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Les mutuelles qui ne jouent pas le jeu… #MutuelleDuPapier

Les médecins et patients sont invités par les mutuelles à faire des « tiers-payant ».

Il existe deux façons pour un médecin de faire un tiers payant pour une consultation à 25€ : 
    – TP AMO : la sécurité sociale donne les 70 % (17,5€) directement au médecin, le patient avance 7,50€ qui sont remboursés par la mutuelle
    – TP AMO + AMC (tiers payant intégral) : la sécurité sociale et la mutuelle donnent les 25€ au médecin. Peu de médecins le font, à raison… 
Lorsque nous faisons un TP AMO au moyen d’une feuille de soins électronique (avec la carte vitale), la sécurité sociale transmet à la mutuelle la facture. 
Certaines mutuelles comprennent très bien, et remboursent directement le patient (TP AMO) ou le médecin (TP AMO + AMC) : elles comprennent tellement bien qu’on peut alterner l’un et l’autre sans erreur. 
Par contre, d’autres mutuelles, disposant des mêmes informations, ne remboursent personne tant qu’elles n’ont pas reçu de factures (un papier totalement falsifiable et sans valeur, soyons clairs). Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un vrai procédé malhonnête, d’une précaution paranoïaque ou d’une simple incompétence, et nous ne sommes pas là pour juger. Néanmoins, tout ça est gênant. Surtout que ces mutuelles savent envoyer des petites cartes « tiers payant » mais oublient sûrement de prévenir par courrier que « ah au fait, tiers payant mais on ne vous remboursera que si on a la preuve infalsiable par la feuille de soins électronique, suivie d’un courrier avec une feuille A4 où le médecin a imprimé le montant de la facturation ». Mais, encore une fois, nous ne sommes pas là pour juger.
Nous pouvons en parler sur Twitter (avec #MutuelleDuPapier, #MédecinAdministratif ou #BalanceTaMutuelleQuiRemboursePasSaufAvecUneFacturePapier ou tout ce que vous voulez…), ou en parler ici. 
En tout cas, afin d’informer justement les patients (et médecins) sur quelles mutuelles réclament ces factures, et quelles mutuelles sont compétentes pour gérer ça depuis la feuille de soins électronique, je vous propose de séparer les mutuelles sur ce critère, en sourçant.
J’avais fait ça sur https://public.etherpad-mozilla.org/p/MutuellesFactures mais malheureusement, l’Etherpad a disparu dans les limbes de l’internet (et le web ne conserve pas de traces des Etherpad visiblement). Donc si vous voulez, vous pouvez ajouter en commentaire et je mettrai à jour.
MUTUELLES QUI REMBOURSENT DEPUIS LA FEUILLE ÉLECTRONIQUE 
– Apreva : https://www.apreva.fr (6 avril 2018, @mimiryudo)
– MNH : https://www.mnh.fr/index.html (6 avril 2018, @mimiryudo)
– Génération : https://www.generation.fr (6 avril 2018, @mimiryudo)
MUTUELLES QUI NE REMBOURSENT QU’AVEC UNE FACTURE PAPIER QUI LEUR EST TRANSMISE
– CGAM : http://cgam.fr/ (5 avril 2018, @mimiryudo)
– GSMC : http://www.mutuelle-gsmc.fr/home (5 avril 2018, @mimiryudo)
– HUMANIS  : https://humanis.com (6 avril 2018, @Louismaiso)
-BE/ALMERYS : https://www.be-almerys.com/ ( 18 avril 2018 @doclafrite90) 
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Forfait de réorientation : l’argent magique pour financer le non-soin

Ca y est, la Sécurité Sociale va bientôt payer l’hôpital pour refuser de soigner des gens malades.

Acte I – Le projet du député (et neurologue) Olivier Véran depuis 2017.

Payer l’hôpital pour réorienter les patients, une solution pour décongestionner les urgences ? https://t.co/rqx68PpI5N via @LCP

Il y avait déjà eu une salve de « MAIS C’EST N’IMPORTE QUOI » à l’époque. Je retrouve facilement mon tweet, mais évidemment nous étions plusieurs à trouver ça idiot.

