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[Avent 2024 – Ecrire sa thèse] – 13/24 – Etudes qualitatives, grands principes

En 3 billets, je vais dresser des généralités sur les études qualitatives, les études quantitatives, les revues de littérature et méta-analyses. Il existe des guides bien plus détaillés pour les trois (déjà cités dans les précédents billets) : il s’agit plutôt ici de présenter de grands tableaux, qui pourront guider dans le choix de réaliser sa thèse dans tel ou tel sujet.

Nous allons nous baser sur le plan proposé dans le billet du 6, où il est rappelé que la méthode est la recette de cuisine, pour quelqu’un qui veut reproduire les résultats.

Concrètement, dans tous les cas, vous allez : choisir un type d’étude (selon votre objectif) – puis recueillir des données – puis les analyser.

Choisir le type d’étude (ou l’approche)

En quantitatif (mieux connu avec la lecture critique d’articles notamment), nous avons des études épidémiologiques (descriptive ou analytique), diagnostiques, thérapeutiques. Vous recueillez des données chiffrées : l’objectif guidera l’analyse et les résultats que vous présenterez.

En qualitatif, c’est le même principe… mais avec des données textuelles.

Les principales études possibles sont les approches par :

  • analyse interprétative phénoménologique (Interpretative Phenomenological Analysis ou IPA) : on se concentre sur l’individu, son vécu, son expérience (subjective) face à un phénomène
  • théorisation ancrée (Grounded Theory Method ou GTM, construire la théorie à partir des données) : on étudie le phénomène partagé, en analysant comment il se construit à travers les récits et comportements des individus
  • ethnographie : on étudie le groupe dans son environnement en observant comment il vit, interagit et s’approprie un phénomène.

Tout ça peut sembler abstrait et vous voici comme une poule avec un couteau (comme dit l’expression). Justement, étudions cette situation, et posons-nous (enfin) les bonnes questions :

  • Comment chaque poule (P) interprète et se sent (I) face à l’arrivée d’un couteau (Co) ? (on étudie le vécu, le ressenti, l’expérience de l’individu face à un phénomène : c’est de l’approche par phénoménologie IPA)
  • Comment les poules (P) réagissent (I) face à l’arrivée d’un couteau (Co) ? (on étudie les (ré)actions, les comportements face à un phénomène : c’est de l’approche par théorisation ancrée GTM)
  • Comment le groupe de poules (P) intègre le couteau (I) dans leurs pratiques collectives (Co) ? (on étudie les dynamiques de groupe : c’est de l’ethnographie)

Pour essayer de bien saisir, voici 2 autres images :

  • en littérature :
    • la phénoménologie pourrait se rapprocher du journal intime ;
    • la théorisation ancrée du polar ou thriller (où un scénario/une théorie s’élabore progressivement, pouvant être réel ou non, et surtout variable selon le point de vue) ;
    • l’ethnographie d’une enquête-documentaire dans une tribu (au sens large, la tribu pouvant être « les médecins généralistes trentenaires exerçant en libéral »)
  • ou plutôt qu’une poule avec un couteau, un enfant avec un puzzle :
    • la phénoménologie, c’est demander à l’enfant comment il vit la pièce du puzzle (sa forme, son toucher, son poids, son odeur, sa chaleur, ce que ça évoque, etc.)
    • la théorisation ancrée, c’est demander aux enfants d’associer les pièces les une avec les autres (sans suivre de modèle pré-établi) (on voit ici qu’un autre groupe, d’adultes par exemple, n’aurait pas la même image finale… changer de groupe c’est déjà être original !)
    • l’ethnographie, c’est regarder un groupe d’enfants interagir avec un puzzle (qui ouvre la boîte, propose de chercher les coins, cherche les bords d’abord, commence par le milieu, par motifs, par couleurs…)

Maintenant, si on détaille un peu davantage, les différentes approches :

  • théorisation ancrée : Construire un modèle explicatif (ou théorie) d’un phénomène ou d’interactions sociales, fondé (ou ancré) sur les données recueillies dans une population
    • Exemple : comment un processus social (I) est-il construit à partir des représentations (Co) de la population (P) ?
  • analyse interprétative phénoménologique : explorer en détail les habitudes ou comportements sur des individus
    • Exemple : comment les individus (P) perçoivent, ressentent, interprètent (I) un phénomène donné (Co) ?
  • ethnographie : s’immerger pour observer et analyser les habitudes de vie et les interactions d’un groupe
    • Exemple : comment le groupe (P) vit et structure ses interactions (I) autour d’un phénomène donné (Co) ?

Notez que la théorisation ancrée et l’analyse interprétative phénoménologique sont des études longues de sociologie ; pour une thèse de médecine, on utilisera plus modestement les termes « d’approche (inspirée) par théorisation ancrée » et « d’approche par analyse interprétative phénoménologique ».

Pour plus de détails, vous pouvez revoir le site LEPCAM ou le livre de Jean-Pierre Lebeau déjà cité.

Pour mémoire, il existe d’autres approches possibles en sociologie (dont certaines sont détaillées ici par exemple) :

  • étude de cas (étudier une ferme où une poule a trouvé un couteau pour comprendre ce phénomène rare)
  • bibliographie / approche narrative (demander à chaque poule de raconter son expérience, puis analyser pour comprendre comment elles donnent du sens à leur réalité)
  • observation participante (vivre au milieu des poules pour comprendre l’interaction avec le couteau – une des méthode de l’ethnographie)
  • analyse de discours (étudier comment le discours du fermier influence la perception des poules face au couteau)
  • analyse conversationnelle (observer comment les poules discutent entre elles lorsqu’elles ont découvert un couteau)
  • analyse de contenus (analyser les traces laissées par les poules autour du contenu ou sur les réseaux sociaux)
  • consensus structuré (demander aux poules expertes en couteau la conduite à tenir, et faire plusieurs tours pour dégager un consensus – par méthode Delphi).
  • etc.

