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Plomberie générale

J’avais une fuite d’eau. J’ai appelé mon plombier. Il est venu en urgence. Il a regardé la chaudière, c’était pas ça. Il a regardé les tuyaux, c’était pas ça. Il a regardé le robinet, c’était pas ça. Il a regardé le siphon, c’était ça.

Et là, le jeu a commencé.

Il m’a dit « vous avez touché au siphon ? ». J’ai dit non. En vrai, je l’avais dévissé 4 fois le mois dernier, pour évacuer des trucs bloqués à l’intérieur. Il a répété « vous avez touché au siphon », mais cette fois il n’y avait plus de point d’interrogation. Il prenait la première manche. J’ai pas répondu. Il m’a dit « vous devriez éviter de mettre n’importe quoi dans votre lavabo ». Il avait compris et voulait me faire comprendre qu’il avait compris. Je l’ai compris. J’avais envie de lui dire que j’avais déjà une mère pour m’éduquer, mais je me suis retenu. Il a dû comprendre.

Il a relancé le jeu : « dans la cave, il y a un câble électrique qui pendouille et qui a pas l’air net, vous devriez appeler votre électricien ». J’ai dit « ok » en pensant « jamais ». Il a entendu ma pensée. Il m’a répondu « après, c’est vous qui voyez, moi je vous aurai prévenu ». Il a vu mon regard dépité, il a soupiré, il m’a dit qu’il allait s’en occuper et que j’avais de la chance d’être tombé sur un vrai professionnel. J’avais gagné la deuxième manche.

Dans la cave, il a vu le tuyau d’arrivée d’eau, il a tapé dessus. Il m’a dit « c’est du plomb ». J’ai rien répondu. Il a ajouté « il faut le faire changer ». J’ai demandé « par qui ? ». Il a dit qu’il fallait se coordonner avec lui et Veolia, la compagnie des eaux, et il m’a filé leur numéro de téléphone. J’ai dit « ok » en pensant « jamais ». Il m’a dit « vous risquez une amende si un gosse chope le saturnisme ». J’ai dit « ok » en pensant « ok ». C’est lui qui gagnait la troisième manche. Fin du jeu.

Je lui ai demandé si ça allait me coûter cher tout ça. Il m’a dit que c’était complexe, et qu’il avait dû voir le problème dans sa globalité, et qu’il fallait le rappeler si ça se remettait à fuir après le passage de Veolia.

J’ai repensé à tout ce qu’on s’était dit. J’ai vu les mots s’assembler : urgence, incertitude, global, complexité, coordination, suivi, négociation, éducation, dépistage, prévention, professionnalisme… J’ai dessiné une marguerite dans ma tête.

Bref… mon plombier est généraliste.

Chaque année, 3800 nouveaux internes de médecine générale sont visuellement exposés à la marguerite. Ne les oublions pas.

Chaque année, 3800 nouveaux internes de médecine générale sont visuellement exposés à la marguerite. Ne les oublions pas.

(Les compétences sont un des nombreux concepts en médecine générale. La marguerite représente des compétences, dont l’ensemble font la spécificité du métier de médecin généraliste. Elle fonctionne aussi assez bien pour les plombiers, les boulangers et les coiffeurs.)

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Si tu débutes ton internat lundi…

J’ai fini mon internat vendredi. Après 2 ans de pré-externat à arpenter les hôpitaux, 3 ans d’externat à côtoyer des internes pédagogues ou distributeurs de missions, puis 3 ans d’internat à essayer de faire partie de la première catégorie (essayer) sans jamais céder à l’esclavagisme d’externes, je vais poursuivre avec grand plaisir une activité libérale et universitaire.

Lundi, de nouveaux internes vont arriver dans les hôpitaux. Pour les accueillir, Thoracotomie a proposé sur son blog les 10 commandements de l’interne. J’avais envie d’ajouter un peu de poésie à votre vie d’interne, en adaptant très légèrement le célèbre poème de Rudyard Kipling, « If » (que je mets également en fin d’article).

Bon courage à tous les nouveaux entrants – nouveaux internes, nouveaux externes, nouveaux chefs de cliniques, nouveaux assistants/attachés/praticiens…

TU SERAS UN BON INTERNE…

Si tu peux garder la tête froide, accrochée,
Quand ceux autour de toi l’ont perdue et t’en blâment (1),
Ou croire en toi malgré un acte reproché (2),
En sachant tenir compte des reproches et blâmes,
Si tu sais patienter et survivre à tes gardes,
Si tu sais être berné(e) sans goût de vengeance (3),
Si tu sais enseigner sans humeur revancharde (4),
Sans être trop bon(ne), agir avec bienveillance…

Si tu sais rêver, sans chauffer tes ailes aux astres,
Si tu sais penser, sans faire des pensées ton but,
Si tu sais croiser le Triomphe et le Désastre,
Et fuir ces deux mensonges comme le scorbut,
Si tu peux supporter d’entendre tes propos
Changés par transmissions, et n’en être abusé(e),
Regarder ton travail s’élimer en copeaux,
Et le refonder avec tes outils usés (5)…

Si tu peux ne faire qu’un seul tas de tes victoires,
Et toutes les risquer sur un lancer de dé (6),
Si tu peux tout perdre et tout remettre en mémoire,
Sans jamais te plaindre de tes choix décidés (7),
Si tu peux forcer ton cœur, tes nerfs, tes tendons,
A te servir encore, malgré toute fatigue,
Et, quand il n’y a plus rien en toi, tenir bon,
Partir et ressourcer ton énergie prodigue (8)…

Si tu peux soigner les gens sans les abaisser,
Donner aux pauvres et aux riches le même accès,
Si nul ami ou rival ne peut te blesser,
Si tous les patients comptent pour toi, sans excès,
Si tu peux remplir les minutes successives
Par soixante secondes de chemin franchi,
Alors tes volontés seront compréhensives,
Et tu seras un bon interne, mon ami !