Suite à ces remarques, le député avait « dénoncé le côté réac' » des opposants. Très amusant de trouver « réac' » le fait de soigner des gens, et « moderne » sans doute le fait de payer pour ne pas soigner.

Donc nouvelle salve de remarques sur le sujet… 

Cette mesure absurde se voudrait la réponse à « comment éduquer les patients à aller chez un MG et pas aux urgences pour des problèmes non-urgents ? ». Les députés de la majorité proposent « par la sanction en les virant des urgences » ; ça n’est pas de l’éducation à la santé !

 

Acte II – L’origine du projet : de la finance

J’ai dit au-dessus que c’est un projet de 2017, mais le tweet date de 2018.

En fait, cette mesure, on en parle déjà au nom d’Olivier Véran dans le rapport d’information n° 685 (2016-2017) de Mmes Laurence COHEN, Catherine GÉNISSON et M. René-Paul SAVARY, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 26 juillet 2017 :

« Il s’agirait, en somme, de donner à l’hôpital un intérêt financier à agir dans le sens d’un recentrement sur son coeur de métier pour chacun des acteurs de la prise en charge en urgence. Vos rapporteurs proposent dès lors, à la suite notamment des préconisations émises par notre collègue député Olivier Véran lors de son audition (…) de créer un forfait de réorientation visant à inciter les services à réadresser les patients ne nécessitant pas de prise en charge hospitalière vers les acteurs de ville. »

C’est extrait de la section : B. REVOIR LE MODE DE FINANCEMENT DES URGENCES HOSPITALIERES / 2. La réforme du financement des urgences / b) Faire du mode de financement des urgences un outil incitatif pour une meilleure coopération entre les différents acteurs de la prise en charge du soin non programmé.

Clairement, on est donc sur une mesure financière.

Il est à noter que dans le même rapport, quelques pages plus tôt, on peut lire (je vous mets les titres) :

  • L’évolution des motifs de demandes de soins urgents remodèle peu à peu la mission des urgences (…)
  • En dépit d’une forte stabilité du profil des patients accueillis et de la prévalence des consultations pour traumatologie, les prises en charges effectuées aux urgences tendent à se diversifier (…)
  • Des situations d’urgence sociale de plus en plus visibles (…) Des situations d’urgence sociale de plus en plus visibles (…)
  • La question des passages inutiles aux urgences : un faux problème (je vous promets, c’est le titre !) car c’est « une notion difficile à objectiver, recouvrant bien souvent des difficultés réelles des usagers du système de soins », impossible à appliquer avec l’actuelle « classification des patients (qui) ne peut cependant être faite qu’au terme d’un premier examen clinique »
  • Le recours aux urgences, une solution « de confort » pour une minorité de patients : « La commodité de l’accès aux services des urgences est évoquée comme un motif de recours par certains patients (mais) près de huit patients sur dix décrivent leur venue aux urgences comme « clairement décidée pour un motif médical ». « Au total, s’ils existent bel et bien, les recours motivés par de strictes raisons de convenance personnelle apparaissent largement minoritaires ».
  • Une évolution sociétale valorisant l’immédiateté de l’accès aux soins (immédiateté et consumérisme). Cette incapacité résulterait en partie d’une absence de connaissance et donc d’éducation thérapeutique. »

 

Et si on continue à remonter, c’est évoqué à travers le rapport de la fameuse Cour des Comptes en 2014 cherchant à identifier les passages évitables (pages 371s) :

Selon l’enquête de la DREES, un passage sur cinq n’a pas comporté d’acte, ce qui recouvre la catégorie CCMU1 (état clinique stable, pas d’acte complémentaire diagnostique ou thérapeutique). Cette donnée pourrait correspondre sous réserve d’analyses plus approfondies sur le profil sanitaire des patients en cause et toutes choses égales par ailleurs, à une réorientation éventuellement possible de l’ordre de 3,6 millions de passages annuels vers une prise en charge en ville.

