles.

Ca n’est pas une critique, c’est un constat. Par exemple, mon opinion a toujours été pendant ces 3 ans – de façon non exhaustive – d’être :

  • « favorable » à des équivalences de temps d’enseignement par d’autres choses (DU, DIU, congrès, etc.), parce que je sais que c’est galère quand on est en stage de s’absenter à plusieurs internes en même temps, et qu’il y a des congés et d’autres trucs : au contraire, le DMG a serré la vis pour réduire les équivalences pour favoriser le suivi des ED,
  • « favorable » à augmenter un peu la part « magistrale » réclamée par certains étudiants (pas forcément en enseignement magistral, mais en supports en ligne, référentiels ou autres) : au contraire, les textes légaux, le CNGE et le DMG veulent davantage de groupes d’échanges de pratique pour majorer encore l’apprentissage de la réflexivité,
  • « favorable » à être plus cool sur les évaluations de portfolios et ce qu’on en demande (parce que c’est un équivalent de mémoire, ce qui demande quelque chose comme 100h environ au total dans un autre DES, et qu’on demande 7 RSCA + 6 rapports de stage…) ; au minimum, ne pas faire refaire encore et encore le même RSCA… (j’ai vu des étudiants apparemment sains d’esprit développer une vraie phobie avec 2-3 correcteurs). Au contraire là encore, le CNGE (et donc localement) s’est prononcé pour majorer le portfolio avec un journal de bord, voire l’étendre ensuite au 2ème cycle et à tout professionnel de santé. (A part les chefs de clinique et une poignée d’ayatollahs, la plupart des membres de DMG et évaluateurs de portfolios n’ont jamais eu à rédiger de RSCA. Le jour où on voudra étendre cet « exercice » à l’ensemble de la profession, il y aura une telle levée de boucliers que les gens croiront à une éclipse).
  • « favorable » à laisser l’internat à 3 ans : bon bah, apparemment ça ne se dit pas, il faut être pro-4 ans parce que le CNGE l’est.

Et j’ai vraiment essayé de changer certaines choses qui m’avaient gêné en tant qu’interne. Pour les RSCA, j’ai retrouvé la fiche (ci-dessous) que j’ai faite en décembre 2014 (à 1 mois de clinicat donc), transmise, intégrée dans les ED, validée. Pour autant, lorsque 3 ans plus tard nous discutons de ce qui doit être ou pas dans un RSCA, tout le monde n’est pas d’accord sur la partie « analyse » ou autre. Nous attendons un ouvrage de référence sur les RSCA sur lesquels s’appuyer… une perspective là aussi.

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Donc le message ici pour les futurs CCU, c’est sûrement de réfléchir en amont à ce que vous voudriez changer, en un ou deux seuls points. Depuis un an maintenant chez nous, les chefs de clinique sont intégrés dans l’organigramme et c’est une bonne chose, à développer.

Finalement ce qui m’a sans doute le plus plu, c’est la responsabilité de conférences de préparation aux ECNi (c’est paradoxal car c’est lié au clinicat universitaire, mais pas du tout à la médecine générale). Ca a été une activité hautement chronophage, mais tout aussi enrichissante pour :

  • les connaissances : j’ai beaucoup « révisé » en relisant les conférences du tour de spécialité pendant deux ans,
  • la pédagogie : s’adapter aux changements de docimologie des ECN, choisir le « programme » de la conférence / concevoir un projet, demander aux étudiants ce qu’ils ont besoin, le mettre en place,
  • l’organisation / le relationnel : travailler en binôme de façon sereine et efficace pendant 2 ans, c’était vraiment cool ; organiser 2 fois un concours blanc, gérer un planning de 50 conférenciers, gérer 3 groupes de 40 étudiants (en MED-6) pendant 2 ans, faire du coaching et du tutorat (à quelques jours/semaines/mois du plus gros concours de leur vie), gérer des « mini »-urgences sur des problèmes de salle ou autre…

Ca a aussi été la partie d’enseignement où j’étais vraiment dans « l’enseignement » bien plus que dans « l’apprentissage de la réflexivité » et c’est peut-être aussi simplement pour ça que ça m’a plu. C’est sans doute davantage ce que je recherchais par un poste d’enseignant-chercheur. Avec cette activité, j’ai eu toutes les activités scindées dans un département de médecine générale : administratifs, décisionnels et exécutants… Et clairement, j’ai eu plus de liberté et d’influence ici par l’équipe de la faculté qu’au sein du DMG, dans un domaine pourtant « précieux » (les meilleurs MED-6 de la fac avant les ECNi pour lesquelles le rang de classement de la faculté est scruté nationalement). Bref, si vous avez l’opportunité d’avoir un tel poste, foncez ! (Les places sont rares, 15 pour toute la fac et généralement tenus par des internes).

 

Concernant la recherche… 

La CNU était avant avec les internistes, puis a a été proclamée séparée (section 53.03) avec de nouveaux critères au congrès du CNGE de Lille en novembre 2014 par le Pr Dubois-Randé en tant que conseiller auprès du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche à l’époque (il est directeur d’UFR à Paris-Est-Créteil où le directeur de DMG est le Pr Vincent Renard, président du CNGE depuis 2010 ; il est également président de la conférence des Doyens depuis février 2016 et il a récemment annoncé la suppression des ECN pour « mieux accompagner l’acquisition de compétences cliniques par les étudiants »).
Bref, donc j’ai commencé avec une histoire de « attention aux points SIGAPS » et poursuivi avec « attention il faut des articles dans Exercer et dans des revues de médecine générale anglophones ». Ca n’a pas changé grand-chose, d’autant que j’avais ma note d’intention qui me rappelait régulièrement de ne pas travailler pour un CV mais d’avoir un CV parce qu’on travaille sur ce qui plait (j’insiste mais c’est vraiment une notion qu’on a tendance à perdre…)

J’ai été invité à participer activement à une étude en cours, et ça a été une enrichissante expérience.