(1) Utile aux urgences !
(2) Il y aura toujours une voie veineuse centrale que vous aurez refusé de faire poser, un bilan hépatique mal surveillé…
(3) Vous tomberez au moins une fois sur un urgentiste qui voudra placer un patient âgé pour bilan de confusion, sans en faire le minimum syndical – parfois même en n’ayant uniquement fait confiance à l’externe débutant…
(4) Nous avons tous eu des internes terribles, qui nous donnaient des missions pénibles, nous prenaient pour leurs secrétaires, ne nous apprenaient rien, étaient perpétuellement stressés par l’image qu’ils renvoyaient d’eux… Ca ne sert à rien de faire subir la même chose aux externes qu’on encadre. Vraiment. Ne faites pas faire ce que vous détestiez qu’on vous impose. Vous pouvez trier vos bilans biologiques tout seul – à moins qu’il n’y ait un vrai intérêt pédagogique derrière…
(5) C’est quasiment une allégorie des tours professoraux hebdomadaires… ou de la thèse aussi.
(6) En gros, ne pas s’asseoir sur ses acquis, mais Kipling écrit ça bien mieux que je n’aurais su le faire…
(7) Une spécialité, ça se choisit, ça se droitauremordise pendant les 2 premières années ; l’exercice ultérieur, libéral ou hospitalier, se choisit aussi, ainsi que les horaires…
(8) Pendant l’externat, on se promet d’avoir une vie meilleure pendant l’internat. Cette promesse a tendance à s’effilocher au fil des semestres… Il ne faut pas oublier d’en profiter !

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Administratif.

« Il y a un problème de déserts médicaux… »

« Comme vous voyez, seulement 20 % des internes veulent s’installer après leurs études de médecine générale… »

Ouais.

En attendant, vous savez combien vont s’installer à la fin de leur internat ?

0%.

C’est pas faute d’essayer, c’est juste que c’est impossible.

Je vais vous raconter brièvement ma vaine tentative pour passer d’interne (jusqu’au 2 novembre) à médecin généraliste installé en collaboration libérale ou association (à partir du 3 novembre)…

Pour s’installer, il faut quatre éléments :

  • un diplôme de docteur en médecine, validé par une thèse,
  • un diplôme d’études spécialisées (DES), dans la spécialité (médecine générale pour moi), validé par tous les semestres (6 pour moi) et les cours,
  • un numéro d’inscription au tableau du conseil département (d’exercice) de l’Ordre des Médecins,
  • un cabinet médical – si c’est une association ou une collaboration, il faut un contrat avec les autres médecins (associés ou collaborateurs).

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Faites médecine qu’ils disaient (??/??) – Quatre semaines de l’autre côté

Il pleut comme un jour de novembre. Il pleuvait aussi ce jour-là — à grosses gouttes ou fines larmes. Je me souviens bien de la pluie sur le pare-brise, et de l’ambulance qui démarre derrière mes essuie-glaces, emmenant ma grand-mère vers l’hôpital.

En 86 ans, elle avait toujours refusé d’y aller, à l’hôpital. 7 grossesses : à la maison. Une entorse de cheville à plâtrer : à la maison. Quand on va à l’hôpital, on n’en sort pas ; pas besoin d’avoir fait des études pour le savoir, il suffit de regarder les proches… Mari, beaux-frères, belles-sœurs, sœurs n’en sont jamais sortis, de l’hôpital. Alors pas question d’y mettre les pieds pour autre chose que rendre visite aux autres.

Il pleuvait donc, et j’étais entre deux visites. C’était il y a un an, ou deux, ou trois, à Lille, ou Paris, ou New-York. C’est sûrement arrivé des milliers de fois, ici ou ailleurs, au fil des semaines ou des jours. Disons quand même, pour l’histoire, que j’entamais ma troisième semaine de (respiration profonde) Stage Ambulatoire en Soins Primaires en Autonomie Supervisée — c’est-à-dire que je remplaçais un médecin dans le cadre d’un stage, en gros (sans la rétrocession d’honoraire et avec la supervision indirecte du médecin). Par chance, je n’étais pas bien loin quand la secrétaire m’appela ce jour-là, pour me demander de passer… chez ma grand-mère : « elle ne va pas bien, son médecin n’est pas là le mercredi, et ses filles ont l’air paniquées, elles n’arrivent pas à joindre son remplaçant habituel ».

Ah. Oui. Il ne faut pas s’occuper de sa famille, m’a-t-on toujours appris. Je me souviens de Jaddo et de l’AVC de son pèreLes autres médecins sont mieux placés, pas du tout dans le subjectif.

Je sais tout ce qu’on m’a appris. C’est bien pour ça que je n’ai pas examiné ma grand-mère sur les 3 semaines où elle allait de moins en moins bien : vomissement et diarrhée pris pour une gastro-entérite, constipation au décours attribuée au Smecta, difficultés à marcher attribuées à une « faiblesse post-gastro » puis à un Parkinson débutant (sur des vrais arguments), puis vomissements nocturnes liés à la prise de L-Dopa… Le médecin est passé plusieurs fois, a pris son temps de l’examiner, je n’avais aucune raison de faire mon interrogatoire et mon examen clinique. J’étais clair là-dessus : on ne s’occupe pas de la famille.

Je file, j’arrive sur le parking, je monte… Le récit passe soudainement au présent, sans raison explicite. Pas le temps de m’en occuper, je suis évidemment trop inquiet pour ça. Quand j’arrive, elle est allongée, a trop mal au ventre pour se lever, n’est pas allée à la selle depuis 4-5 jours, a vomi un peu blanc comme depuis 2-3 jours (sous L-Dopa qui fait vomir). Elle a tous les signes d’une occlusion intestinale.

Je sais que c’est ma grand-mère, qu’elle a largement contribué à m’élever, que je la vois au moins une fois par semaine, que j’ai passé des vacances formidables avec elle, et qu’elle fait partie de la plupart de 28 années de souvenirs. Et je sais qu’elle n’aime pas l’hôpital… Mais quelle autre solution ? Il faut un scanner qui sera, j’espère, rassurant : une occlus… une subocclusion sur une tum… sur un poly… sur un fécalome lié à un arrêt des matières post-laxatifs et L-Dopa, ou peut-être une subocclusion plutôt (tiens, ça me rappelle quelque chose). Voilà, ça va être ça. Je la rassure : ça ne sera qu’une journée, ils ne vont pas la garder. Je me doute que c’est un mensonge, mais je sais qu’elle et moi sommes rassurés — ma tante et ma mère aussi.

Les ambulances sont appelées. Elle veut essayer d’aller à la selle avant… Elle marche jusqu’aux WC, soutenus par ma tante et moi. Aucune plainte. Aucune selle. Les ambulanciers arrivent. Ma grand-mère est installée sur le brancard, elle quitte son appartement. Je me demande si elle le reverra. Ma mère part avec, je descends à pied. Dans la voiture, je regarde l’ambulance s’éloigner sous la pluie, et je pars faire ma dernière visite avant de filer à mon tour aux urgences.