Sur la base du différentiel entre le coût moyen estimé supra de 161,50 € par passage et du tarif des consultations en ville, l’ordre de grandeur des économies brutes susceptibles de résulter de la réorientation vers une prise en charge en ville de ces patients se présentant aux urgences, compte non tenu notamment des besoins de renforcement éventuels de la permanence des soins pourrait être de l’ordre de 500 M€ (ce calcul se base sur l’hypothèse de 3,6 millions de consultations à 23 € prises en charge en ville (soit 82,8 M€) à comparer avec leur coût à l’hôpital sur la base d’un coût moyen par passage de 161,50 € (581,4 M€). »

On notera que la Cour des Comptes (depuis le luxueux palais Cambon… ;)) pense qu’un passage aux urgences sans acte diagnostique ou thérapeutique complémentaire est valorisé 161€. Or, « selon la Cnam, moins de 5 % des passages ne donneraient lieu à aucun examen clinique ; 20 % d’entre eux se traduiraient par des actes et consultations pour un montant égal ou inférieur à 25 euros ; 80 % pour un montant supérieur à 25 euros (80€ en moyenne, en incluant les actes) » (source : le rapport des sénateurs cité ci-dessus).

C’est donc sur la base d’un calcul foireux de la Cour des Comptes qu’est né ce projet ! ^^

 

Acte III – Ce qui semble problématique dans ce projet de forfait de réorientation

Je vous résume ce que je notais dans les threads de l’époque :