En dehors de cette étude et de mes travaux personnels (master 2, mémoires de DESC ou DIU, thèse de science), j’ai fait principalement de la direction de thèse (sans la formation, mais j’avoue que je n’y trouve plus un fol intérêt après une petite trentaine de directions). Ma principale erreur, ça a été de ne pas orienter ces thèses dans le seul domaine de ma thèse de sciences. A l’heure actuelle elle serait déjà finie…

Ma principale fierté, ça a été de ne pas orienter ces thèses justement… et de laisser aux thésards la liberté de choisir les domaines d’études qui les intéressaient. J’ai encadré des sujets de pédiatrie, gynécologie, médecine du sport, pharmacologie, pédagogie et même un d’histoire de la médecine – le tout étant toujours centré sur la médecine générale bien évidemment.

 

Est-ce que je me suis amusé ?
Indéniablement, j’ai « vécu » des moments très chouettes. Les directions de thèse m’ont beaucoup plu, la responsabilité d’une conférence était aussi inattendue qu’incroyable. Les sessions « animation » avec les autres chefs de clinique, et certaines amitiés créées par le clinicat… bah tout ça, c’est bien ! 🙂
Finalement, ce sont des moments de « liberté » pour moi, que j’ai bien appréciés. Il parait que j’ai eu plus de mal sur le travail en équipe – ceci étant, ça n’est pas ma faute si j’ai des idées qui sont contraires à certaines du CNGE par exemple, et peut-être que c’est bien d’avoir dans une équipe un membre qui a des idées un peu divergentes (peut-être que c’est pénible aussi). (Et puis c’est relatif, bosser en équipe en étant responsable de conf s’est très très bien passé…)

 

Et après ?
Déjà faisons simple : je n’ai pas les critères pour être MCU sur plein de motifs.
Primo, les articles, j’en suis loin (il me manque les 3 en anglais notamment).
Deuxio, je ne suis pas MSU et je n’ai pas l’intention de l’être pour l’instant – parce que c’est une création d’activité, parce que j’ai envie de faire du soin plus que de la pédagogie pour laquelle j’ai déjà pas mal donné dernièrement, parce qu’avant d’enseigner il faut savoir et que j’ai à progresser sur mon examen clinique par exemple, ou d’autres détails…
Tertio, ça n’est pas limitant dans les textes mais être « en solo » n’offre sans doute pas un CV facile à défendre devant le terrible CNU.

Ensuite, je n’ai pas postulé pour une 4ème année de clinicat (ma copine – maintenant femme – débutant son nouveau poste à 50 km de moi le 2 novembre). De toute façon le poste ne m’a pas été reproposé non plus. J’ai l’habitude des ruptures en bons termes, vous voyez 😀

Officiellement, je suis « chargé d’enseignement » mais je n’ai pas repris d’ED vraiment – je finis mes groupes d’échanges de pratique et je suivrai l’évolution (réforme de DES, nouveaux enseignements, etc.)

Bref, pour la première fois, je suis vraiment seul (mon clinicat a fait suite directement à l’internat).
Seul, avec un cabinet et des patients, et je dois m’améliorer sur mon activité clinique, ma sémiologie, mes prises en charge, ma gestion des dossiers…
Je ferai encore un peu de recherche avec ma dernière année de thèse d’université, et la vingtaine de travaux à valoriser qui sont dans mes dossiers…
Quant à l’enseignement, la pédagogie, le partage de connaissances… J’aime assez ça et sans doute que le contact avec les étudiants/internes me manquera. Mais l’enseignement ne se limite pas à la faculté : il y a des gens qui font ça très bien sur leurs blogs (le Dragi Webdo, d’un autre chef de clinique de médecine générale ; Qffwffq en neurologie…), il y a des vulgarisateurs géniaux sur YouTube… sans doute que ce genre de « voie » pourrait me permettre de poursuivre un peu de « pédagogie ». Je ne sais pas… On verra où m’amènera cette quête insensée du fun, qui m’a poussée hier à entreprendre un clinicat, mais demain – qui sait ? – peut-être simplement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi.

Voilà ! C’est fini ! Enfin ! Vous avez vraiment lu tout ça jusqu’ici ?! Vous êtes fou !
Au passage, si jamais vous êtes concernés : bon premier semestre aux néo-internes de demain, bon début aux nouveaux chefs de cliniques, et bonne « retraite » aux anciens assistants / chefs / internes 😉

 

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Dépistage par mammographie du cancer du sein

S’il y a un truc qui fait débat en ce moment, c’est bien… euh, le LEVOTHYROX ? l’aluminium ? l’obligation vaccinale ?
Tout ça, mais aussi le dépistage par mammographie du cancer du sein, parce que nous sommes au milieu d’Octobre Rose et de ses actions en faveur d’un dépistage systématique… et que celui-ci est l’objet de polémiques depuis plus de 10 ans.

