En ce moment, je radote les mêmes tweets…
1 – Il faut supprimer du temps administratif (lien vers le billet de blog) aux médecins et des solutions existent…
2 – pourtant, François Braun n’a proposé que des pseudo-mesures ridicules (lien vers le billet de blog), qui ne feront pas gagner de temps et qui ne sont que de la communication…
3 – Parmi les tâches, nous devons (via les CPTS) nous déclarer médecin traitant à tous, surtout les fameux 600 000 patients en ALD prétendument sans médecin traitant (d’après des données nazes de juin 2021, dont on ignore si les patients ne sont pas déjà suivis avec oubli de déclaration, ou en EHPAD suivi au quotidien par des équipes soignantes, ou juste avec un médecin retraité depuis 1-2 mois…). Nous devons donc perdre notre temps pour réparer les données nazes de l’Assurance Maladie.
4 – Bref : nous avons toujours la même charge administrative, mais en plus nous devons réparer les données foireuses de l’Assurance Maladie.
En face, leur seule proposition, l’Assurance Maladie ne propose rien d’autre que prendre des assistants médicaux…
C’est ce dernier fil que je vais détailler ici (les autres ont déjà leurs billets, ce sont les liens dans les titres).
Mes 3 sources
Les assistants médicaux ont fait l’objet de rapports de l’Assurance Maladie en juin et octobre 2022. Ils sont accessibles sur Egora ou sur Le Quotidien du médecin :
- Egora juin 2022 : « Plus de patients grâce aux assistants médicaux : la Sécu dévoile les premiers résultats »
- Le Quotidien du médecin juin 2022 : « Assistants médicaux, ça décolle : 3 112 contrats signés, un demi-million de patients ont trouvé un médecin traitant »
- Egora octobre 2022 : « Assistants médicaux : jusqu’à dix jours de travail gagnés pour les médecins »
Les titres sont amusants : on voit bien ce sur quoi l’Assurance Maladie a axé sa communication malhonnête face aux journalistes présents. Je vous en propose une lecture critique.
Primo, la Sécu ment si elle prétend qu’un demi-million d’assurés ont trouvé un assistant « grâce » aux assistants médicaux
Voilà ce qu’on apprend dans ces articles :
- 2439 contrats signés par des MG en juin 2022
- dont 1937 par des « vieux installés » et 502 par des MG « nouveaux installés » (21 %)
- au total, ils suivaient 2 349 681 patients avant et 511 930 en plus après (soit 18 %).
Première conclusion : en augmentant de 21 % les installés, on augmente de 18 % les patients suivis ! Le titre « assistants médicaux : 1/2 million de patients ont trouvé un médecin traitant » est donc trompeur.
Et donc ça, les génies l’Assurance Maladie disent que c’est grâce aux assistants. BAH NON C’EST GRÂCE AU FAIT QUE VOUS ANALYSEZ DES NOUVEAUX INSTALLÉS !
Ces données auraient dû être présentées avec ces gros drapeaux rouges qu’ils ne veulent rien dire. La CNAM a quand même analysé un sous-groupe d’installés avant 2016 (pour analyse en 2019, donc installés depuis 3 ans ou plus), et là il n’y avait plus que 305 médecins… Ca confirme bien que les chiffres précédents sont juste inutilisables (liés au fait qu’un MG néo-installé augmente sa patientèle, bravo les artistes).
Notons enfin qu’un(e) assistant(e) médical(e) peut faire la tâche… administrative de vérifier les déclarations médecin traitant et rattraper les oublis.
Deuxio, la file active des MG les plus motivés augmente pendant que la démographie médicale diminue
Et là donc sur 305 médecins : + 5,3% de file active entre juin 2019 et décembre 2021… sans comparaison avec un groupe sans assistant !
Sachant qu’entre 2019 (58 748 MG libéraux en exercice) et 2022 (57 033), on a perdu 3 % des MG… et oui, on voit les patients des MG retraités, quelle surprise ! D’ailleurs, « entre 2017 et 2019, la file active des MG a progressé de 2,6 % » par évolution de la démographie médicale, dixit la CNAM dans un autre document d’avril 2022. Une information qu’ils ont dû oublier de présenter en juin 2022…
Néanmoins, 5,3 % de file active en plus, c’est mieux que 2,6 %… sauf que :
- le sous-groupe comprend des gens installés en 2016 ou 2015 pour une analyse en 2019… potentiellement, il s’agit d’une augmentation « naturellement » élevée (c’est un peu mon cas d’ailleurs, installé fin 2014 ; en 2019, j’ai vu 4750 patients contre 4518 en 2018, soit +5,1 % sans assistant !) (Je serais donc curieux de voir ce qu’il se passe quand on déplace un peu le curseur, en ne choisissant pas un seuil à 2016 mais à 2015 ou 2014… avant de vouloir imposer dans la convention des assistants pour tous, ça serait bien d’avoir des données ouvertes non ?)