Aux urgences, ma mère et deux tantes attendent… Aucune information. Par chance, je connais le service et les médecins. Tel Nobody Owens faisant la jonction entre le monde des vivants et celui des morts, je peux aller me renseigner du côté médical avant d’informer ma famille. « Un ASP a été fait et confirme l’occlusion ; si le bilan est perturbé, on fera un scanner » me dit le chef avant de partir manger. Je sais qu’un ASP ne sert à rien, je sais aussi que ça reste dans les pratiques locales 5 ans après les recommandations qui disent qu’il ne faut plus en faire. Mais pas grave, elle est entre de bonnes mains, et je sais qu’il ne faut pas que je m’en mêle, que ce n’est pas moi qui la soigne mais son médecin traitant puis les urgentistes…

Je retourne au cabinet pour les consultations prévues. Retour aux urgences vers 15h30. Je vais voir le médecin qui s’apprête à regarder les images de scanner. Il a le radiologue au téléphone. « Merde ». Ca n’a pas l’air d’être très bon… Fuck fuck fuck… Il me dit qu’elle a un ulcère duodénal perforé. Elle est en péritonite, il faut l’opérer. Nous regardons les images de scanner. Heureusement que je suis nul en interprétation d’imagerie, parce qu’à mon niveau c’est déjà sacrément pas joli joli, et je pense qu’en vrai c’est pire. J’accompagne le médecin – très sympa – pour dire à ma grand-mère (au déchocage) qu’elle va être opérée. Elle ne se plaint de rien. Oui. D’accord. Adorable. Morte de trouille sans doute.

Je la vois peut-être pour la dernière fois. L’anesthésie ne sera pas sans risque, même si elle n’a aucun antécédent, elle a un certain embonpoint et 86 printemps.

Je vais l’annoncer à ma famille… Je file au cabinet, j’ai encore quelques consultations (difficile d’y être très concentré), avant de pouvoir revenir à 18h30…

La salle d’attente s’est remplie et est occupée à moitié mes proches : 3 tantes, un oncle, une cousine… Attente. Elle part au bloc vers 18h30 ; pas de bloc disponible avant pour une péritonite sur ulcère perforée chez une dame de 86 ans. Attente. Attente. Attente.

A 21h30, le chirurgien nous rassemble dans une salle. Pas un mot avant. Il nous explique qu’elle va monter dans le service, que ça a été difficile, que la perforation a déjà au moins une semaine, que ça a été compliqué de bien tout nettoyer… De plus, l’ulcère était très important, et il n’avait pas de matière pour bien refermer et il a fait ce qu’il a pu (il ne restait qu’un demi-centimètre sur la paroi postérieure du duodénum). Quant à la cause, c’est peut-être un cancer, mais impossible de faire des biopsies, et puis « à 86 ans, ça ne changera pas grand-chose… » Lorsque ma mère formule l’inquiétude collective, il répond qu’il espère quand même que ça va bien se passer, mais clairement il n’est pas confiant. Elle demande pour passer la nuit en chambre avec ma grand-mère. Il accepte. Ma grand-mère remonte du bloc vers 23h30 et on reste tous pour lui souhaiter bonne nuit avant de partir (sauf ma mère, donc).

A 2h30, ma mère m’appelle : « elle a des baisses de tension, le médecin a rempli mais ça suffit pas. Il va essayer un produit mais si ça marche pas, après ils la mettent en réanimation. Il dit que ça peut être une question d’heures. » Choc hypovolémique ou septique donc… Je saute dans des vêtements, dans la voiture et direction l’hôpital — je la ferai de nombreuses fois cette route… En conduisant, j’appelle (en mains libres, je vous rassure) toute ma famille. Ma mère a dit que j’étais interne, ils me laissent entrer dans la chambre ; l’anesthésiste et le réanimateur sont autour d’elle. La tension vient de remonter sous dobutamine. Ouf. Presque toute ma famille arrive à 3h pour la voir partir au scanner, puis en unité de surveillance continue (USC).

On suit jusqu’en USC, et on attend dans la salle des familles qu’on nous informe. Je sais qu’il n’y a pas d’urgence à informer, et qu’on remet souvent un peu après un truc plus urgent (et il y en a des trucs plus urgents quand on gère une réanimation)… mais vu du côté des familles, c’est quand même très stressant ! A 6h, elle est installée dans la chambre et ils s’étonnent qu’on soit encore une douzaine dans la salle d’attente. On obtient un droit de visite exceptionnel par groupe de deux, pendant 2-3 minutes chacun. Ca valait quand même le coup : ma grand-mère est éveillée et nous reconnait !

Ma mère et ma tante restent encore… Pas le droit d’être dans la chambre, elles restent en salle des familles parce qu’elles savent l’aversion de ma grand-mère pour les hôpitaux — et là, en chambre de réa avec des bip bip partout… Elles demandent à l’équipe paramédicale de l’informer de leur présence, mais ça ne sera pas fait.

Je dors péniblement entre 6h30 et 8h30, vais travailler, bloque l’après-midi. Je remonte à l’hôpital avec mon beau-père, contrarié également bien sûr. Sur le chemin de l’USC, on croise le réanimateur. Je lui demande des nouvelles, et il me répond qu’un « choc septique sur une rupture d’ulcère à 86 ans, c’est grave, le pronostic est très sombre, il est grévé d’une mortalité très importante »… Il me redira les mêmes mots trois fois sur la semaine, comme des phrases testées et approuvées, qui se déshumanisent au fil des répétitions.

Je passe l’après-midi dans le couloir des urgences, face à l’USC, ou près de ma grand-mère (on fait un roulement…) Le réanimateur me propose de m’expliquer un peu la situation. J’éclate en sanglots dans son bureau : « c’est normal de perdre sa froide objectivité, c’est humain… c’est l’inverse qui ne le serait pas ». Je lui redis qu’elle est autonome chez elle, sans antécédents, qu’on veut aller jusqu’au bout, en soins maximum.

C’est une question de philosophie de vie. Ma grand-mère n’est pas prête à mourir, elle ne le veut pas, personne ne le veut. On accepte de s’en occuper même si elle devient dépendante. Et alors quoi ? Qu’est-ce qu’il y a de pire que la mort ? L’utilisation de beaucoup d’argent public ? Mouais… La souffrance ? Elle ne souffre pas. Alors soins maximum pour nous. Si d’autres veulent opter pour une limitation de soins, ça les regarde.