Recueillir des données : modalités de recueil et modalités d’échantillonnage

Le recueil de données est différent en quantitatif et en qualitatif. Pour marquer un peu les esprits, disons :

  • en quantitatif, on cherche plutôt à avoir le minimum de variabilité avec le maximum d’individus (représentativité)
  • en qualitatif, on cherche plutôt à avoir le maximum de variabilité (informations) avec le minimum d’individu

Si on étudie les finishers d’un marathon, on sera embêté en quantitatif si sur 100 personnes, on a un sportif avec 2 prothèses de hanche qui termine en 3 heures, parce qu’il n’est pas représentatif de la population générale des marathoniens… alors qu’on sera ravi d’avoir son avis (sans doute) différent et nouveau s’il fait partie des 10 personnes interrogées en qualitatif !

ll existe plusieurs méthodes de recueil :

  • Observation : directe participante ou non (sur le terrain), indirecte (par analyse de transcriptions ou documentaire), par vidéo ;
  • Entretiens individuels : libres (sans guide prédéfini), semi-structurés (avec des thèmes), structurés (questions précises), approfondis (une ou deux questions très détaillées) ;
  • Entretiens en groupe : focus group (où les interactions entre participants permettent d’enrichir les données) ;
  • Méthode de consensus : groupe nominal (groupe réuni), méthode Delphi (groupe qui ne se réunit jamais)
  • Méthode de la pensée à voix haute, méthode des scénarios…

Le détail de la réalisation de ces méthodes pourra être retrouvé ailleurs.

Concernant l’échantillonnage, il pourra être :

  • raisonné (intentionnel) : choisir des poules qui ont vu un couteau
  • théorique (lié à la théorisation ancrée) : sélectionner les poules qui complètent les concepts émergents dans la théorie (celle qui a osé déplacer le couteau, etc.)
  • par variation maximale (maximiser les points de vue) : choisir des poules d’âge extrêmes pour comprendre leurs visions
  • par effet boule de neige (snowball sampling) : la première poule qui a vu un couteau nous oriente vers d’autres qui ont été dans la même situation

Ces modalités d’échantillonnage ne sont pas exclusive : on peut combiner un échantillonnage raisonné et une variation maximale.

Quand s’arrêter ?

L’idée est de poursuivre jusqu’à saturation (suffisance) des données : interroger des poules jusqu’à ce que x (souvent 2 consécutives) n’apportent plus de nouvelles informations par rapport à celles déjà recueillies

Notons ici qu’on parle de « suffisance » des données plutôt que saturation, qui est un concept de sociologie qui implique une triangulation lourde et chronophage, rarement réalisée pour une thèse de médecine générale.

Analyse des données

En qualitatif, vous pouvez utiliser le logiciel NVivo . En tapant « tutoriel » OU « didacticiel » ET NVIVO, vous trouverez facilement (on révise ici les booléens !). Par exemple, vous avez des capsules vidéo d’autoformation à NVivo par le Pre Sabrina Tremblay de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Il existe des alternatives gratuites : Taguette, QualCoder, QDA Miner, RQDA, etc. Là encore, c’est à voir en amont avec votre directeur de thèse et ses habitudes…

Le travail va se baser en 3 temps : transcrire – décrire (coder) – analyser (organiser)

Transcrire

Auparavant (dans les années 2010 encore !) les verbatims étaient transcrits à la main, depuis un enregistrement audio et/ou vidéo. Désormais, beaucoup passent par des logiciels de reconnaissance vocale performants pour gagner un temps précieux !

Avant toute analyse, les données doivent être vérifiées et leur qualité optimisée (quand en quantitatif). Ici, cela passe par la triangulation (ce qui évoque juste triangle) :

  • théorique : avec un codage indépendant par plusieurs experts de cadres disciplinaires variés (psychologie, sciences de la gestion, sociologie) ;
  • des données (ou des outils de cueillette, ou des méthodes) : utiliser au moins 2 outils (entretiens, observations, analyse documentaire)
  • des chercheurs et chercheuses : plusieurs chercheurs qui apportent un point de vue (sur les concepts, etc.)
  • des sources : les données sont recueillies auprès de plusieurs sources différentes.
  • écologique (ou indéfinie) : renvoie aux analyses et aux interprétations qui sont soumises à la vérification auprès des sujets participant à la recherche.

Coder (décrire)

Des thèmes ou concepts émergent des données via une phase de codage, souvent inductive (inverse de déductif).

Organiser (analyser)

Ces thèmes ou concepts sont ensuite regroupés ou reliés pour dégager du sens.