Une fois n’est pas coutume, je vais essayer d’être synthétique (OMG !)

 

En quelques mots, quelle est la polémique ?
Depuis 1989 dans certains départements et depuis 2004 au niveau national, les autorités recommandent un dépistage systématique par mammographie tous les 2 ans de 50 à 75 ans (ladite mammographie est lue par 2 radiologues différents). L’Institut National du Cancer (InCA) associe ce dépistage à une réduction de 15 à 21 % de la mortalité par cancer du sein.

En 2001, une méta-analyse Cochrane de Gotzsche et Olsen remettait en cause ce dépistage. Elle a été mise à jour (comprendre « ajouter de nouvelles études aux anciennes ») en 2006, 2009, 2011 et 2013 et conclue invariablement à « ça ne diminue pas la mortalité, ça augmente les mastectomies« . Cette augmentation de mastectomies a été confirmée en 2017 en France dans une étude sur les bases de données hospitalières. L’InCA lui-même retient une valeur de 1 décès évité pour 3 surdiagnostics (2 décès évités pour 1 surdiagnostic au mieux ; 1 décès évité pour 10 surdiagnostics au pire). Le surdiagnostic correspond à une lésion cancéreuse qui n’aurait pas évolué vers un cancer infiltrant du vivant de la patiente. 

En 2016, la Ministre de la Santé a lancé une concertation citoyenne qui a conclu le message suivant : « l’état des connaissances sur les bénéfices et les risques associés au processus de dépistage du cancer du sein doit faire l’objet d’une information claire, précise, complète, afin de permettre aux femmes d’adhérer ou non à cette démarche« . L’annexe 4 du document (page 155 et suivantes) propose des outils d’aide à la décision – dont celui de notre ami Twittos, @Dr_JB_Blanc ! (Gloire aux blogs ^^) 

 

Qui est dépisté et comment ?
Inutile de réinventer la roue : Mme Patricia Rosselet a produit un super tableau dans l’annexe 3 du rapport de concertation citoyenne (page 144 et suivantes).

Nous ne parlerons ici que du dépistage systématique. Le dépistage ciblé chez les patientes ayant un facteur de risque génétique identifié (BRCA1/2…) ou les suivis après cancer du sein ne sont pas concernés par tout ça.

 

Que voulons-nous savoir et pourquoi ça sera compliqué ? 
Voici la courbe de l’incidence et de la mortalité par cancer du sein en France (page 16 de la concertation citoyenne).

Capture d’écran 2017-10-14 à 22.15.32
Première question : est-ce que la mammographie systématique diminue la mortalité du cancer du sein ? Voire la mortalité totale ? 

Si le dépistage était suivi à 100 %, très fiable et si le traitement était très efficace, nous aurions une mortalité à 0 entre 50 et 75 ans, mais la courbe serait à nouveau ascendante ensuite (ainsi qu’avant 50 ans) – or, le principal taux de mortalité est après 75 ans. Bref, si nous cherchons à parler d’efficacité ou de nocivité, il faut s’intéresser à la bonne tranche d’âge, et ne pas parler de « cancers du sein à tout âge » (sous peine de gommer l’effet à cause d’une mortalité dans une tranche non dépistée).
Par ailleurs, entre 50 et 55 ans, le taux de mortalité du cancer du sein est environ de 1 femme pour 3000 (dans cette tranche, le taux de mortalité est de 2,4/1000 femmes dont 0,3 liées à un cancer du sein). Avec un taux de dépistage à 50 %, les études qui ne se comptent pas en dizaine de milliers de patientes ne pourront rien montrer. C’est compliqué donc à mettre en place.

Pour la mortalité totale, c’est personnel mais ça m’agace toujours un peu (euphémisme) parce que ce « critère fort » si souvent recherché ne veut pas souvent dire grand-chose…
Déjà, il faut savoir de quel délai on parle, et bien le choisir. Le risque de décès après 130 ans de suivi est toujours à 100 % : aucun vaccin, aucun médicament, aucune prise en charge ne réduit ce risque. Désolé 🙁
Ensuite, il faut connaître un peu l’importance de la maladie dans les décès totaux, et l’impact attendu de l’action menée. Nous parlons ici d’une pathologie causant en France 11 000 décès sur 580 000 annuels (soit 2 %), avec un dépistage sur 25 ans (et la courbe montre bien qu’il y a des décès avant et après) suivi par 50 % des femmes.
Par ailleurs, si nous « sauvons » une personne avec le dépistage, elle peut quand même décéder d’autre chose : infection, autre cancer, cardiopathie, accident de la route… Les gens peuvent développer plusieurs maladies dans leur vie, avec en plus des facteurs communs entre les unes et les autres (tabac, obésité, sédentarité, alcool…). Si vous regardez le risque de décès à 10-15 ans dans une population de 60 ans en moyenne en n’agissant que sur le dépistage d’une seule pathologie, vous êtes à peu près assuré de ne rien trouver. De la même façon, il serait très peu pertinent de regarder si la ceinture de sécurité recommandée chez les femmes de 50 à 74 ans réduit le risque de décès de toute cause chez les femmes de plus de 50 ans par exemple

A cela s’ajoute d’autres variables : l’amélioration des outils de dépistage (systèmes numériques depuis les années 2010), l’amélioration des traitements… Tout cela rend rapidement caduque les études menées dans les années 80 ou 90. Or, voici les études de la méta-analyse Cochrane de 2013 citée en introduction :

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J’adore le travail de la Cochrane, mais tout ça est ancien et la pertinence d’une méta-analyse se discute avant même de la faire sur de telles données… Pour les mastectomies, tout date du siècle dernier ! Et c’est cette méta-analyse qui est réutilisée partout ensuite, dans certains outils à destination du grand public (comme ici le Harding Center for Risk Litteracy).