- nous sommes dans un groupe « MG avec assistant médical » DONC s’étant engagé à augmenter sa file active. Un MG qui va réduire pour x raisons (familiales notamment) ne va pas s’amuser à prendre un assistant médical.
- il est probable que les MG avec assistant médical soient plus souvent en MSP (où il y a plus d’intérêt à avoir un assistant médical) et donc une file active volontiers plus importante (parce qu’ils voient les patients des collègues de la même maison, avec secrétariat partagé). Ca pose d’ailleurs la question : est-ce une amélioration de la qualité ou l’accès des soins d’avoir une grosse file active ?
Deuxième conclusion : est-ce que l’embauche d’un assistant médical permet d’augmenter la file active ? Au maximum de 3 % par rapport à l’évolution naturelle MAIS très probablement juste biaisé par le fait qu’on ait sélectionné des MG souhaitant augmenter leur file active.
Au passage, voici la réponse de Thomas Fatome lors d’un tchat organisé par le Quotidien du Médecin en décembre 2022. Quels chiffres présentent-ils à votre avis ? Oui, les premiers chiffres sur l’ensemble des contrats, complètement bidons puisqu’ils ont intégré 23 % de leur effectif qui concernent des médecins qui venaient de s’installer et qui « grâce à l’assistant médical » ont augmenté depuis 0 patient, de façon totalement inattendue (soit ce sont des politiciens malhonnêtes, soit ce sont des clowns – options non mutuellement exclusives, bien sûr).
Tertio, l’assistant médical qui s’auto-finance est un mythe et l’Assurance Maladie ne peut pas l’ignorer.
Aujourd’hui les assistants médicaux sont financés par @Assur_Maladie pour l’instant, mais le projet était (est encore ?) qu’ils « s’auto-financent » grâce au fait que le MG travaille davantage… (c’est pour ça que c’est une contrepartie à l’accueil d’un assistant).
En gardant un optimiste +3% de file active (de 1700), ça fait 51 patients vus sur l’année, soit 4 par mois. Admettons que ces patients soient vus 3 fois chacun dans l’année, ça ferait 12 par mois.
On nous propose d’embaucher un assistant à mi-temps, qui permettent de voir au mieux 12 patients supplémentaires par mois à 25€ brut pour le financer… 400€ de recettes (200€ de bénéfice donc à la louche) contre l’embauche d’un assistant à temps plein. LES CALCULS SONT PAS BONS KEVIN !
C’est sans doute pour ça que maintenant, les aides pour l’emploi d’un assistant médical sont « pérennes : pour être plus précis, elles sont majorées pendant les trois premières années puis s’ajustent mais continuent d’être versées au médecin dès lors que les objectifs en termes de file active et de patientèle médecin traitant sont respectés » (toujours Thomas Fatôme dans le tchat de décembre 2022).
En pratique, « pour être plus précis » comme dirait le Directeur Générale de la CNAM, voici le tableau d’Ameli. Le « reste à charge » pour le MG employant un assistant à mi-temps est de 7 500€ par an… il faut donc voir 300 patients à 25€ en plus chaque année (en recettes brutes pour compenser les dépenses brutes qui sont évidemment déductibles). Avec une augmentation de file active de 51 patients par an, ça implique donc soit de voir plus fréquemment nos patients habituels (… un bon moyen de transformer la médecine en commerce), soit de voir 6 fois chacun nouveau patient qui se présente ponctuellement à nous.
Dans la nouvelle convention, c’est même plus clair… et relisez bien le message « pour être bien précis » de Thomas Fatôme pour comprendre que la course à l’échalote ne pourra mener qu’à l’arrêt de l’aide dans quelques années avec la réaugmentation de démographie médicale (prévue vers 2025-2026). C’est d’autant plus pervers que la diminution d’activité (pour x raisons, personnelles, familiales ou autre) va s’accompagner d’une perte de la prime d’aide à l’emploi de 10 000 à 20 000€ la même année !