Ce qui est change est :

  • la finalité de l’analyse :
    • vécu individuel dans la phénoménologie, sans chercher à généraliser (un modèle est possible mais non systématique) ;
    • théorie généralisable dans la théorie ancrée (le modèle est systématique) ;
    • pratiques culturelles et interactions sociales en ethnographie, sans forcément chercher à théoriser (un modèle est possible mais non systématique) ;
  • le niveau d’abstraction des concepts :
    • proches du vécu, des sentiments subjectifs en phénoménologie
    • modèle explicatif systématique en théorie ancrée
    • pratiques sociales ou culturelles en etnhographie

Pour finir sur mes exemples de poules et de couteau :

  • en théorie ancrée : l’analyse suit un processus inductif les données sont codées au fur et à mesure pour faire émerger des concepts (l’appellation « ancrée » ou « grounded theory model » désigne bien le fait que la théorie naît du sol / des données). Les concepts sont ensuite comparés, regroupés en catégories, et intégrés dans un modèle théorique.
    • Concrètement : transcrire les interviews des poules (données) ; identifier les thèmes récurrents (concepts : peur, curiosité, évitement, manipulation…) ; les relier pour construire une théorie (le modèle est obligatoire).
  • en phénoménologie : l’analyse vise à comprendre l’expérience subjective par des descriptions détaillées, en identifiant les thèmes centraux dans les récits.
    • Concrètement : interroger les poules, identifier les sentiments (surprise, danger, etc.) ; comprendre comment elles donnent du sens à cette expérience. Un modèle est possible.
  • en ethnographie : l’analyse interprète les pratiques et interactions du groupe.
    • Concrètement : observer comment les poules collaborent ou non face au couteau (organisation collective, conflit, etc.) et interpréter ce comportement dans leur environnement de ferme. Un modèle est possible.
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Je vous demande de ne pas vous arrêter

C’est officiel, et vous l’avez lu partout : il y a trop d’arrêt de travail. Le précédent « ministre de la santé et de la prévention », Aurélien Rousseau, a déclaré sur LCI le 27 août dernier que l’augmentation des arrêts de travail en 2022 n’était « pas soutenable ». De façon cocasse, il s’inventait à cette occasion un nouvel intitulé de « ministre de la santé et des comptes sociaux », sans se rendre compte qu’oublier la « prévention » de sa fonction réelle était une des principales causes de cette situation.

En 2022, nous avons eu 5 vagues de COVID et 29,28 millions de cas recensés. Ajoutons à ça la grippe décalée de fin 2021 à mars-avril 2022, à cause de la stratégie — politiquement agile et santépubliquement stupide — du Président Emmanuel Macron de lever le masque partout en mars 2022, probablement pour ne pas en faire un sujet sa campagne éclair. Ainsi, en 2021, « les indemnités journalières liées à la grippe étaient quasiment inexistantes » selon l’Assurance Maladie (rapport « Charges et produits 2024 », page 266), et elles ont représenté 786 000 arrêts en 2022, soit 40 millions d’euros. Il s’agit néanmoins d’une paille à côté des 1,7 milliards d’euros d’arrêts de travail directement liés au COVID-19 en 2022…

… car oui, il ne s’agit évidemment que des arrêts directs et initiaux. Il y a également des arrêts directs liés au Covid Long et autres conséquences encore insuffisamment connues de cette infection. Et puis il y a les arrêts indirects, qui ne peuvent pas être perçus dans l’analyse des grandes bases de données : par exemple, lorsque sur 5 travailleurs, 3 sont absents pendant une semaine, les 2 autres augmentent leur rythme au-delà de leurs habitudes, reportent tout repos, et peuvent être amenés à se blesser (tendinopathies, lombalgies, etc.) ou à s’épuiser professionnellement, en particulier lorsque la pression au travail est trop importante (burn-out).

Jouons un peu… Imaginez ! Vous venez d’être nommé à la tête de la première assurance de France : la Caisse nationale d’Assurance Maladie. Votre objectif est simple et passionnant : bien utiliser les 250 milliards d’euros que les Français vous confient chaque année pour leur rembourser au mieux les dépenses de santé.

Déjà, vous réfléchiriez à supprimer les consultations médicales inutiles, liées à des « certificats absurdes » (arrêt de travail de moins de 3 jours, certificat d’absence pour enfant malade, etc.), comme réclamé par de nombreux médecins. Il faudrait pour cela faire jouer vos relations avec le gouvernement et la majorité présidentielle, mais ça ne devrait pas être un problème majeur de votre côté — ça l’est davantage du leur, puisqu’ils refusent d’avancer sur ces questions, en raison du refus du MEDEF et de la CPME. Il ne faut pas se fâcher avec les copains pour quelques centaines de millions d’euros d’argent public.

Ensuite, compte tenu des dépenses induites par les maladies respiratoires virales (en indemnités journalières, mais également en consultation, en tests, en médicaments, en absence enfant malade, etc.), toute personne à peu près censée s’attaquerait en priorité à ce problème. Nous avons vu en 2021 que nous pouvions (sans confinement,  « juste » avec des masques) réduire massivement les épidémies de grippe, VRS, coronavirus… Pour ceux que la santé importe peu, la gabegie financière devrait les interpeler et les inciter à re-réfléchir au port de masque dans les transports en commun, les lieux de soins a minima

Et puis bien sûr, il y a l’arlésienne de l’amélioration de la qualité de l’air — celle qui nous permettra de limiter encore le recours « actif » aux masques, par une amélioration « passive » de ce que nous respirons. Le 16 avril 2022, le candidat Emmanuel Macron annonçait à Marseille qu’il lancerait « immédiatement un effort massif de purification de l’air dans nos écoles, nos hôpitaux, nos maisons de retraite et dans tous les bâtiments publics » et que nous en verrions « les premiers résultats avant la fin de cette année (2022) ». Une promesse de santé qui a déjà rejoint celle formulée le 6 janvier 2023 lors de ses vœux : « les 600 000 patients avec une maladie chronique se verront proposer un médecin traitant avant la fin de l’année »… Finalement, il s’agirait peut-être de préciser de quelle année il est question à chaque fois (ou d’arrêter de promettre n’importe quoi, au choix). En réalité, la réglementation a changé fin 2022 pour prévoir une amélioration de qualité de l’air dans les écoles, à partir de 2024 (vous pouvez retrouver ça sur nousaerons.fr/code), mais pour l’heure, rien n’est concrètement lancé…

Voilà, ce sont probablement les premiers points que vous attaqueriez, si vous étiez à la tête de l’Assurance Maladie, ou encore ministre « de la santé et des comptes publics et de l’absence de conviction qu’il faudrait soutenir le DryJanuary ».