Par ailleurs, faire de nouvelles études est compliqué car le dépistage organisé est très répandu… donc nous comparons des différences de mortalité sur des différences parfois minimes de taux de participation au dépistage (j’en ai un peu parlé dans ce billet il y a 2 ans).

Et puis il faut aussi tenir compte de la modification des rythmes de dépistage et de taux de participation (selon les pays et les années)… Pour les études plus récentes, il peut être un peu difficile d’extrapoler en France avec les mêmes chiffres une étude britannique où le dépistage est entre 50 et 70 ans tous les 3 ans.
Comme nous avons vu plus haut qu’il faut de grosses études pour montrer un effet, nous voici face à un joli problème.

 

Deuxième question : est-ce que le dépistage est nocif ?
Il peut l’être de 3 façons :

  • augmenter le nombre de cancers (radio-induits) : rien n’est prouvé là-dessus… on connait le risque après 100 mSv mais en-dessous, on ignore si le risque est linéaire ou pas (pour information,  l’irradiation naturelle en France est de 2,4 mSv, un scanner c’est 10 mSv et une radiographie c’est 0,5 mSv),
  • augmenter le stress précoce inutile (faux positifs principalement, ou conséquences d’un surdiagnostic)
  • augmenter le nombre de traitements inutiles (pour une pathologie qui n’aurait pas évolué vers la mort, voire qui aurait régressé spontanément dans 20 % des cas environ) : le problème ici va être de différencier les traitements utiles des inutiles… Nous n’avons pas de boule de cristal, donc ce surdiagnostic/surtraitement ne peut qu’être estimé par des méthodes statistiques.

 

Et donc au total, est-ce que le dépistage est utile (en fonction des tranches d’âge) ? Est-ce que le dépistage est nocif (en fonction des tranches d’âge) ?

J’aime bien le commentaire sous l’article de la Cochrane de 2013 qui a comparé 3 méta-analyses…

Pour prévenir le décès d’une femme d’un cancer du sein, avec un RR autour de 0,80 pour les 3 méta-analyses, il faut inviter au dépistage :

  • 2000 femmes de 50-70 (?) ans selon la Cochrane : « Pour les 7 essais sur la mortalité due au cancer du sein, le RR était 0,81 (0,72 – 0,90) à 7 ans et 0,81 (0,74 – 0,87) à 13 ans » (ou en VO pour rechercher dans le texte : for all seven trials taken together the RR was 0.81 (95% CI 0.72 to 0.90) after 7 years and RR 0.81 (95% CI 0.74 to 0.87) after 13 years).
  • 1339 femmes de 50-59 ans et/ou 377 de 60-69 ans selon l’US Preventive Services Taskforce

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  • 235 femmes de 55-79 ans invitées au dépistage depuis 20 ans, selon l’independent UK Panel (dans le texteThe panel’s review of the evidence on benefit – the older RCTs, and those more recent observational studies – points to a 20% reduction in mortality in women invited to screening. A great deal of uncertainty surrounds this estimate, but it represents the panel’s overview of the evidence. This corresponds to one breast cancer death averted for every 235 women invited to screening for 20 years). Cette étude a été schématisée ici par Dominique Dupagne.

Pour le surdiagnostic, il est estimé de 1 % à 30 % selon les études… A cela s’ajoute des effets néfastes psychologiques.

 

Voilà et j’ai dit que j’allais essayer d’être synthétique donc je m’arrête là.
Si mon message n’est pas clair, en voici une version courte :

  • Il semble y avoir une réduction du nombre de décès par cancers du sein grâce au dépistage (de l’ordre de 20 %).
  • Cette réduction ne change pas le nombre de décès tout cancer confondu ou toute cause confondue, pour plein de raisons évidentes (nombreuses autres causes de décès possibles notamment après 50 ans avec un suivi à 13 ans…)
  • Il semble y avoir un surdiagnostic avec un surtraitement (de l’ordre de 10-20 % environ).  
  • L’important est d’informer : pour ça, les outils en annexe 4 de la concertation citoyenne ou sur Atoute sont très bien pour donner un ordre d’idée des avantages et inconvénients de la mammographie.
  • Néanmoins les chiffres (d’un côté et de l’autre) sont probablement très faux, parce que basés sur des méta-analyses récentes d’études anciennes, dans des populations différentes avec un schéma de dépistage différent de celui français, avec un taux de participation différent, et des facteurs de confusion (génétiques, alimentaires, hormonaux…) différents.
  • Ainsi, il me semble illusoire et contre-productif de donner une « fausse » précision sur ces schémas : il est préférable de montrer et expliquer la balance entre bénéfices et risques avec des données qui semblent moins assurées, parce que c’est dans cet état qu’est la science actuellement… 

Si j’avais un peu le courage et le temps, je m’amuserais avec 2 trucs :

  • faire des petits schémas explicatifs similaires avec le tabac et/ou son arrêt (nombre de décès imputables…)
  • avec le tableau de l’annexe 3 (dépistage du cancer du sein par pays) rapporté à la population féminine de 50-74 ans, et les décès par cancer du sein dans le Global Burden of Disease de l’OMS.