  • les patients vont être les grands perdants :
    • dans l’immense majorité des cas, les patients ne sont pas des crétins qui vont sans raison aux urgences (postulat de base, tout à fait réactionnaire vous en conviendrez – le modernisme c’est prendre les gens pour des cons) ;
    • personne ne va rester plusieurs heures en salle d’attente « pour rien » (bien sûr, vous trouverez toujours des anecdotes « croustillantes » d’une personne venue pour pas grand-chose, sur une garde ayant vu passer 200 patients – parce que c’est celles qu’on trouve amusantes à partager, mettre en BD…).
    • les urgentistes ne vont pas donner « le bon RDV » au patient. Ils vont donner « un » RDV : peut-être que ça sera au moment de la sortie d’école, d’un moment où il faut s’occuper d’un parent/proche, d’un cabinet inaccessible à un patient sans véhicule…
    • ce qui comptera c’est « réorienter », pas que le patient consulte (libre au patient de changer de RDV si celui trouvé aux urgences ne lui convient pas – et libre à lui de prévenir le médecin généraliste ou pas d’ailleurs de son absence…)
    • il y aura forcément des renvois non justifiés, des RDV non honorés, des renoncements aux soins… Je veux dire, les gens sont devant un médecin, qui au lieu de les soigner va les réorienter : on ne peut pas améliorer les soins avec cette démarche « pseudo-éducative ». Même si seulement 20 % ne voient pas d’autre médecin, ça fait 20 % de renoncement aux soins. Bref, au minimum, on aura donc des retards ou des non prises en charge, pour des patients qui ont vu un médecin aux urgences (ou un IDE qui a pris un avis médical pour se couvrir).
  • … mais les MG ne seront pas en reste : 
    • les médecins qui ont beaucoup de créneaux dispo, ça peut être les jeunes installés (cool) ou les médecins-lumino-gemmotherapeutes que les gens fuient pour des raisons qui sont peut-être bonnes (relationnel ou compétences sous-optimaux) (pas cool).
    • les MG sont débordés, sinon les gens n’iraient pas aux urgences sans RDV pour des pathologies relevant de la MG…
    • ça implique de voir des patients qu’on ne connait pas (c’est plus long), après qu’ils aient déjà vu un médecin aux urgences…
    • un planning de MG, ça n’est pas forcément que du soin : nous avons des obligations de libéraux / chefs d’entreprise, et besoin de temps pour scanner des courriers, lire des bilans biologiques… (les urgentistes aussi lisent les bilans biologiques et rédigent des courriers, mais ils ne sont pas sur un planning sur rendez-vous ; la notion de flux est différente aux urgences et dans un cabinet de médecine générale qui n’est pas ouvert 24h/24, nous on doit rentrer chez nous le soir).
    • il est probable que la suite soit un lien « urgences -> CPTS » avec des enjeux financiers (la CPTS et les MG auront une rémunération selon le nombre et le taux de réorientations acceptées). Et qu’au lieu de soigner des gens, on passe du temps à réfléchir à comment gagner de l’argent sur le fait qu’on manque tous de temps pour soigner des gens. Ce qui, d’un point de vue pratique de soignant, est contre-productif – bien que lucrativement passionnant.
    • pour jouer le jeu, à terme, il faudra que nous partagions tous le même agenda. Le plus simple sera d’aller faire ça chez Doctolib déjà défendu par le gouvernement en se fichant de vendre toutes les données de santé à une seule boîte privée, pour réaliser leur rêve d’une start-up de « Silicon Valley à la française ».
    • comme dit plus haut, le risque d’un lapin est énorme (les urgentistes vont filer le premier RDV dispo, empocher les 60€ et on s’en fiche si le patient va honorer ou non ce RDV…) Ce qui signifie qu’un patient du médecin n’aura pas ce RDV et ira peut-être aux urgences. C’est le concept de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
    • au total, le vrai problème c’est qu’il est idiot de prétendre défendre l’efficience des soins et bloquer un créneau de médecin urgentiste + un créneau de médecin généraliste pour le même problème, qui sera réglé en 30 minutes au lieu de 15… (comme s’il y avait une scission totale entre la ville, les urgences et l’hôpital)
    • (Je ne parle même pas du fait que les urgentistes toucheront 60€ pour ne pas voir le patient et que je le vois ensuite pour 25€. Le but n’est pas de vouloir augmenter mon tarif de consultations d’urgence – rien à carrer je gagne assez ma vie comme ça. Le but est que les patients que je suis continuent à être soignés quand ils ressentent une urgence !)
  • et les urgentistes vont également être perdants à moyen terme :
    • il va de soi que les urgences auront à terme des taux de réorientation à respecter
    • au lieu d’une prise en charge en 10-15 minutes pour soigner, ces 10-15 minutes seront dévolues à réorienter. Ca n’est pas l’hôtesse ou l’infirmier d’accueil qui reorientera, tout est seniorisé…
    • Or, si l’activité baisse (avec la tarification actuelle), les moyens et les postes baisseront.
    • si j’ai bien compris, la mesure compensatoire de 60€ va durer 2 ans, puis après les régimes d’assurance maladie ne financeront peut-être plus. On revient à la baisse de moyens et donc baisse de postes.

 

Acte IV – Les indéniables problèmes et leurs évidentes solutions

On ne peut pas le nier : il y a un problème de manque de moyens par rapport à la demande aux urgences. C’est un fait. Il y a aussi un manque de moyens en aval (trouver un lit pour les patients à hospitaliser) qui embolise les urgences :

« La disponibilité de lits influe sur la durée de passage aux urgences. La recherche d’une place d’hospitalisation prend plus de 50 minutes dans la moitié des cas dès que plusieurs appels sont nécessaires pour l’obtenir. » (source)

La réponse est : augmenter les moyens, créer des parcours alternatifs SUR PLACE et AU MOMENT du soin débuté. Pas à distance avec un autre médecin où les patients n’iront pas toujours. Créer du soin. Apparemment, ça doit être reac de vouloir que les gens se soignent. Ce qui est « tendance » c’est de penser que les patients sont des imbéciles qui vont aux urgences parce qu’ils réfléchissent comme des veaux. (C’est la condition requise à cette mesure, c’est le postulat !)