Mais ça n’est pas vous. L’Assurance Maladie a d’autres idées pour réduire les arrêts de travail, et on peut les lire dans une section sobrement intitulée « feuille de route pluriannuelle, ambitieuse (??) et adaptée au contexte de fin de pandémie (??!!), ayant pour objectif une reprise volontariste (??) des actions de maîtrise de l’évolution des dépenses d’indemnités journalières ». Quand le titre sent aussi bon le bullshit, prévoyez le pop-corn.

Dans ce plan « ambitieux », les dirigeants de l’Assurance Maladie visent 200 millions d’euros « d’impact financier » (comprendre économies) en 2023, et 230 millions en 2024. Ce plan « ambitieux » se décline en trois points pour les prescripteurs. Le premier est de contrôler et accompagner les médecins « prescripteurs atypiques » : les 10 % des plus prescripteurs doivent redescendre vers la moyenne, afin que les 10 % suivants puissent faire de même, et ainsi de suite. Le deuxième est le contrôle des arrêts de travail en téléconsultation pour des patients non connus (bref, lutter contre les télécabines de SNCF et autres qui sont autorisées et survalorisées financièrement par rapport à une activité classique de médecine générale). Le troisième point est le déploiement « de campagnes ciblées sur des thématiques nouvelles à forte plus-value » — dès l’intitulé, on sent que ça va être de qualité, évidemment. Ils précisent entre parenthèses : « campagne des délégués de l’Assurance Maladie vers les prescripteurs les plus concernés par des arrêts de travail prescrits pour motifs liés à la santé mentale ».

Et justement, j’ai eu la chance de bénéficier de cette campagne, avec 2079 autres confrères !

https://twitter.com/mimiryudo/status/1732007034537586758?s=20

J’ai détaillé dans ce fil Twitter le contenu de la fiche qui m’a été remise, en expliquant l’incompétence rare avec laquelle ces statistiques ont été produites au niveau national.

Pour illustrer un peu, ils ont extrait les arrêts de travail « réalisés en ligne » pour « trouble anxio-dépressif mineur » au second semestre 2021, pour les médecins ayant « au moins 10 patients concernés sur la période ». Ils n’ont pas tenu compte du nombre de patients (un médecin avec 500 ou 1500 patients sera traité de la même façon), du nombre de patients en affections longue durée, du niveau socio-économique (avec des scores validés), ou encore des autres motifs d’arrêt de travail.

A titre personnel, j’ai été ciblé par cette action parce que sur 6 mois, j’ai prescrit 668 jours d’arrêt sur ce motif à… 13 patients (sur 1300). Soit 51 jours par patient contre 22 en moyenne. Concrètement, ils ont surtout identifié des habitudes différentes d’utilisation des cotations (par exemple, si je fais l’arrêt depuis le site de l’Assurance Maladie, je peux mettre un « trouble anxieux », « trouble dépressif », « trouble anxio-dépressif mineur » ; si je le fais depuis mon logiciel, ce qui est plus rapide, je n’ai pas « trouble anxieux » et juste les 2 autres…). S’ils avaient bêta-testé leur extraction de données avec des médecins exerçant la médecine générale, peut-être qu’ils auraient eu un retour pour leur dire qu’ils étaient en train de faire n’importe quoi. Ce document d’information extrait nationalement pour 2080 médecins comporte d’autres dingueries, puisqu’ils ont fait des statistiques sur 13 patients… puis sur 4 (m’annonçant par exemple que parmi les 4 patients ayant eu un arrêt de plus de 30 jours, 75 % — donc 3 —ont vu au moins une fois un généraliste…).

Le document explique aussi doctement que le second semestre 2021 était « à distance de la période COVID » : c’est vrai, il n’y a eu que 3,2 millions de cas et 10 000 morts recensés du COVID sur ce semestre. C’est quoi 3,2 millions de personnes infectées en France après tout ?! Sur les 6 mois, par rapport aux décès attendus, l’Insee a recensé une surmortalité de +0,8 % en juillet, + 8,9% en août, +7,1% en septembre, +5,4% en octobre, +6,4% en novembre et +14,6% en décembre, en lien avec les 4ème et 5ème vagues de COVID.

Cette campagne d’information montre la totale nullité de l’Assurance Maladie pour les « délits statistiques », la perte de temps et d’argent pour rencontrer 2080 médecins sur des données aussi fumeuses…

Bien sûr, l’Assurance Maladie se défend en expliquant qu’il s’agit juste d’une information — après avoir ciblé 6 mois plus tôt les 5000 médecins les plus prescripteurs d’arrêt de travail, c’est audacieux. Par ailleurs, personne n’est dupe : leur document « Charges et produits 2024 » en fait d’ailleurs un des leviers pour atteindre les 200-230 millions euros « d’impact financier ».

En tout état de cause, je souhaite une bonne chance à l’Assurance Maladie dans leur démarche.