Notez que même l’augmentation très optimiste de 5,1 % de file active n’est rien par rapport au + 20% demande avec un assistant à temps complet à un médecin au 50eme percentile (311/1514). On se demande aussi comment il peut imposer + 19 % en patientèle médecin traitant alors que leurs chiffres donnent +10%. Ça va souvent propratiser… jusqu’à ce que l’un des chiffres atteigne son pic, et couic.
Quarto, les assistants ne permettent pas d’augmenter la patientèle de 5 à 10 %, contrairement à ce que raconte Thomas Fatôme (décidément…)
Toujours dans le sous-groupe de 305 MG installés depuis plus de 3 ans et avec assistant médical, l’Assurance Maladie explique que ce contrat aurait « permis d’augmenter de 9,9 % le nombre de patients ayant un médecin traitant (entre le 30 juin 2019 et le 31 décembre 2021), mieux que les 7,1 % attendus ». Je comprends (peut-être à tort) comme : 7,1% pour les MG sans assistant soit finalement +2,8% ?
Là encore, admettons qu’on soit à un petit + 2,8 %… DANS UN GROUPE DE GENS QUI SE SONT ENGAGÉS À AUGMENTER LEUR PATIENTÈLE (pour respecter le contrat, le fameux « pérenne dès lors que les objectifs… »), et qui ont une personne dédié à faire de l’administratif tel que la déclaration médecin traitant.
Mais même ce 2,8 %, j’en doute.
Regardons un peu les chiffres pour tout MG confondu en France…
- en 2019, les MG suivaient 960 patients en moyenne (selon l’Assurance Maladie)
- en 2021, ils en suivent 1060
Soit sur la période d’étude…. + 10,4 %, et non pas « 7,1 % attendus ».
Ah…
Donc entre 2019 et 2021, nos patientèles ont augmenté de 10,4 % en moyenne (parmi les 50 500 MG en exercice libéral) et de 9,9 % dans le groupe de 305 MG installés depuis plus de 3 ans avec assistant médical d’après les données sourcées (CNAM) que je présente.
Sans doute que la CNAM n’utilise pas ses propres sources, peut-être qu’ils incluent les enfants < 16 ans d’un côté et et pas dans l’autre : c’est le problème de n’avoir accès qu’à des rapports parfois imprécis. La confiance aveugle, je veux bien… le jour où ça sera réciproque. Ca n’est clairement pas le cas (on en a déjà parlé…)
Donc dire « un assistant médical permet de faire gagner 5 à 10 % de patientèle » est donc une joyeuse fakenews de @ThomasFatome dans sa vidéo de février 2023… Les patientèles augmentent à cause de la chute de la démographie.
Quinto, la mauvaise foi n’a aucune limite à la CNAM
Bon le dernier point, c’est mon préféré, mon chouchou.
Admettons que vous ayez envie de prendre les gens pour des cons. Vous êtes même expert en ça, vous vous appelez Thomas F. par exemple.
En décembre 2022, vous poursuivrez l’essorage des données (pas du tout aussi flatteuses qu’attendu, comme précisé ci-dessus) obtenues auprès des 305 MG installés depuis plus de 3 ans, et là vous dites ceci : « le temps de travail initial des médecins signataires s’élevait à 254 jours par an ; il est aujourd’hui de 252 (…) Le gain est particulièrement important chez les médecins de plus de 60 ans, qui passent de 257 à 251 jours de travail (-2.3%) (…) et chez les médecins ayant les patientèles les plus importantes : ceux qui sont au percentile 90 (soit plus de 1.844 patients MT) gagnent ainsi 10 jours de travail (-3.9%) »
Alors, en fait, ça s’appelle la RETRAITE ! Je sais que c’est un concept avec lequel ce gouvernement a du mal, mais quand même…
Visiblement, les moyennes ça leur échappe aussi (sur un groupe de 305 MG, vous en mettez 2 à la retraite et plouf ça fait une moyenne à 252 ; vous en mettez 4 qui se mettent en association et bossent à 50 %, même résultat…).
Par ailleurs, c’est juste normal que le nombre de jours moyen diminue SURTOUT QUAND ON EST À 254 JOURS PAR AN (ce qui implique 5 jours par semaine x 51 semaines par an – la 52ème pouvant correspondre aux jours fériés)… Ca peut aussi être lié à des difficultés pour se faire remplacer (évidemment on n’est pas ouvert 254 jours par an, la moyenne est à 227 jours d’après la CNAM, le reste est donc fluctuant selon l’offre des remplaçants – déjà occupés vu que la démographie médicale baisse pour rappel).