Le réanimateur m’explique que le « pronostic est sombre, grévé d’une forte mortalité à court terme » et qu’ils ne l’intuberont pas. Ok. Le chirurgien n’a pas bien pu refermer. Ca va sûrement fistuliser à court terme, il ne sait pas quand ni comment, mais c’est une quasi certitude parce qu’ils ont dû passer de la dobutamine à la noradrénaline (plus adaptée dans le choc septique comme me l’avait rappelé ma copine, si souvent appelée, mais aussi vasoconstrictante au niveau splanchnique et limitant la cicatrisation). La probabilité de survie est de 5%… 10% peut-être, me dit-il. C’est toujours mieux que 0%, réponds-je…

Voilà la teneur de la conversation. Je suis en larmes dans le bureau. Un réanimateur arrive avec une pomme à la main, me regarde d’un air étonné (pourquoi l’ancien interne de gynéco est ici ?!), j’explique que je suis le petit-fils d’une patiente. Il regarde le tableau et dit cette phrase qui obtient la palme du bon goût 2013 : « 86 ans ? Ah. (croque dans sa pomme, sourit) On a l’âge de ses artères. (sort en parlant à un autre) ». Inutile et méchant. Nickel.

Je repars le soir mais dors peu… Le réanimateur a accepté qu’une à deux personnes de la famille reste avec. Chaque soir, chaque jour, quelqu’un sera toujours avec elle. Mes tantes (et ma mère) vont se relayer.

Le lendemain, ma grand-mère est en insuffisance rénale aiguë sur chronique. Sous BURINEX 5 mg, elle urine à nouveau. Ouf. La tension s’améliore, les doses de noradrénaline sont baissées. Le drain (digestif) donne 1l de bile par jour, signe que la cicatrisation n’est pas faite — mais ils nous disent que c’est normal. Je pense que c’est à peu près à cette période que j’ai commencé à prier, à avoir des pensées magiques enfantines du genre « si là je réussis mon examen de MOOC Sci-Write, ça va aller », « il faut que je finisse mon poster pour Clermont-Ferrand« , vous voyez le genre. Je n’étais pas en reste, puisque ma mère s’est occupée d’avoir un rebouteux au téléphone.

Le soir, ma grand-mère devient très angoissée, s’encombre et doit être aspirée régulirement. Elle dort très mal la nuit et se repose le jour. Elle a du mal à respirer avec son masque à oxygène ; on demande si elle peut avoir des lunettes à oxygène, ils acceptent, ça la calme radicalement (je doute que ça soit un hasard). A la même période, elle demande tous les jours si elle peut avoir du café, de la soupe (elle est à jeun), et si elle peut sortir (elle est sous oxygène et noradrénaline, en insuffisance rénale, avec un drain après une chirurgie de péritonite sur rupture d’ulcère duodénal)…

J5, et là vous lisez le titre en vous demandant si vous avez bien fait de vous investir dans la lecture de ce billet… Le réanimateur me reçoit à nouveau. Il m’explique qu’elle va un peu mieux, qu’il ne faut pas se réjouir car les fistules arrivent à J3, J5, J7 et J11 classiquement, qu’il y a un épanchement droit qui se majore un peu, mais que le reste (infection et rein) se corrige peu à peu (sous triflucan et tazocilline quand même). Je parle de nutrition parentérale, il dit qu’effectivement, ça commence à être le bon moment et il la débute l’après-midi – par chance, c’est son dada la nutrition apparemment.

J6 c’était une petite lune de miel… J’ai même pu travailler normalement. Dès le lendemain, tout s’est écroulé. Le chirurgien digestif a été appelé pour avoir ce qu’il fallait faire de la lame, et il s’est aussitôt étonné que le drain donne toujours autant. En fin de matinée, ils expliquent qu’ils vont faire un test au bleu : mettre du liquide bleu dans la sonde gastrique et voir s’ils le récupèrent dans le drain, ce qui signerait une fistule (un trou dans l’estomac) et donc plus rien à faire, puisqu’il est hors de question de retenter une anesthésie et une nouvelle chirurgie.

Entre deux consultations l’après-midi, je reçois un appel de ma mère : elle doit se rendre en urgence à l’hôpital mais ne sait pas pourquoi… En fait, l’anesthésiste, le réanimateur (celui à la pomme je crois) et le chirurgien ont rencontré les membres présents de ma famille. Tel qu’ils me le racontent, et je n’ai aucune raison de ne pas les croire, ça a donné ça : « un type est venu (l’anesthésiste), il était en basket, il s’est installé dans le canapé, les jambes en avant comme un pacha, les mains sur le ventre. Il a dit qu’il n’y avait plus rien à faire en réanimation, qu’ils allaient la monter dans le service de chirurgie digestive. Mais que ça ne veut pas dire qu’ils vont la laisser tomber, ils vont poursuivre les soins maximums en espérant que ça se referme tout seul, même si c’est peu probable. Il a bien dit qu’ils ne laissaient pas tomber, et qu’ils continuaient tout pareil ». J’ai fait repréciser par la suite, parce que j’ai vu ce qu’il a écrit dans le dossier : « vu l’âge, la pathologie, vu avec la famille, pas d’acharnement thérapeutique ».

Le mercredi soir, ma grand-mère remonte donc dans un service de soins, n’a plus un bilan toutes les 24 heures. Une semaine en réanimation, elle est encore là, elle s’accroche. Mais les anesthésistes sont là pour la faire décrocher pendant les trois semaines qui vont suivre… Ils vont faire preuve d’un très bel désacharnement thérapeutique.

La première fois, c’est une anesthésiste qui le premier samedi après-midi, se dit : « tiens, elle est stable : et si j’arrêtais l’hydratation et le diurétique ? » Hop, elle supprime sur le dossier papier, sans examen clinique (impossible d’estimer une hydratation extracellulaire et donc les bienfaits/méfaits d’un diurétique et d’une hydratation) et sur un bilan vieux du jeudi matin par ailleurs… Comme ça. Pouf. Oh, et pour l’examen clinique, j’en suis certain : sur les 28 jours d’hospitalisation, il ne s’est pas passé une minute sans qu’il y ait ma mère ou une tante au chevet de ma grand-mère ou devant sa porte de chambre pendant les soins. De façon formelle, l’anesthésiste a arrêté le traitement qui maintenait en vie ma grand-mère sans aucune raison. Le samedi soir, je ne voyais plus les poches mais je me disais « oh, ça doit être un oubli, l’infirmière va venir les mettre après ».