Cibler, c’est stigmatiser. Vous aurez beau assembler des mots et en faire une ambition de reprise volontariste de maîtrise de l’évolution de votre bullshit, cibler les arrêts de travail pour santé mentale, ça n’est que le reflet d’une pensée qui n’a absolument rien de complexe à décrypter.

Addendum. Et pour mettre dans un contexte plus large, par rapport à la pseudo-interview du Président hier soir :

https://twitter.com/mimiryudo/status/1747496841367707920?s=20
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Y’a-t-il assez de généralistes pour former des généralistes ?

Clairement, non. Mais on va détailler, surtout dans un contexte d’ajout d’une année de formation (DES à 4 ans au lieu de 3 ans). J’ai déjà exposé à plusieurs reprises ici mon avis sur la 4ème année de médecine générale, notamment sur ce billet-ci en 2016, ce billet-là en 2019 ou encore dans celui d’hier. Pour faire un résumé rapide de ces 3 billets sur mon avis personnel :

  • Le DES en 4 ans ça a été un projet de 2008 à 2023 ;
  • Les enseignants ont toujours été pour ; les internes ont toujours été contre dans les sondages (leur intersyndicale INSNAR étaient plutôt pour) ;
  • Les politiques ont vu ça comme une opportunité d’avoir des internes « dans les territoires » en priorité (l’avis contraire des étudiants ou enseignants ne les ayant pas empêché d’adopter ça au Sénat en octobre 2022) ;
  • La 4ème année de DES de médecine générale a quand même été adoptée avec l’article 49.3 en décembre 2022, ce qui est une belle preuve du mépris de ce gouvernement pour les internes de médecine générale (en grève ponctuellement pendant les 2 mois qui ont précédé) ;
  • L’argument principal était d’avoir une aussi longue durée que les autres DES (discuter la quantité sans questionner la qualité…) ;
  • Un autre argument est d’espérer que ça incitera à l’installation : pourtant les enquêtes sur les déterminants à l’installation sur 15 000 jeunes médecins ne retrouvent pas « il me manquait une année », ce sont les conditions de vie qui guident surtout l’installation (famille, infrastructures, rythme de travail, environnement…)
  • Enfin, à ma connaissance, rien n’est prévu pour évaluer. Sur les 15 ans de discussion, on parle d’un « niveau de compétence non atteint », d’internes qui « ne s’installent pas à cause d’une situation professionnalisante insuffisamment longue »… sans préciser combien actuellement, combien sont attendus après. S’il n’y a pas d’objectif préalable, comment juger de l’efficacité de la mesure a posteriori ? Peut-on ajouter une année à 3 500 internes, qui vont chacun « perdre » environ 30 000€ par an (à la louche, entre un salaire d’interne et un salaire d’un an d’exercice), pour un profit qui reste assez hypothétique ?

Que veulent les internes ?

Globalement, si on écoute les internes (un choix disruptif), leurs demandes sont :

  • + de cours sur la prise en charge médicale en médecine générale
  • + de cours sur la gestion du cabinet
  • + de cours sur la prise en charge sociale en médecine générale
  • – de traces d’apprentissage (journal de bord, RSCA, etc.)

C’est le cas à Paris en décembre 2021 par exemple.

A Lyon, en 2019, l’apprentissage par compétence était jugé trop abstrait (80 %), trop rigide et scolaire (79 %), en décalage avec la pratique courante (63 %) ; ils étaient 82 % à souhaiter plus de cours théoriques et 80 % à souhaiter des cours en ligne (MOOC ou autre).

Concrètement, dans les études (thèses) qui ont été menées sur l’évaluation du modèle pédagogique en médecine générale, les étudiants sont majoritairement en désaccord avec ce qui est proposé (cf. par exemple cette partie « discussion » de la thèse de 2016 de Céline Lajzerowicz en Aquitaine).

Qu’est-ce qui peut expliquer ce « désamour » pour le modèle pédagogique de médecine générale ?

Une des raisons souvent évoquée est le « changement de paradigme » où pendant l’externat il y aurait des « cours descendants » (magistraux), et le fait que les internes n’aimeraient pas passer à des « cours horizontaux » (groupes d’échanges de pratiques) où l’enseignement est en fait un animateur, face à des internes qui apprendraient ici à s’auto-former, et faire preuve de réflexivité pour continuer à s’améliorer ensuite toute leur carrière durant.

Sauf qu’en fait, l’externat c’est quelques ED et surtout des énormes bouquins à s’enfiler tout seul après le stage, le soir et le week-end. En arrivant en internat de médecine générale, on fait déjà beaucoup d’autoformation et on fait ce qu’on peut pour s’améliorer.

Un problème à mon sens est surtout que les enseignants de médecine générale n’ont pas vraiment le choix… Les « traces d’apprentissage », les « récits de situation cliniques authentiques » ça permet de plus ou moins évaluer massivement des centaines d’étudiants par quelques enseignants, qui peuvent le faire soir et week-end. Les groupes d’échange de pratique, ça permet d’assurer beaucoup d’heures d’enseignement sans nécessité d’une (inatteignable) expertise sur tous les sujets. Bref, outre l’intérêt pour le modèle pédagogique proposé, il ne faut probablement pas perdre de vue qu’il a probablement aussi été déployé et maintenu par manque de moyens.

Autrement dit, si nous avions 6 fois plus d’enseignants en médecine générale dans chaque faculté, est-ce qu’on resterait sur le modèle des GEP et traces d’apprentissage, ou est-ce qu’on chercherait davantage à répondre aux attentes des internes, au moins en parallèle ? (A mon avis, il y aurait plus de cours dispensés en 1er et 2ème cycle par des enseignants de médecine générale, qui seraient remis à disposition des internes par exemple ; et j’imagine qu’il y aurait bien plus de facilité pour proposer des formations facultatives — ce qui est peu envisageable avec les effectifs actuels).