Motivations des patients à venir aux urgences en juin 2013 (source)

Motivations des patients à venir aux urgences en juin 2013 (source)

L’autre problème, c’est que les gens viennent aux urgences, et qu’une fois le diagnostic posé, on se rend compte que ça aurait pu être pris en charge en ambulatoire sans perte de chance (à pondérer avec les 21 % ci-dessus venus aux urgences par défaut dont la moitié par absence de rendez-vous).

Le 11 juin 2013, dans la région PACA, les MG ont vu 11 045 patients en consultation (dont 69 adressés après appel au SAMU) ; les urgences ont vu 4 370 patients, dont 2 415 venus de leur propre chef, 821 après avis de leur MG, 768 après avis du SAMU.

Néanmoins, « la répartition des consultations de 1° recours (entre MG et service d’urgence) ne peut pas être évaluée du fait de l’impossibilité de mesurer de manière fiable les données d’activité non programmée réalisée en médecine ambulatoire (urgence et non urgence). » (source, pages 25-26) (en fait c’était à peu près 12 % en 2004 de soins urgents pour la médecine ambulatoire, mais ça a pu évoluer).

 

Acte V – Un an après, le J.O.

Et nous voici 2 ans et demi après le rapport des sénateurs, et mené jusqu’au bout par Olivier Véran : le forfait de réorientation va être expérimenté pendant 24 mois à partir de la prise en charge du premier patient au 1er avril 2020 (c’est dans le Journal Officiel depuis une semaine et dans la presse hier).

Lisons cet arrêté du 27 décembre 2019 relatif à l’expérimentation du forfait de réorientation des patients dans les services d’urgence… 

  • Justification : « les enquêtes et en particulier celle conduite par la DRESS en 2013 montrent qu’entre un quart et un tiers des patients qui se présentent aux urgences auraient pu, sans perte de chance, être pris en charge par des praticiens de ville. » (C’est l’enquête réalisée le 11 juin 2013 dans 736 points d’accueil des urgences (52 000 patients) dont je cite quelques résultats au-dessus.)
  • D’ailleurs, ils précisent : « Cette inadéquation de la prise en charge n’est imputable ni aux services d’urgence, ni aux patients (…) Il n’est pas possible, non plus, d’imputer cette inadéquation aux praticiens de ville car il n’existe aucune relation comme le montre le schéma ci-dessous entre d’un côté le niveau de fréquentation des urgences hospitalières et de l’autre côté les visites à domicile et les consultations par habitant. »
  •  « Le forfait de réorientation (…) se substitue à tous les autres éléments de rémunération de l’établissement (…) sans impact sur le FAU. » Donc incitation à réorienter dans un premier temps (tant que le forfait existe), puisque l’ATU est coté 25€ et que le FAU est conservé.
  • « Pour les praticiens libéraux, le forfait de réorientation ne peut déclencher la facturation de la majoration d’urgence (MU) en plus de la consultation et/ou des actes. » Oui, alors cette MU ne se cote pas avec une consultation mais uniquement avec une visite… j’ose espérer que vous n’allez pas envoyer un médecin généraliste en visite à domicile chez un patient que vous avez renvoyé des urgences, hein… (Sérieusement quand je vois cette phrase, je me dis qu’aucun MG n’a participé à la rédaction de ce texte, qui traine depuis 2 ans et demi. C’est un peu couillon quand on sait que les MG sont les médecins qui voient le plus d’urgences non programmées).
  • « Par ailleurs, le patient est exonéré de reste à charge sur le forfait de réorientation. Ce dernier peut, à tout moment, refuser la réorientation. » Oui enfin dans ce cas, ça veut quand même dire mettre le patient dehors sans soin OU dire au patient qu’il sera vu quand même, quand on aura le temps ? 
  • « Pour la gestion des relations (de toute nature) avec les médecins libéraux partenaires dans le cadre de la réorientation, l’établissement établit une convention. » Ah, donc plusieurs nouvelles : les MG peuvent être partenaire ou non ; ça implique de signer une convention qui doit donc impliquer une compensation d’une sorte ou d’une autre (… on renvoie nos patients vers les urgences pendant nos vacances ? LOL, je plaisante ! Bah non, ça sera forcément une compensation financière, qu’est-ce qu’on peut demander d’autre à l’hôpital public en tant que MG, puisqu’on a déjà un service d’excellence en matière de soins urgents… ?)
  • « L‘expérimentation repose sur un travail conjoint entre les urgentistes et les praticiens libéraux :
    • communication des plages de consultations et modalités d’accès à celle-ci pour l’hôpital,
    • modalités de la réorientation et des informations transmises de l’hôpital au médecin de ville et de ce dernier vers l’hôpital, suivi et pilotage de l’expérimentation etc.).
  • Donc concrètement, les MG partenaires devront partager le même type d’agenda (je veux bien dire « je suis partenaire, les RDV chez moi sont pris par téléphone », mais je doute que l’infirmier d’accueil passe son temps à appeler tous les médecins un à un… quand il existe Doctolib – par exemple !)
  • Et c’est même clairement dit plus loin : « Les sites de prise de rendez-vous en ligne seront sollicités pour apporter leurs concours à la mise à disposition des données pour les établissements ; »
  • La seconde étape est de construire dans chaque service d’urgence le processus concret de la réorientation (…) sachant que les deux seules obligations faites à l’hôpital sont les suivantes :
    a) La décision de réorientation est prise par un médecin sénior (au vu des résultats du questionnaire de proposer la réorientation au patient).
    b) La réorientation se traduit pour le patient par un rendez-vous (date, heure et lieu) qui est synthétisé sous la forme d’un bulletin de réorientation. »