S’il y a des amateurs… 😉

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Fiche Rhino-pharyngite : préparer l’hiver…

J’utilise de plus en plus souvent une fiche « modèle » pour les rhino-pharyngites, et je viens de la mettre à jour en précisant notamment l’évolution et l’absence d’intérêt d’antibiothérapie.
Mon objectif est de m’appuyer sur ces fiches-ordonnances pour mieux faire de « l’éducation à la santé » afin d’aider les patients à reconnaître et traiter seul les rhumes, avec un discours simple et répétitif unique au fil de leurs consultations… Je pense qu’une des raisons qui incite à consulter pour une rhino-pharyngite est justement que les ordonnances changent au gré des humeurs, et que ça peut « tromper » le patient sur le fait qu’il a besoin d’un avis pour une ordonnance personnalisée (ce qui est faux).
Merci à @DrJohnFa pour son idée lumineuse de séparer « traitement naturel » et « traitement chimique » pour le traitement de mal de gorge !
Vous pouvez bien évidemment utiliser cette fiche, l’adapter, l’imprimer et en faire des origamis… bref, en faire ce que vous voulez !
(A noter que le DOLIPRANE, le TUSSIDANE et le PERUBORE sont optionnels… mais c’est plus rapide à supprimer qu’à ajouter). 

 

LAVAGES DE NEZ :
1. DISPOSITIF D’IRRIGATION NASALE TYPE RHINOHORN OU ÉQUIVALENT
– Reconstituer avec de l’eau tiède à 37°C et du sel de table
– Tête penchée en avant et sur le côté : faire couler l’eau dans la narine du dessus
– L’irrigation ne doit pas être désagréable (sinon, la tête est sûrement trop en arrière, ou le sel a été oublié, ou l’eau est trop fraîche…)
– Lavages à volonté, y compris lors du début des prochains rhumes
(Exemple d’utilisation : https://www.rhinohorn.fr/userguide/)
A réemployer par la suite lors des premiers symptômes d’écoulement nasal. 

2. A DÉFAUT, OPTER AU MINIMUM POUR UN NETTOYAGE AU SERUM PHYSIOLOGIQUE / EAU DE MER EN UNIDOSES (PHYSIOMER, STERIMAR, PRORHINEL…)
– Tête penchée sur le côté et laisser couler un peu de sérum
– OU tête penchée en arrière et « injecter » l’eau

TRAITEMENT DU MAL DE GORGE :
– Bonne hydratation
– Traitements « naturels » : miel, boissons chaudes, infusions, traitement phytothérapeutiques…
– Traitements « chimiques » (antiseptiques ou anesthésiques locaux) : LYSOPAÏNE, DRILL, STREPSILS, COLLUDOL…

Paracétamol 1 000 mg comprimé ( DOLIPRANE )
1 comprimé 1 à 3 fois par jour selon besoin, en espaçant les prises de 4h minimum. Maximum 4 comprimés par jour. A avaler avec un peu d’eau, lait ou jus de fruit.

Lavande, thym, romarin, thymol en inhalation (PERUBORE INHALATION CAPS 15)
1 capsule matin, midi et soir dans un inhalateur ou un bol d’eau bouillante pendant 1 à 5 jours. En cas de congestion sinusienne.

Dextrométhorphane bromhydrate 1,5 mg/mL solution buvable sans sucre ( TUSSIDANE s/s )
1/2 cuillère-mesure 1 à 4 fois par jour entre 30 mois et 6 ans
1 cuillère-mesure 1 à 4 fois par jour entre 6 et 12 ans
1,5 cuillère-mesure 1 à 4 fois par jour entre 12 et 15 ans
3 cuillères-mesure 1 à 4 fois par jour après 15 ans.
A prendre selon besoin, principalement le soir au coucher.

HUMIDIFIER L’ATMOSPHÈRE SI BESOIN (notamment en cas de chauffage électrique), LIMITER LES IRRITANTS (TABAGISME)

AUCUN ANTIBIOTIQUE N’EST NÉCESSAIRE DANS UNE RHINOPHARYNGITE, Y COMPRIS EN CAS DE RHINITE PURULENTE.
Les indications ORL sont : otite moyenne aiguë bactérienne – angine bactérienne (prouvée par un test) – sinusite aiguë bactérienne.
En savoir plus : http://www.infectiologie.com/UserFiles/File/medias/Recos/2011-infections-respir-hautes-recommandations.pdf

QUELLE ÉVOLUTION POUR UNE RHINOPHARYNGITE ?
La fièvre dure 2 à 4 jours. L’écoulement nasal ou l’obstruction nasale, la toux évoluent sur une durée plus prolongée de 10 à 14 jours (plus longue en cas de tabagisme).
RECONSULTER EN CAS DE : persistance ou réapparition de la fièvre après 4 jours, changement de comportement de l’enfant, douleurs ou écoulement au niveau d’une oreille, conjonctivité sale, oedème des paupières, gêne respiratoire, signes digestifs (vomissements, diarrhées, refus alimentaire…)

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Levothyrox et la loi des dramas

Petit billet pour faire vivre ce blog, et partager quelques informations mises hier soir et ce matin sur Twitter, dans un contexte « d’agacement » sur le traitement médiatique de la nouvelle formulation du Levothyrox.