Rappelons ici qu’une des motivations à avoir un DES en 4 ans est l’idée qu’après 3 ans d’internat, le « niveau de compétences » des internes serait insuffisant (sur la base d’une évaluation que j’ignore). Ce niveau sera-t-il suffisant après une quatrième année, avec le même modèle pédagogique ?

Mais est-ce que nous avons assez d’enseignants actuellement ?

En médecine générale, nous avions en 2020 un ratio de 320 enseignants / 9500 internes (soit 30 internes par enseignant) :

  • 3177 internes x 3 promos, soit 9500 internes (et bientôt 3000 de plus donc)
  • 139 professeurs (47 PU et 92 associés)
  • 181 maîtres de conférence (44 MCU et 137 associés)

Prenons un exemple avec une autre discipline (en fait 2 spécialités) ayant un nombre proche : la radiologie et médecine nucléaire, qui a un ratio de 310 enseignants / 1400 internes (soit 4,5 internes par enseignant titulaire)

Notons ici que le statut d’associé est différent, car non titulaire, avec nomination pour 3 ans renouvelable 2 fois (9 ans pour chaque statut). Les associés sont indispensables pour faire tourner les départements de médecine générale (et il en manque) mais leur statut est plus précaire pour construire une filière universitaire sur du long terme. Comme le disait l’état des lieux du CNGE 2011 : « Le statut d’enseignant associé existait dans l’université et était souvent destiné à rémunérer des enseignants exerçant des fonctions d enseignement temporaires, par exemple des enseignants étrangers recrutés pour leurs compétences spécifiques. Ce statut a été utilisé pour permettre aux enseignants de médecine générale, dont le travail était essentiel pour structurer surtout le 3ème cycle de médecine générale, d’avoir un poste et une rémunération universitaires. »

En « universitaire », on est à 91 PU/MCU contre 310 en radiologie/médecine nucléaire, pour 6,8 fois plus d’internes à encadrer. (Et je n’ai rien contre les spécialités choisies, c’est juste parce que c’était à peu près le même nombre d’enseignants au total… c’est pareil ailleurs).

Et la ministre a annoncé (en grande pompe) que le ratio ne changerait pas pendant 5 ans…

La ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a annoncé en clôture du 40ème congrès du Collège National des Généralistes Enseignants, à Lyon la semaine dernière, un plan de recrutement dans le cadre de l’ajout de la 4ème année de médecine :

  • « de nouveaux moyens dans les services administratifs pour le suivi des internes de médecine générale« ,
  • et « la création de plus de 200 postes d’enseignants-chercheurs en médecine générale, universitaires et associés, sur les 5 années à venir« .

Faisons un rapide calcul :

  • A partir de la promo 2023, l’internat de MG passe de 3 ans à 4 ans (x 1,33 étudiants).
  • D’ici 5 ans, on passera de 550 enseignants actuellement à 750 enseignants (x 1,36 enseignants)

Sylvie Retailleau a donc annoncé que le ratio enseignants / étudiants ne bougera pas… voire sera pire entre 2026 et 2028, avant de retrouver son médiocre niveau actuel à 5 ans ! C’est une stagnation des effectifs qui relève purement et simplement du foutage de gueule pour la discipline.

Et encore, non seulement de façon générale, cette annonce est déjà très insuffisante (voire daubée) mais en plus, le diable est dans les détails :

  • est-ce qu’il a été donné un détail dans les PU, MCU, PA, MCA, CCU et AUMG ? Parce qu’on peut augmenter les postes de CCU/AUMG sans augmenter les postes plus pérennes de maîtres de conférence et professeurs, perturbant toute perspective de développement de la filière universitaire de médecine générale pour encore quelques décennies en France ;
  • elle est restée floue sur l’augmentation prévue « dans les services administratifs » où là aussi, il faut logiquement faire + 33 % pour simplement conserver le niveau actuel

Voilà. Quand vous lirez « 200 postes pour la médecine générale universitaire », rappelez-vous qu’on a le pire ratio enseignants / internes toute spécialité confondue, et que le gouvernement a juste annoncé que ça ne changerait pas avant 2028

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Tester, traiter, vacciner, isoler, masquer, aérer, former, informer… Les multiples rôles du généraliste face aux infections respiratoires virales (présentation à la SFM 2023)

J’ai été invité au symposium grippe / COVID de la société française de microbiologie ce mercredi 4 octobre, avec un chouette programme :

Session 1 – Le bilan de 2022-2023

Modérateur : Bruno Lina

  • Évolution des virus influenza depuis la pandémie – CNR IPP
    Étienne Simon Loriere (CNR des virus des infections respiratoires, Institut Pasteur, Paris)
  • Bilan de l’épidémie de grippe 2022-23 en France
    Sibylle Bernard-Stoecklin (Santé Publique France)

Session 2 – Prise en charge des infections respiratoires virales

Modératrice : Catherine Weil-Olivier

  • Du diagnostic au traitement
    Pierre Tattevin (CHU de Rennes)
  • Masquer, aérer, tester, isoler, traiter, vacciner, former et informer… les multiples rôles du généraliste
    Michaël Rochoy (Médecin généraliste, Outreau)

J’ai relayé les 3 premières présentations sur mon compte Twitter.