    • Donc comme ça a été dit, on va dépenser du temps infirmier et médecin et administratif pour ne pas soigner un patient… Tout devra être séniorisé, et le forfait dépassant l’ATU, il y a une vraie incitation à ce qu’un médecin, sur un problème CCMU1, ne voit pas le patient mais du temps sur le dossier pré-rempli en salle d’attente par le patient…
  • Les objectifs poursuivis par l’expérimentation sont : entre 5 et 10 % de patients réorientés par service d’urgence expérimentateur ; a minima 70 % des consultations de réorientation honorées par les patients ; (pas d’incidence sur l’état de santé, ralentir la progression des passages aux urgences) ».
    • Ah mais donc c’est PIRE que ce que j’imaginais : ils annoncent d’emblée le taux de réorientation attendu (oh bah quelle surprise, sinon quoi ? une punition financière ? moins de moyens ? les bras m’en tombent), et SURTOUT, ils annoncent 30 % de lapins chez les médecins partenaires !
  • « Cet approfondissement va aussi dans le sens des politiques (…) avec la création et le développement des CPTS et plus globalement de la structuration des soins de ville. »
  • « Dans le cadre de l’expérimentation le surcoût du forfait sera donc de l’ordre de 1,7 millions d’euros (le forfait de réorientation aura un coût annuel de 5,8 millions d’euros en substitution d’une facturation « classique » de 4,1 millions d’euros). Ce surcoût devra être pris en compte dans une réforme plus globale du mode de financement des urgences. » Oui, donc voilà, on a trouvé 1,7 millions d’euros par an dédiés à ne pas soigner les gens. 

Et évidemment, pour tout le monde, ce projet va être inaudible…

 

Acte VI – A qui profite le crime ? 