Pour remettre dans le contexte en quelques points-clés…

 

Chapitre 1. De quoi on parle.

Le LEVOTHYROX est un médicament qui contient de la lévothyroxine, une hormone thyroïdienne indispensable à une bonne qualité de vie, voire à une vie tout court, dans les cas d’hypothyroïdie (qui peuvent être mortelle avec notamment l’évolution vers un coma myxoedémateux).

L’hypothyroïdie est un problème fréquent : le LEVOTHYROX est la 8ème molécule la plus vendue en France, et concerne 3 millions de personnes.

Le LEVOTHYROX est particulièrement efficace et bien toléré. Une hypothyroïdie est une maladie donnant plein de symptômes résumables en « tout mon corps tourne au ralenti » (fatigue, constipation, baisse de la fréquence cardiaque, chute de cheveux, prise de poids, etc.) ; le LEVOTHYROX traite d’un coup tous ces symptômes. Plutôt pas mal !

Le LEVOTHYROX a quand même un défaut : il transpire énorm… Pardon, non, il a une marge thérapeutique étroite : « trouver le bon dosage » demande parfois des tâtonnements lors de son introduction ; un mauvais dosage peut donc entraîner des signes d’hypothyroïdie, ou au contraire d’hyperthyroïdie (aka « tout mon corps est à l’affût » : insomnie puis fatigue liée à l’insomnie, diarrhée, tachycardie, perte de poids, repousse de chev… ah non, ça non, zut).

Pour trouver le bon dosage, on s’aide de la clinique et d’une prise de sang (TSH, pour hormone de stimulation de la thyroïde – qui sera basse quand on est en hyperthyroïdie parce que ça sert à rien de stimuler, et haute en hypothyroïdie parce que c’est le bon moment pour stimuler)… Ce dosage ne peut être fait qu’un mois après l’introduction ou le changement de dose du médicament, le temps que ça se régularise…

Pour en savoir plus, le Dr Christian Lehmann a fait un thread ici (thread = il faut dérouler…) :

 

Chapitre 2. Ce qui a changé.

En 2003, des scientifiques notaient (rappelaient en fait) que le lactose n’est pas un bon excipient : en plus d’être à effet notoire (pour les intolérants au lactose), il ne conserve pas bien le médicament à 3 ou 6 mois (cf. tableau ci-dessous avec la source mise dessus parce qu’il faut bien se différencier des gens qui racontent n’importe quoi).

Ce tableau dit qu’à 3 mois (et sous 40°C), un comprimé de 100 μg de LEVOTHYROX ne contient plus que 86,9 μg du principe actif si l’excipient est du lactose, contre 90,3 μg si c’est du mannitol

 

A noter que la durée de conservation est de 2 ans pour le LEVOTHYROX. Donc si le 1er janvier 2017 vous aviez une boîte qui se périmait le 1er septembre 2019, c’est que le médicament avait déjà 3 mois dans la vue, et était donc « sous-dosé ». Bref, vous croyiez que l’ancienne formule était toute gentille mais non C’ÉTAIT UNE SACRÉE ARNAQUEUSE !

En 2012, la commission nationale de pharmacovigilance (ANSM) notait dans son rapport que la teneur en principe actif du LEVOTHYROX était plutôt de 105 % du dosage cible, versus 100 % pour le générique (pour justement lutter contre cette diminution du principe actif au fil du temps).

Tout de suite, vous comprenez que surdoser un médicament à marge thérapeutique étroite pour que les patients soient à 105 μg en début de mois (sous réserve qu’ils aient la boîte dès la sortie du laboratoire…) et 95 μg en fin de mois, afin d’être « à peu près » à la dose qui leur convient, c’était franchement pas top. Pourtant ça marchait bien.

Pourquoi ça marchait bien ? Parce que rien ne changeait ! Finalement, pour 2 patients différents « bien » sous 85 μg de LEVOTHYROX par jour, peut-être que l’un prenait 87,5 μg (dès le premier jour) et que l’autre prenait 100 μg (mais en traînant des stocks dans ses armoires).

Il n’empêche que changer l’excipient par un autre qui va mieux est une bonne idée. Et celui qui va bien, ça sera le mannitol (cf. tableau ci-dessus donc : à 6 mois, il est aussi dosé que le comprimé au lactose à 3 mois).

Arrêtons-nous deux secondes sur le mannitol avec cet excellent thread de @qffwffq :

J’en profite également pour rajouter que le mannitol dans le tableau ci-dessus c’est moins de 100 mg par comprimé de LEVOTHYROX. Or, dans nos assiettes…

Sans compter qu’on en trouve dans le citrate de bétaïne (avec l’acide citrique d’ailleurs), que pas mal de patients achètent en pharmacie, sans parler de scandale dans la presse.

Bref, l’ANSM a demandé au laboratoire (Merck) de revoir sa formule a suivi en mars 2017. L’annonce a été faite en loucedé (contrairement à nos collègues Belges qui ont fait une annonce plus importante lors du changement en 2015 – oui, contrairement à ce qui a été raconté sur TF1 ou dans la presse chez Jean-Jacques Bourdin, les Français ne sont pas des cobayes, d’autres pays sont déjà passés au mannitol, vu que bah c’est mieux…)

Le temps que les gens finissent leurs anciennes boîtes, et entament les nouvelles, certains effets de sous-dosage ou de sur-dosage ont commencé à se faire sentir dès avril, pour certains patients.