Mais donc ce qui est magnifique, c’est que l’Assurance Maladie lie ça… aux assistants médicaux !!! J’en ai vu des foutages de gueule dans ma vie, mais là on touche au sublime. J’imagine que chez les MG qui ont une patientèle de 1900, c’est l’assistant médical qui les relaie seul au cabinet 10 jours par an du coup ^^
Est-ce que l’embauche d’un assistant médical permet d’augmenter l’accès aux soins ? Non, il a même été associé à une réduction du nombre de jours d’ouverture, en particulier chez les +60 ans… ce qui n’est qu’un artéfact de la moyenne avec quelques pré-retraite / association / retraite / difficultés de trouver un remplaçant. Il faut une malhonnêteté en titane renforcé pour présenter ça comme un « impact positif » des assistants médicaux : cette malhonnêteté, Thomas Fatôme la porte en justaucorps.
Quand l’Assurance Maladie présente une diminution de nombre de jours d’ouverture des cabinets médicaux comme un progrès pour l’accès aux soins qu’on doit aux assistants médicaux, c’est que la conclusion est écrite avant les résultats, pour répondre à l’idéologie macroniste « un assistant pour chaque MG ».
Les vrais résultats de cette expérimentation sur 305 MG sont les suivants :
- la CNAM a dépensé environ 20 000€ par assistant par an et signé 4000 contrats, soit 80 millions d’euros par an
- au mieux, en faisant abstraction des biais (les MG concernés sont ceux qui se sont engagés – parce qu’ils le pouvaient – à augmenter leur file active ou leur patientèle), ça a permis d’augmenter la file active de 51 patients par an, soit 4 par mois.
- ce qui prouve bien que les MG sont déjà très efficients.
Si demain, d’un coup de baguette magique législative on remplaçait les arrêts de travail < 3 jours par des auto-déclarations sur le modèle vécu pendant la COVID :
- la CNAM gagnerait à la louche (car les données n’existent pas) 1 consultation par jour par MG, soit en comptant très bas 200 millions d’euros par an
- cela libérerait 250 créneaux par an par médecin ; et ça ne toucherait pas que ceux qui s’engagent à augmenter leur file active mais bien tous les MG, y compris ceux qui sont sous l’eau
- ce qui prouve bien que la CNAM n’est vraiment pas efficiente, que le MEDEF a bien trop d’importance dans les décisions politiques, et qu’aucun élu dans ce pays – de quelque parti que ce soit – ne fait suffisamment confiance dans les salariés pour soutenir ce projet pourtant évident…
Néanmoins, pour conclure ce (long) billet par une note positive : les assistants médicaux peuvent être utiles aux MG pour réduire leur temps de travail invisible (comptabilité, gestion du cabinet…). Je sais un peu de quoi je parle quant aux attentes des MG, j’ai publié un article sur leurs préférences quant à la délégation de tâches aux assistants médicaux en 2018 (avant l’avènement de Doctolib et consorts avec le COVID, qui a simplifié les tâches de prises de RDV). Plutôt que bidonner et survendre des chiffres comme l’a fait Thomas Fatôme, il aurait été plus malin d’interroger médecins et patients sur l’apport concret des assistants médicaux à leur fonctionnement.
Pour l’heure, c’est surtout une façon d’avoir un secrétariat financé en partie par la CNAM.
Les assistants médicaux pourraient éventuellement améliorer la qualité des soins, par exemple en augmentant le taux de réalisation de quelques actes techniques tels que les ECG, IPS, spirométries… mais je doute que ça soit fréquemment fait. C’est aussi une façon de les « rendre rentable » et diminuer notre efficience pour gagner plus (exemple : consultation J0, ECG J1 par l’assistant, interprétation et explications J2 par le médecin… ça évite de faire consult avec ECG à J0 comme c’est le cas actuellement, beaucoup trop efficient !)
Enfin, rappelons que quand on projette de financer à hauteur de 15 000€ avec l’argent des assurés des assistants médicaux dans tout le pays, le minimum serait de rendre mieux accessibles les données (anonymisées) concernant les 305 MG…
(EDIT du 2 avril : j’ai modifié le titre « plus menteur, tu meurs » en « des erreurs d’interprétation aux fakenews » parce que lors que je lui ai évoqué ces problèmes au CMGF, il semblait découvrir de bonne foi que c’est faux. Il ne semblait pas ouvert à modifier son propos — qui deviendra alors un mensonge volontaire ou une absence de remise en question…)