Le lendemain matin elle s’est très logiquement mise en insuffisance rénale aiguë (5 mg de Burinex, ça fait 200 mg de Lasilix quand même…). C’est moi qui l’ai signalé. C’est-à-dire que je pars à 21h et je reviens à 9h du matin, la diurèse était de 100 ml entre deux… Mais ça n’inquiétait personne. L’infirmière m’a répondu : « ah mais si, regardez, sur la journée d’hier, il y avait 1200 ml… » Bah oui, 1200 ml sur 12h jusqu’à l’arrêt intempestif des médicaments et 0 depuis… « non, mais on ne compte pas comme ça, on fait sur 24h ».

OK. Pourquoi ça a été arrêté alors ? « L’anesthésiste a dit qu’il ne fallait pas s’acharner, et elle a arrêté ». OK. OK. OK. Comment ça « pas s’acharner » ? J’appelle l’anesthésiste — peut-être légèrement énervé — pour lui demander quelques explications. Je lui dis que je suis interne, et elle se déplace du coup. Elle n’est pas fichue de m’expliquer pourquoi elle a arrêté le traitement, bafouille que c’est sur le bilan, qu’il ne s’agit pas d’un vieux bilan et que dans un service d’hospitalisation on fait un bilan 1 à 2 fois par semaine, pas plus… AH OUI, C’EST SUR QUE CA COUTE CHER UN BILAN PAR RAPPORT A UNE VIE.

J’insiste pour qu’elle corrige sa bêtise. Elle remet le même traitement, mais ça n’améliore rien. Aussitôt, évidemment, stressée par le médico-judiciaire, elle se défend que ça n’a pas été une longue période sans traitement et que donc ça n’a rien changé finalement, c’est juste concomitant. Elle me montre le mot dans le dossier à cette occasion et je découvre qu’il y a écrit « pas d’acharnement thérapeutique ». Je fais préciser à ma famille qui me raconte comme moi ci-dessus… Alors j’écris un courrier que toute ma famille signe :

« La patiente exprime un désir fort de soins et de retour à domicile ; nous avons été informé d’une poursuite active de soins avec faible chance de cicatrisation ; nous n’avons jamais accepté une limitation de soins, dont il n’a jamais été question, contrairement à ce qui était écrit de façon déloyale dans le dossier médical ; nous demandons le maximum de soins incluant un bilan ionique et rénal aussi souvent que nécessaire, un avis néphrologique et gastrologique si besoin, une poursuite des traitements anti-infectieux, diurétiques, réhydratation et réalimentation parentérale. »

Ma mère s’énerve (et là, croyez-moi, faut mieux être de son côté, même si elle sait rester courtoise c’est quand même quelque chose !) et fait déplacer le réanimateur qui s’en était occupé en USC. Il se déplace une fois, a l’air d’apprécier follement la prise en charge de sa collègue, prend le dossier en main et parvient à relancer la diurèse au prix d’une SAP de Burinex avec Lasilix à fortes doses… et le lendemain, la diurèse s’améliore. L’interne de réa, 1er ou 3ème semestre, dira également à ma mère que « ça a été bien géré par l’anesthésiste, qu’elle sait ce qu’elle fait et que votre fils n’est qu’interne de médecine générale, il ne connait pas tout ça ». Ahah.

Alors, là je sais que le père de Jaddo a fait un AVC, et que la famille c’est pas des patients, mais je commence quand même à me dire que si je n’avais pas surveillé, elle restait en anurie et c’était game over. Du coup, j’appelle moi-même un néphrologue sympa que je connais pour lui demander de jeter un oeil sur le dossier. Sympa, il passe l’après-midi, adapte l’hydratation, arrête les diurétiques, et la diurèse se maintient. Ce jour-là, ils retirent la sonde nasogastrique qui n’a jamais servi à rien.

Globalement, les 10 jours qui suivent se passent bien. A noter que dès le retour en chirurgie digestive, j’ai demandé un avis sur Twitter sur les possibilités de cicatrisation spontanée d’un ulcère duodénal – je savais qu’on faisait parfois la méthode de Taylor pour certains types d’ulcère, preuve de la possibilité d’une cicatrisation dirigée efficace. Sur Twitter donc, @Taltylemna (que je re-remercie) m’a répondu que ça fonctionnait si on laissait le temps… Petit regain de confiance, et preuve qu’il faut poursuivre « activement » les soins ! Pendant ces 10 jours, donc, nous sommes toujours fourrés à l’hôpital, le drain donne toujours autant, mais ma grand-mère va de mieux en mieux chaque jour. Elle n’a toujours pas de kiné (vu qu’ils sont dans une optique de soins palliatifs), est toujours angoissée parfois la nuit, mais discute bien, n’a aucune douleur (pendant toute l’hospitalisation, elle n’a jamais rien eu d’autre que du perfalgan aux urgences !), l’infection diminue, le rein se maintient sans médicament : what else ?

Je retravaille plus activement, reprend quelques activités annexes…

On s’étonne un jour de voir le drain ne plus rien aspirer après le passage d’une infirmière. Je lui demande si c’est normal, ça l’énerve, elle vient faire son inspection théâtrale « bon, vous voulez qu’on l’essaie sur une autre aspiration ? c’est normal mais ça va vous rassurer. Voilà, vous voyez, ça ne donne rien. Tout va bien, tout est bien raccordé, c’est normal si ça ne donne plus rien, c’est tant mieux ». Ok. Au bout d’un moment, toujours très étonné, je me suis dit que je pourrais regarder moi-même quand même. Et effectivement, tous les raccords étaient bien. Sauf que le « pot d’aspiration » était sur off. Aussitôt mis sur on, l’aspiration est repartie. Déception… Le drainage donnait toujours 1l par jour, puis 500-800 ml. Et puis, sur 3 jours, alors qu’il donnait 500 ml encore, ils l’ont retiré pour mettre une petite poche à la peau. Bizarre, mais bon, je n’ai pas eu d’explications là-dessus et ça a eu l’air de marcher.

Etonné, je l’étais aussi à chaque fois que j’arrivais et que je voyais ce qu’écrivait l’étudiante aide-soignante sur la pancarte des constantes : température 32°C (et elle n’a prévenu personne et c’est resté 8h sur le panneau sans que ça n’inquiète quiconque), saturation 90% (sous 2l d’oxygène)… Rien de terrible dans ce cas, mais cocasse.