Encore une petite pause : on parle d’un médicament à dose thérapeutique étroite, dont on modifiait avant la quantité de principe actif pour que ça fasse l’affaire, et dont on change la cinétique de décroissance – laquelle cinétique dépend de variables telles que le délai d’approvisionnement du pharmacien, le temps resté en pharmacie, le temps dans le placard du patient, la température, et la réticence à passer à la nouvelle boîte tant qu’il reste des anciennes boîtes à cause des polémiques… Alors oui, il est tout à fait attendu que certains patients soient gênés !

Et « certains patients », même si seulement 10 % des patients ont un dérèglement passager de leur fonction thyroïdienne, ça représente 300 000 personnes en France… Forcément, ça fait du monde qui peut s’interroger légitimement, et essayer de comprendre !

Heureusement, ils ont pour les guider une presse rigoureuse et scientifique.

 

Chapitre 3. Pas du tout, c’est parti en cacahuète total.

En vrai, nous avons eu un raz-de-marée d’empirisme, et d’exemples personnels (aussi appelé « niveau de preuve 0 »).

Anny Duperey a été citée partout, partout, partout début septembre 2017, pour raconter ses problèmes de diarrhée et de fatigue (l’ayant obligé, dit-elle, à arrêter le sport et surconsommer du café et du GURONSAN pour finir un tournage au Portugal au printemps… Ce qui, noterons-nous, peut expliquer en partie la diarrhée persistante, puisque le cocktail café + caféine (le GURONSAN c’est du café hein) + grosse chaleur + stress n’est pas réputé hyper constipant.) Capture d’écran 2017-09-11 à 00.02.55 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.10 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.16 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.33 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.40 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.46 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.51 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.04.21 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.57 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.02.33 Capture d’écran 2017-09-11 à 00.03.22Vous me pardonnerez, mais il en manque… 20 minutes, Le Figaro, Allodocteurs, L’Obs, le Télégramme… tout le monde a repris l’indignation d’Anny Duperey (actrice que j’aime beaucoup par ailleurs en tant qu’actrice, aucune animosité envers elle).

Evidemment, elle n’est pas la seule. Après Valérie Damidot citée ci-dessus, nous avons eu Jean-Jacques Bourdin qui « s’engage » auprès des « victimes »… Pour ma part, je m’engage totalement auprès des victimes des effets indésirables de raconter n’importe quoi à la radio.

Capture d’écran 2017-09-11 à 00.26.12Bon, après, chacun est libre de dire ce qu’il pense. Comme dit l’Inspecteur Harry (Clint Eastwood), « les avis c’est comme les trous du cul : tout le monde en a un ». Le problème, c’est que le tr… l’avis de certains compte plus, et des gens « dangereux » n’hésitent pas à s’en servir pour mener leur combat stupide.

Merci Isabelle Adjani de faire remonter les sites de désinformation sur les vaccins, excellent travail.Merci Isabelle Adjani de faire remonter les sites de désinformation sur les vaccins, excellent travail. J’adore avoir des patients réticents à se vacciner ou vacciner leurs enfants, alors que c’est à peu près aussi pertinent que refuser la ceinture de sécurité.

 

Et ce ne sont pas les seuls… Vous avez ici dans ce 3ème et dernier thread un petit tour d’horizon des âneries qui ont pu être dites cette dernière semaine (vivement la prochaine qu’on augmente encore le niveau !) :

Face à ces mastodontes qui envahissent toute la presse, les bons journalistes qui font des papiers scientifiques et/ou sourcés se retrouvent péniblement avec 10-20 retweets, tandis que le moindre « le coiffeur de mon voisin m’a dit qu’il avait mal à la tête depuis 3 mois, pile quand il a eu la nouvelle formule de LEVOTHYROX, OMG, le prenez pas, ça donne des trucs graves – enfin, je sais pas, je suis pas médecin » fait un toptweet.

C’est un vrai problème, et probablement le vrai scandale : les travaux scientifiques et même les avis d’experts sont maintenant presque systématiquement masqués par des avis de non-experts suspicieux.

Capture d’écran 2017-09-11 à 00.32.45

Chapitre 4. Ce qu’il faut retenir.

Les liens de quelques bons articles de bons journalistes, à partager quand des gens racontent n’importe quoi :

Bref, TL;DR pour ceux qui sont sous LEVOTHYROX : vous avez des symptômes avec votre nouveau médicament ? Consultez votre médecin, refaites un dosage de TSH. Si vous êtes en hypothyroïdie, augmentez la posologie ; si vous êtes en hyperthyroïdie, baissez. Si c’est normal, ça ne vient très probablement pas de là et il faudra chercher une autre cause (un manque de fer, une dépression, une fatigue par apnées du sommeil, etc.)

Allez, au piiiiiire, même si vous êtes avec une TSH correcte mais que vous sentez que vous êtes en dysthyroïdie et qu’il n’y a pas d’autre cause, redosez la TSH. Et au pire du pire, changez votre traitement d’un demi ou un comprimé de 25 μg dans le sens qui va bien, et redosez votre TSH à 1 mois.