Pour la 4ème, voici ma présentation (terminée à 3h du matin – sigh). Je vous invite à la lire au format diaporama, ça sera plus sympa (et vous pouvez lancer l’audio enregistré ce matin sur la première diapo si vous le voulez).

Bonne lecture !

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Les trois petits canulars

J’ai longuement détaillé l’histoire du canular « accidents de trottinettes et hydroxychloroquine », co-écrit avec Matthieu Rebeaud, Florian Cova et Valentin Ruggeri dans mon billet de blog intitulé « le meilleur article de tous les temps« . J’en ai aussi parlé au congrès CNGE 2021, CMGF 2022… et en Suisse au SSMIG en septembre 2022 pendant 1 heure, sur invitation du Pr Dagmar Haller (grand témoin au CNGE 2021, qui m’y avait entendu).

Une heure, c’est long… alors j’ai complété par d’autres incursions dans le monde absurde des revues prédatrices ! Voici la suite !

Episode 2. Etre reviewer pour une revue prédatrice.

J’en avais parlé aussi dans le premier billet de blog : en septembre 2020, Science Domain International (l’éditeur de l’Asian Journal of Medicine and Health dont on avait démasqué au grand jour la supercherie) m’a contacté pour être relecteur d’un article dans un autre de leur journal… Cocasse…

Leur demande : que ça aille vite en 3 jours, parce que l’auteur en avait besoin pour sa thèse !

Ma réponse a été simple et contenait surtout l’incitation à « ne surtout pas publier dans un journal de Science Domain International qui publie des revues prédatrices » (transmis aussi via Messenger pour m’assurer que l’auteur le lirait).

L’éditeur m’avait répondu pour me remercier de contribuer à la qualité de la revue…

… et bien qu’ils m’ont retiré des reviewers, et que l’article a été publié, ils m’ont quand même envoyé un joli diplôme de contribution à la qualité du journal.

J’habite à Ankh-Morpork, oui.

Il semble difficile de faire changer les choses même en répondant aux reviewing pour dissuader les auteurs…

Interlude. En savoir plus sur les revues prédatrices et les canulars

La définition des revues prédatrices est qu’elles donnent priorité à l’intérêt personnel sur l’érudition, sont caractérisées par des informations fausses ou trompeuses, avec des écarts par rapport aux meilleurs pratiques éditoriales et de publication, un manque de transparence et/ou des pratiques de sollicitation agressives et sans discernement. La définition reste volontiers floue, car il existe une vaste zone grise de revues difficiles à faire entrer dans la case « prédateur » ou la case « non prédateur »…

En réalité, les revues prédatrices sont une partie du problème, et aussi une conséquence du problème plus vaste au sein des revues médicales. En pratique, les chercheurs paient les éditeurs pour avoir accès aux articles qu’ils ont eux-mêmes financés, écrits, publiés (parfois en payant), relus et corrigés pour leurs pairs… Le tout en le faisant aussi souvent et aussi rapidement que possible (« Publish or perish », une expression utilisée pour la première fois en 1928 en Sociologie et recherche sociale).

A cela s’ajoute l’examen accéléré (et toute la zone grise où il est difficile et parfois long de déterminer si une revue / un éditeur est prédateur ou non donc…), les conflits d’intérêts (avec le comité de rédaction par exemple), les preprints repris dans la presse, « l’infodémie » ou encore les fakenews relayées à tout va — parfois sous forme d’article, d’interview télévisée, de livre chez un éditeur aussi prestigieux qu’Albin Michel… Tout le monde est concerné par ces fake-news en santé, y compris le directeur général de l’Assurance Maladie par exemple.

Il existe des outils pour repérer et éviter les revues prédatrices :

Et évidemment, il y a de nombreuses personnes et associations qui luttent contre les revues prédatrices : Hervé Maisonneuve, Leonid Schneider, Elisabeth Bik, CoopIST, Retraction Watch, PubPeer

Notre article a sûrement été le canular le plus largement diffusé auprès des non-scientifiques (une blague par phrase, pop-culture, sujet qui captivait tout le monde à un moment particulier de nos vies – COVID-19 et HCQ)… mais ce n’était pas le premier ! Citons par exemple :

  • Who’s afraid of peer review? (Bohannon, Science 2013) – global map of journal fraud : l’auteur a diffusé le même modèle d’article à 304 revues prédatrices, est passé dans 255 comités de lecture et a été accepté 157 fois (60 %) et rejeté 98 fois. Les articles étaient sur le modèle « Molecule X from lichen species Y inhibits the growth of cancer cell Z » avec des conclusions non étayées par les données, des faux auteurs et de fausses affiliations.
  • David Philips and Andrew Kants (Bentham Publisher, 2009): Deconstructing access points. Non publié, car aurait coûté 800$
  • Alain Sokal (Social Text, 1996) — Transgressing the Boundaries: Towards a Transformative Hermeneutics of Quantum Gravity
  • ou encore l’incroyable canular de David Mazières and Eddy Kohler (soumis au congress WMSCI 2005… puis soumis par Peter Vanplew à International Journal of Advanced Computer Technology, 2014). L’article a été accepté mais n’a pas été publié (quel dommage !) car l’éditeur — qui a noté « excellent » — réclamait 150$.

Il y a également de nombreuses blagues / poissons d’avril :

  • Tous les BMJ de Noël…
  • Georges Perec et son Experimental Demonstration of the Tomatopic Organization in the Soprano (Cantatrix sopranica L.) publié dans la section « Pitres et travaux » du JIM 103 en 1980

… et parfois des fraudes (fausse photo de Nessie par le chirurgien Wilson en 1934, fausse autopsie alien par Fox TV en 1995…). On peut s’amuser à différencier les fraudes et canulars par un tableau croisé :

Ne pas tromper le lecteurTromper le lecteur
Ne pas tromper le journalPublication « normale »Canular pour une blague / Poisson d’avril (le journal est complice)
Tromper le journalCanular pour démontrer une fraude (le lecteur est complice)Fraude
Fraude ou canular ?