Le 12 décembre, je fête vaguement mon anniversaire. Pour la première fois, le drain ne donne plus rien. Dans la journée, je m’étonne de voir une SAP de 6 g de KCl sur 6h, sachant que d’habitude il arrivait qu’elle avait des SAP de 2 ou 3g sur 3h mais jamais plus (pour corriger des hypokaliémies liées à l’hydratation sûrement, elle n’a plus de diurétique). Comme je n’ai le droit de me mêler de rien, je regarderai a posterio le dossier depuis une maison de retraite, pour savoir ce qui avait motivé une telle dose… Surprise : K+ à 2,7 le 7 décembre, 3,3 le 9 décembre et… rien ! Pas de dosage avant le 13 ! Donc le 12, sur un bilan vieux de 72h, une anesthésiste s’est dit « tiens, je vais passer 6g de KCl sur 6h avec du bicarbonate ». Pour la déconne sans doute.

A 5h du matin, ma mère m’a appelé pour que je monte en urgence : ma grand-mère avait du mal à respirer. C’était la 3ème ou 4ème fois que je quittais mon lit comme ça en 3 semaines, avec toujours cette montée d’adrénaline qui réveille un type capable de snoozer son réveil non-stop de 7h à 9h30 en temps normal. A 6h, la kaliémie était à 7,1, la créatininémie passée de 23 à 35 mg/l. Je ne sais pas si le potassium à hautes doses peut planter un rein, et il n’y a pas de gaz du sang, mais on peut aisément penser qu’il y avait une histoire de tentative de correction respiratoire d’une acidose métabolique, ou un truc du genre. En tout cas, de la iatrogénie à l’état pur, associé à une sacrée dose de bêtise ou d’incompétence. Croyez-bien que je me suis posé la question de demander une expertise du dossier pour comprendre ce qui est passé dans la tête de ces gens-là… mais j’ai autre chose à foutre de ma vie qu’entamer des procédures.

Là-dessus, le chirurgien passe comme tous les matins, nous demande « vous pouvez sortir, s’il vous plait », examine ma grand-mère, sort en nous jetant un regard théâtral genre « voilà voilà » en se croisant les bras derrière le dos. Parfois, comme là, il nous parle pour dire « comme je vous l’avais dit (en soulignant clairement que depuis le début il nous y prépare et que médicolégalement il est donc intouchable là-dessus, ahah), c’est très grave. Il y a des orages métaboliques (bah avec 6g de KCl, vous tonneriez pas mal non plus), et je ne me livrerais pas à de l’optimisme par rapport au fait que le drain à la peau ne donne plus : c’est possible qu’il y ait un abcès qui se forme ».

Pour l’hyperkaliémie, je demande à l’anesthésiste pourquoi elle ne mettrait pas un aérosol de salbutamol (avec en plus un frein expiratoire à lever peut-être) ; elle fait un aérosol de sérum phy… Bon. Du vendredi 13, ma grand-mère n’urine pas une goutte… Elle a des oedèmes partout, a des difficultés à respirer, s’encombre. L’anesthésiste passe 250 ml de Lasilix sur 24h. DEUX CENT CINQUANTE MILLILITRES.

Je ne suis qu’interne futur médecin généraliste comme disent certains de mes collègues de cet hôpital qui commence à m’agacer légèrement… mais je sais qu’une insuffisance rénale aiguë anurique, on la relance avec 250ml sur 3-4h ou 1 à 2g par jour. Des vraies doses. Pas de la rigolade. Le néphrologue passe et conclut qu’il n’y aura pas de dialyse, signe dans le dossier (sûrement à la demande des anesthésistes et chirurgiens, je doute qu’il passait par là par hasard). Il dit que si elle n’urine pas dans la soirée, c’est la fin. L’anesthésiste insiste pour mettre de la scopolamine parce qu’elle dit que ça va l’améliorer sur le plan respiratoire – elle est très encombrée, et ça nécessite de régulières aspirations. Je ne suis pas chaud du tout de base, mais je laisse faire… Je lui dis que je pense que c’est surtout l’OAP qui la gêne et elle me sort cette phrase magnifique : « oh je ne pense pas qu’elle soit en OAP ». Elle avait genre des oedèmes qui prenaient le godet de l’ensemble du corps, mais pas d’OAP ? Sérieusement ?!

A 1h30, ma mère m’appelle : « l’anesthésiste vient de dire qu’elle est en train de décéder ». 3 heures après la scopolamine… Vêtements, voiture, hôpital. Elle a du mal à respirer, les tensions ont rechuté, elle n’urine toujours pas. La fin de nuit est longue… Ma grand-mère la passe. Le (dimanche) matin, je vois le nouvel anesthésiste. Appelons-le Charon, pour plus de facilité. Je demande donc à parler à Charon. Je suis évidemment désespéré mais, pour ceux qui me connaisse, légèrement timide, et éminemment triste. Je lui explique mon point de vue :

« Pourquoi ne pas essayer de mettre des grosses doses de Lasilix, comme 1g sur 24h, pour essayer de relancer sa diurèse.

— Ca ne changera rien. Sans tension, c’est de la poudre de perlimpimpin. C’est la fin, il faut vous y faire. Elle ne passera pas le week-end. Je l’ai mise sous Dobutamine pour remonter ses tensions et Tienam parce qu’elle a du mal à respirer donc elle a peut-être fait une infection pulmonaire, mais on ne fera rien de plus…

— Oui, mais au moins qu’on ait l’impression que quelque chose a été essayé. Là elle est pleine d’oedème, elle est inconfortable. Le Lasilix ne peut que lui faire du bien… Au pire, de toute façon…

— Bon. D’accord. Mais après je ne veux plus en entendre parler. »

Et en partant vers un autre service, il a ajouté « ça ne servira à rien ».

La journée est l’une des pires que j’ai vécues. Nous sommes tous restés au chevet de ma grand-mère, à la regarder haleter… J’ai aussitôt remarqué qu’elle retrouvait un peu de conscience toutes les 6-8 heures, à chaque fois avant la nouvelle scopolamine. Mais les médecins étaient bien plus dans une démarche d’augmentation… puisqu’elle n’était pas en OAP (anurie de 48h mais pas d’OAP, ça c’est du capillaire pulmonaire, ma bonne dame). Charon est repassé dans l’après-midi – il ne voulait plus en entendre parler mais finalement comme c’est un peu ce pour quoi il est payé 400€ la journée… – parce qu’elle avait du mal à respirer : « elle fait des pauses, c’est la fin, j’ai mis une canule de Guédel ». Chose cocasse dans l’après-midi : l’infirmière qui m’avait critiqué parce que je lui avais fait (justement) vérifier l’aspiration a branché le Tienam de traviole et la moitié de l’antibiotique est par terre… Bêtement, je lui dis juste mais sans lui faire de remarque désobligeante. Après coup, je me suis que je suis quand même très con comme gars.