Au final, peut-être que ça ne sera plus le même dosage qu’avant, mais on s’en fiche complètement. D’ailleurs, le dosage que vous aviez avec l’ancienne formule n’avait pas vraiment de sens (diminution de principe actif au fil du temps). Le seul but est que vous soyez bien : avec du LEVOTHYROX 125 au lieu de 100, ou 75, ou peu importe… Ca prendra peut-être un ou deux mois pour retrouver le bon dosage, mais c’est tout. Le mannitol n’y est très très très très très probablement pour rien (z’avez vu comme je suis rigoureux, je ne dis pas que c’est sûr). Il n’y a pas d’interaction attendue non plus. Bref, soyez rassurés, vous n’êtes pas des cobayes (les Belges y sont passés depuis 2 ans), et en plus si le mannitol était si dangereux qu’on le lit ces temps-ci, on aurait vu ces couvertures dans nos kiosques depuis longtemps… 😉

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Le coût des étudiants : en finir avec les idées folles

Je vais traiter un marronnier : le coût des étudiants.

En médecine, on l’entend régulièrement quand il est question de la liberté d’installation, sur le mode « ouiiii mais l’Etat vous a payé, blablabla, vous avez coûté cher, vous nous devez bien çaaaa ». A quoi les étudiants répondent : nous avons travaillé comme externe pendant 3 ans à mi-temps sous-payé (150€/mois, avec 1 trimestre de cotisé pour la retraite par an), sans compter l’internat où nous ne croulons pas non plus sous les diamants. D’autres répondent d’ailleurs mieux avec un thread complet sur les études médicales…


Bref, le coût des étudiants, ça revient comme le rhume en hiver, et c’est souvent à peu près aussi sympathique. Quelques chiffres sont régulièrement repris par les uns et les autres, sur les réseaux sociaux, dans la presse financière (Challenges, Capital…) ou grand public, et ils peuvent donner un peu le tournis quand ils sont pris isolément. Par exemple, voici quelques titres :

  • Capital, 2013 : « Un étudiant à l’université coûte 8000 euros par an à l’Etat » (… chiffre à prendre avec précaution, lit-on dans l’article)
  • Challenges, 2013 : « Combien coûte un étudiant à l’Etat ? (…) 8000 euros en moyenne, dans la moyenne des pays de l’OCDE »
  • BFMTV, 2014, toujours dans la subtilité : « 13000 euros : le coût d’un an d’études en France pour un étudiant étranger »
  • Le Monde, 2016 : « Un étudiant français coûte 13873 euros par an » (encore une fois dans la moyenne)

La France est globalement dans la moyenne européenne des dépenses pour l’éducation de ses têtes blondes, brunes et grisonnantes (DEPP, 2014) : 31 % en-dessous de la moyenne de l’OCDE pour les études primaires, 26 % au-dessus pour les études secondaires et 5 % au-dessus pour l’enseignement supérieur.

Quand on regarde au fil de la scolarité (Journal du Net, 2008), les coûts annuels par élève sont les suivants : 4970€ en maternelle, 5440€ en primaire, 7930€ au collège, 10240€ au lycée, 10740€ en BEP-CAP, 9020€ en IUT, 13360€ en BTS, 13880€ en classe préparatoire… et 8790€ en université (moindre coût car les universités regroupent près d’1,5 millions d’étudiants contre 81 000 en prépa par exemple) ! Un étudiant en fac coûte donc moins cher qu’un lycéen.

Au sein des universités et grandes écoles, il y a également des disparités (Challenges, 2012) : 6 572€ en moyenne par an pour la faculté de droit Paris-2 contre 83 300€ en moyenne pour l’ENA (je vous vois venir avec vos commentaires et le sourire en coin, mais c’est parce que les étudiants de l’ENA sont rémunérés par l’Etat en échange d’un engagement de service de 10 ans).

Quand on continue de zoomer sur ces dépenses, avec l’Observatoire 2015 des Universités et des Ecoles, on constate que :

  • les Universités sont financées à 82 % par l’Etat,
  • 79 % des dépenses concernent la « masse salariale » (dont 4,5 enseignants pour 100 étudiants)
  • la dépense moyenne par étudiant est de 7201€, mais avec des disparités (5390€ en lettres, 9214€ en pluridisciplinaires avec santé) ;
  • hors « masse salariale », les dépenses par étudiant sont de 964€ par an en moyenne (avec des frais d’inscription qui en couvrent le tiers environ). 
  • les Ecoles dépensent davantage : 26 694€ par étudiant ou 6723€ hors « masse salariale », elle-même plus élevée avec 12,5 enseignants pour 100 étudiants.

Finalement, ce qui coûte cher, ça n’est pas l’étudiant mais tout ceux qui gravitent autour. Nous comptons dans un « coût par étudiant » le financement d’enseignants, qui sont aussi chercheurs ; nous y intégrons des frais « très » administratifs, avec des secrétariats à tous les étages, qui ne servent pas toujours directement les étudiants (par exemple les services comptabilité pour rémunérer le personnel…) Et plus l’université « grossit », plus les frais se diluent vers des services « administratifs » ou de « maintien de la structure » ; par exemple il y a 2,8 fois plus d’enseignant/étudiant en prépa par rapport à l’université, pour un coût par étudiant 1,6 fois supérieur.

Enfin, le « coût d’un étudiant » c’est bien beau, mais si ça n’est pas à former des gens pour travailler demain, à quoi sert l’argent du pays ?

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