Episode 3. A New Hope for General Medicine in A Start-Up Nation (Journal of Clinical Medicine: Current Research, ACAD-WISE)

Revenons au vif du sujet !

Quand j’ai appris que j’avais une présentation d’une heure à faire en Suisse, je me suis posé quelques questions fin juin 2022 : est-ce encore aussi facile de publier dans une revue prédatrice ? Peut-on négocier les tarifs ? (certains canulars réalisés par d’autres n’ont pas pu aller au bout de leur démarche à cause des sommes d’argent réclamées).

J’ai donc simplement ouvert ma boîte de courrier indésirable et répondu à « Lucy » d’ACAD-WISE qui souhaitait un commentaire sur un article publié sur les bodybuilders.

J’ai construit un texte automatique en équivalent start-up de lorem ipsum, via Corporate Ipsum, je l’ai appelé « A NEW HOPE FOR GENERAL MEDICINE IN A START-UP NATION« , et j’ai soumis le 7 juillet.


Le 11 juillet, il était accepté sans changement (quelle bonne nouvelle !)

… mais avec des frais de publication à 919$ ! J’ai donc négocié : d’abord ils m’ont proposé 619$…

Mais en continuant, nous sommes arrivés 5 jours plus tard à nous mettre d’accord sur… 39$ !

L’article est publié

Vous pourrez lire l’article directement derrière ce lien… ou ci-dessous ! En page 2, j’ai inventé le « moulin à vent de l’accès aux soins » (on appréciera l’ironie en haut à gauche où j’incite à communiquer sur les « revues prédatrices (comme celle-ci, où j’ai payé 39$ au lieu de 919$ — toujours essayer de négocier !) »

Episode 4. A New Hope for General Medicine an a Start-up Nation (Journal of Medicine and Public Health, Medtext Publications)

J’ai senti quand même que je pouvais faire mieux dans les négociations. Maintenant que j’avais obtenu un nouveau seuil (39$ au lieu de 919$… nous n’avions pas négocié les 85$ pour l’article « trottinette-hydroxychloroquine), et que l’article était publié pour illustrer mon propos au congrès de la SSMIG en Suisse, je pouvais m’amuser encore davantage.

J’ai donc soumis le même article (sans la figure cette fois) à une autre revue en août (toujours en répondant dans mes spams). Ca a été rapidement accepté…

La facture était par contre salée : 2042,25$ pour une page !

On ne se mouche pas du coude ! (Pourtant, c’est recommandé contre la COVID)

S’en est suivie la conversation la plus bornée que j’ai eue ces derniers mois, où j’ai répété mécaniquement que je ne pouvais pas au-delà de 20$.

Je propose 20$
Ils répondent : -50% (1000$)
Je réponds que je ne peux pas
Ils proposent 500$
Je réponds que je suis limité à 20$
Ils proposent 200$, leur minimum
Je réponds : 20$
Ils me disent : 50$…
Je réponds : 20$…
Ils acceptent à 24$…

Et finalement… je n’ai pas payée, car l’article était mis en ligne pendant les négociations ! Ils l’ont même réaugmenté à 236$ discrètement le 10 novembre 2022… Mais toujours pas réglée au 22 mars 2023, et l’article est pourtant toujours en ligne…

24$, en retard au 1er septembre 2022
Réaugmentation à 236$ en novembre

Vous pouvez lire cet article derrière le lien ou ci-dessous… C’est exactement le même que le précédent. L’humour n’était pas dans l’article, mais dans les échanges…

Episode 5. Incessant Solicitations: You’re not Alone! (Archives in Biomedical Engineering & Biotechnology)

Enfin, après avoir démontré qu’on pouvait négocier très largement les prix dans ces revues prédatrices pour avoir des canulars, je me suis dit qu’il était temps de publier un article sur comment éviter les revues prédatrices dans une revue prédatrice.
J’ai donc répondu à Archives in Biomedical Engineering & Biotechnology dans mes spams, et nous avons débuté une correspondance par mail à l’image de celles ci-dessus.

Vous pouvez lire l’article derrière ce lien, ou ci-dessous.
Au point 8, j’explique notamment les négociations : « Huitièmement, ne payez pas… au moins pas autant. Négociez ! Divisez le prix par 100. Expliquez que vous ne pouvez pas payer 1000$ mais que vous voulez bien payer 25$ ! J’ai négocié de 919 à 39$ pour J Clin Med Current Res et celui-ci je l’ai eu pour 30$. Une bonne affaire. Et vous pourriez avoir des échanges drôles et surréalistes, valant presque cette somme d’argent ». En page 2, je suis aussi ravi d’avoir pu faire enfin publier dans une revue la figure de David Mazières, Eddy Kohler et Peter Vanplew sur « Get me off your fucking mailing list ».

En espérant qu’ils finissent par nous entendre…

Cette incursion dans leur monde pour mieux comprendre les revues prédatrices fera l’objet d’une présentation cette après-midi au CMGF2023 ! Venez nombreux 😉

EDIT du 16 septembre 2023 :

EDIT du 6 juin 2024 : via Google Scholar, j’ai appris que mon patronyme avait été cité dans un article hongrois.

Ou en version française par DeepL :

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