Ma copine est revenue de Lille sur son repos de garde, complètement crevée. Nous sommes restés jusqu’à 0h20 ; j’ai fait un petit bolus désespéré sur la SAP de Lasilix, en loucedé. J’ai dit au revoir à ma grand-mère, en épanchant mes sentiments les plus sincères et profonds. Je sais, ça fait roman rose, mais c’est comme ça.

Le lendemain matin, je me rends compte que la diurèse repart vers 8h, à 50 ml/h. C’est bon ça ! Sur la journée du lundi, les oedèmes diminuent à vue d’oeil et la respiration s’améliore (mais c’est pas un OAP bien sûr). Je me dis que quand même, il reste un fol espoir. J’explique à ma mère, par méfiance envers Charon par rapport à tous les discours qu’il m’a tenu, que s’il veut mettre de la morphine, il faut refuser ou bien se méfier. Là, ma grand-mère ne souffre pas donc pas d’intérêt à mettre de la morphine (elle n’a même pas de paracétamol).

Evidemment… le soir même, Charon propose de mettre sous morphine. Ma mère l’incendie. Le lendemain c’est au tour du chirurgien, qui passe avec son air hautain, de se voir moquer. (A la défense de ma mère, 27 jours sans dormir beaucoup, en étant en moyenne 18-20h/24 à l’hôpital, ça fait pas mal). Elle a balancé leurs quatre vérités à tout le monde : le chirurgien qui l’a mise en palliatif dès le début, l’information ni claire ni loyale ni appropriée par un anesthésiste jamais vu, l’autre anesthésiste qui arrête les traitements un samedi après-midi sur un vieux bilan, l’infirmière qui ne sait pas brancher un drain, l’étudiante qui écrit des températures à 32°C, la même qui la veille trouvait une tension à 60/40 et ne s’est remuée que parce que ma mère lui a dit d’informer quelqu’un, l’anesthésiste qui met du potassium à hautes doses sur un vieux bilan, et là le mec qui veut la mettre sous morphine…

Ca fait beaucoup. Elle demande un retour et une hospitalisation à domicile chez nous. Vu ce qu’elle vient de balancer au chef de service, c’est rapidement accepté.

Quand j’arrive, Charon est furax et veut me voir dans son bureau. Je lui explique la situation de notre point de vue. Il refuse de prescrire de la dobu à domicile et que le sevrage demain matin sera difficile ; je lui soumets l’idée de faire un sevrage sur la journée. Je lui demande également d’avoir le dernier bilan et qu’il adapte les perfs en conséquence… Il propose « 3l de glucosé sans potassium » (il me dit texto « sans potassium »), je dis que 1l de SSI serait bien : ok pour 2l de glucosé et 1l de SSI.

Je ne le menace de rien… Lui par contre, me dit avec son tact coutumier : « je vais vous dire quelque chose… Vous n’êtes qu’interne. Vous n’êtes pas encore thésé. On peut vous briser votre carrière. Pas moi… mais il y a des gens dans l’hôpital qui peuvent. Alors ne me cherchez pas : je suis anesthésiste-réanimateur et je sais réanimer. Je vous l’ai prouvé. » Je suis le petit-fils d’une dame mourante, à ce moment-là, quand même. Pour rappel.

Dans la journée, ma grand-mère convulse. Elle est sous 1,5 g de Tienam par jour, donc ça n’a pas été adapté à sa fonction rénale… Après correction, plouf, elle fait sa dernière convulsion dans la soirée. On reste toute la journée avec des tantes. Ma mère prépare le domicile. Je passe la nuit à l’hôpital au chevet de ma grand-mère.

Et le lendemain a lieu l’extraction de milieu hostile.

 

Le médecin traitant a été surpris initialement d’avoir une patiente en soins palliatifs dont le petit-fils dit qu’elle est encore en curatif. Il a été plus surpris encore de n’avoir pas de bilan, ni de courrier de sortie.

Le bilan du premier jour en ville trouvait une kaliémie à 2,3, une hémoglobine à 7,7, CRP à 88, albuminémie à 21 (d’ailleurs l’alimentation avait été arrêtée 5 jours avant), urée à 1.38, créatininémie à 51,7, natrémie à 130 (2l de glucosé…)

Arf. Mais j’étais beaucoup plus confiant qu’à l’hôpital. Le médecin n’avait pas l’habitude de gérer ce genre de bilans de réanimation, mais il savait une chose : s’occuper d’une patiente dans sa globalité (et écouter les gens présents 24h/24 à son chevet). Et ça a fait toute la différence. A ma demande, il a arrêté la scopolamine aussitôt. Ma grand-mère a été transformée : envolée la confusion !  Il a repris l’alimentation parentérale, a débuté la kinésithérapie après 28 jours d’alitement sans… Petit à petit, la sonde urinaire a pu être retirée, l’oxygène a été enlevé, puis la voie veineuse centrale. Ca n’a pas toujours été facile. Devant une grosse anémie, on a passé le 31 décembre aux urgences à deux (et rentrés chez moi à 23h58 !)… mais petit à petit ça va mieux. Elle remarche en donnant les deux mains ; ça n’a pas été facile évidemment, après 1 mois d’alitement, mais les progrès sont plus que francs.

Voilà… J’ai écrit ça très vite fait… Enfin, le temps de l’écrire. C’est très moche à lire sans doute. Je ne vais pas avoir le temps de relire tout de suite.

Mais je vais poster quand même.
Parce que je passe ma thèse mercredi. Et que je repense à ce que m’a dit Charon : je ne voudrais surtout pas que quiconque puisse penser que j’ai attendu de passer ma thèse avant de raconter, à cause de ses menaces. Parce que tout ce que j’ai dit est la stricte vérité, et toute ressemblance avec des faits existants est volontaire et voulue.
Quant à ma grand-mère, elle sera là à ma thèse. Mais s’il vous plait, ne lui parlez pas de tout ça. Tout ce qu’elle se souvient de son hospitalisation, c’est qu’ils l’ont gardé, ne lui ont pas donné de café, de soupe, et n’ont pas voulu la faire sortir…
« C’était long, 1 mois. »

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« J’ai mon CSCT, je peux prescrire ! \o/ »

Chaque année en mars, j’entends ou lis sur Twitter cette phrase : « j’ai mon Certificat de Synthèse Clinique et Thérapeutique (CSCT), je peux donc officiellement prescrire \o/ Youpi tralala tsoin tsoin, vita e bella ».

Alors oui, c’est bien, bravo. Mais non, ça ne permet pas de prescrire. Rien. Même pas une pilule pour vous, ou du paracétamol pour votre petite-cousine. Vita e mocha.

Je vais tenter de faire succinct — ce qui, reconnaissons-le, n’est pas mon fort — parce que je suis aussi imperméable au droit qu’un canard à l’eau. Et peut-être que dans les commentaires, des gens qui ont vécu les années 80 sans couche-culottes pourront compléter mes propos (ou pas).

Je n’ai pas trouvé la date de début du CSCT… C’est trop vieux pour mon Internet. Toutefois, ça existait déjà dans les années 70…

Dans une question au Sénat en juillet 2004 (posée lors de l’instauration des Epreuves Classantes Nationales),  on apprend que le CSCT était prévu dans la loi n° 72-661 du 13 juillet 1972 pour un plein exercice de la médecine en France pour des médecins titulaires d’un diplôme étranger. Il semblerait également qu’avoir le CSCT permettait de remplacer des médecins généralistes dans les années 70, mais je n’ai pas la source… Peut-être en parle-t-on dans le décret du 9 juillet 1984 sur l’organisation du 3ème cycle, mais il est inaccessible sur Legifrance.

On retrouve en 1988 puis en 1997 la notion du CSCT ; il était obligatoire pour passer en troisième cycle : impossible de se présenter au concours de l’internat sans l’avoir validé (sachant qu’à l’époque l’internat n’était pas obligatoire pour être médecin généraliste comme aujourd’hui). Dans ces deux articles, je vous invite à survoler l’article 12 qui explique que pour valider le deuxième cycle des études médicales, il faut avoir validé les enseignements obligatoires et facultatifs, les stages, les gardes, les séminaires, le CSCT et… un stage chez un médecin généraliste (obligatoire depuis 1988, pas fait partout — notamment à Lille où seulement 120 postes sont disponibles par an).

Depuis le 17 octobre 2000 (suivant l’arrêté du 10), le CSCT n’est plus obligatoire pour valider le deuxième cycle. Mais… mais… mais… ils ont inclus dans l’article 7 un nouveau paragraphe se référant à d’autres articles que j’inclue : « Les enseignements théoriques du DCEM comprennent des conférences, des enseignements dirigés et des séminaires. Leur volume horaire global ne doit pas être inférieur à 900 heures, ni supérieur à 1 000 heures (!!) L’enseignement du certificat de synthèse clinique et thérapeutique, organisé au cours de la dernière année du deuxième cycle (comportant, d’une part, des épreuves théoriques et, d’autre part, une épreuve d’examen clinique comptant pour au moins 20% de la note totale) doit représenter au moins 60 heures (…) Le CSCT doit faire l’objet d’une validation indépendante (…) Les objectifs pédagogiques spécifiques de ce certificat, la composition du jury, la nature, la cotation, la durée et les modalités des épreuves sont fixés par le ou les conseils de l’unité de formation et de recherche médicale et approuvés par le ou les présidents d’université. »

Donc le CSCT est l’examen du DCEM4 (comme les examens de fin d’autres années, comme le confirme le conseil de l’Ordre des médecins). A ce titre, il est logique qu’il soit obligatoire pour valider le deuxième cycle, même s’il a été supprimé de l’article 12. (Putain mais le droit, c’est pire que la physiologie rénale oO).

Mais alors qui peut prescrire ?

Le médecin thésé (dans les limites de ses compétences dit le code de santé publique)… et l’interne remplaçant ou en stage « par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève » (article L. 6153-3 du code de santé publique). C’est-à-dire que théoriquement, l’interne ne peut rien se prescrire pour lui, ni pour sa petite-cousine !

Et là je repompe honteusement la réponse d’un juriste, David Baranger, parce que c’est bien expliqué : « L’interne et le résident peuvent prescrire sans qu’il soit besoin d’une autorisation expresse du praticien dont ils relèvent. Ce dernier peut cependant restreindre ou retirer l’exercice de cette faculté par décision motivée (les FFI ne peuvent prescrire qu’en vertu d’une délégation expresse). Ce droit de prescription s’exerce exclusivement au sein de l’établissement d’affectation de l’interne. Il ne s’étend pas aux stages effectués hors de cet établissement (et visites pour le stage ambulatoire). »

Mais encore une fois : bravo pour le CSCT 😉

Vous voulez que je raconte le mien ? (Je vois @SkroZoC qui s’attendait à un blogpost un peu intéressant et se tape une liste d’articles de droits cités à l’arrache par un gars qui a moins de notions juridiques que lui…)

Ok. Le CSCT à Lille est une réussite depuis l’arrivée du nouveau Doyen, vraiment ! Il a modifié la partie théorique dès le début de son mandat (pile pour mon année) et chaque vendredi après-midi, au lieu d’aller en stage ou nulle part, nous avions 2 heures d’examens dans les conditions des ECN. Certains cas étaient nawak, mais dans l’ensemble c’était quand même une très bonne chose, et je pense que l’amélioration des résultats lillois — outre le hasard et d’autres facteurs — est due à cette rigueur dans les épreuves (hebdomadaires).

Pour la partie pratique, on se voit attribuer une date et un petit groupe de 4-5 étudiants. Le matin on va au secrétariat, on récupère un papier qui annonce le service où on sera évalué… Néphrologie au CHU, secteur de greffe rénale. Oups (mais bon, j’aurais pu être en dermato où pour le PUPH, faire passer le CSCT revient à se faire un deuxième Noël en hiver 😀 — « bah c’est un eczéma multifactoriel avec atopie et carence en zinc, c’est pourtant évident » (bande de moules)). Pour ma part, il n’y a rien eu d’extraordinaire : pas de patient muet (l’interrogatoire des patients qui sortent d’un AVC…) ou psychotique ou mythomane ou de jury pervers (voire pervers muet psychotique et mythomane). J’ai eu une bonne note, le PU de néphrologie a dit que j’avais bien compris le dossier dans sa complexité (une deuxième greffe rénal chez un patient qui a eu des effets indésirables oculaires sous immunosuppresseurs, entre autres). En réalité, ce n’est pas moi qui avais compris : c’était le patient (un ancien prof !). Sur la demie-heure qui nous est impartie, je l’ai interrogé pendant 27 minutes, et ai continué en l’examinant cliniquement les 3 dernières minutes : palpation des reins, couleur du pipi, pli cutané, auscultation, et voilà.  Je ne sais plus qui disait ça, mais « les patients apportent leur diagnostic dans 75% des cas » 😉

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