Alors, à la fin, si les patients sont perdants (pour tout ce qui a été dit au-dessus), si les généralistes sont perdants (parce qu’on va demander à des gens bossant en moyenne déclaré 55 heures par semaine de faire un effort supplémentaire), si la sécurité sociale est perdante (parce que 60€ + la FAU + 25€ pour un CCMU1, ça commence à faire cher), si les urgentistes ne sont pas vraiment gagnants (parce que ça va leur demander du travail administratif sur la base d’un questionnaire pour augmenter temporairement le financement au lieu de faire leur travail de soignant), il faut bien que quelqu’un tire son épingle du jeu…

Je crois au rasoir d’Ockham et je pense que les gens qui défendent ce projet (Olivier Véran en tête, mais pas que) sont sincères et pensent vraiment qu’ils proposent une mesure innovante qui va améliorer les soins. Il y a le biais cognitif des coûts irrécupérables (j’y pense souvent ^^) aussi qui fait qu’on n’abandonne pas un projet vieux de 2 ans et demi, avec tout l’investissement que ça représente ; on préfèrera toujours traiter les opposants de « réac » et tenir le cap.

Je ne pense pas que ces gens ont de mauvaises intentions volontaires cachées vis-à-vis des patients ou des médecins urgentistes ou généralistes.

Par contre, je pense que si on voulait écrire une dystopie en santé, ce forfait de réorientation serait un point de départ intéressant.

Ca commence en 2014 avec un calcul foireux de la Cour des Comptes qui estime qu’un passage sans acte diagnostique ou thérapeutique est valorisé 160€ pour les urgences, et qu’il y a donc moyen de faire beaucoup d’économies. Un rapport qui détaille qu’on ne peut pas cerner les « passages évitables » et qu’ils sont de toute façon très minoritaire. Un député de la majorité, médecin, qui porte ce projet de forfait de réorientation pendant des années.

Et puis un arrêté où il est dit que « les sites de prise de rendez-vous en ligne seront sollicités pour apporter leurs concours à la mise à disposition des données pour les établissements ». Même si plus loin, on lit que « l’expérimentation n’implique aucun marché particulier ou de relation particulière avec des industriels », je pense que ce tableau sur « pourquoi ce projet est innovant » en dit assez long…

Ils ne font même pas semblant

Ce projet est innovant car on va utiliser des outils ou services numériques favorisant l’organisation (oh non, ça n’est pas innovant pour son articulation entre soins ambulatoires et soins hospitaliers, ou pour les prises en charge médico-sociales qui bloquent les urgences… non, non, c’est parce qu’on va utiliser des agendas en ligne partagés).

Et quand on parle d’agenda en ligne, c’est forcément Doctolib, qui fait la fierté de la start-up nation française (même si ça a été fondé sous François Hollande), et qui a été visité par les 2 secrétaires d’État en charge du numérique : Mounir Mahjoubi puis Cédric O (qui tutoie le fondateur). L’ASIP Santé (service du ministère de la santé) a fait la promotion de Doctolib, l’AP-HP leur a vendu leur agenda…

Quelques rares personnes s’en inquiètent (merci France TV info pour cet article !), mais en vrai, la plupart des gens s’en fichent encore. Pourtant Doctolib sait déjà :

  • quels professionnels de santé vous consultez et dans quel ordre (le référent VIH ? l’oncologue après le gynécologue ? après le gastrologue ? rhumatologue puis kinésithérapeute ? sage-femme tous les mois ?)
  • quels pseudo-thérapeutes vous consultez (magnétiseur, luminothérapeute, ils ont tout et ça n’est pas une « maladresse » de leur part)
  • (bientôt) quels sont les antécédents que vous rentrez avant la consultation de télémédecine ; et ils vont « apporter leurs concours à la mise à disposition de ces données ».
  • (bientôt) quels traitements vous recevez sur l’ordonnance envoyée par voie électronique ;
  • (bientôt) si vous êtes allés aux urgences et avez été réorienté.

… vous imaginez le coût qu’on peut attribuer à de telles données ?

Qui peut nous assurer que ces données ne tomberont jamais entre de mauvaises mains ? (par définition, toute donnée sur internet finira un jour ou l’autre entre les mains de quelqu’un qui aura su les hacker).

Qui peut nous assurer que ces données ne seront pas revendues, à des publicitaires ? (oh oui, pour l’instant c’est écrit que ça ne sera pas revendu, mais les conditions pourront changer quand tous les médecins seront sur Doctolib, incités par le Gouvernement). Ca pourra être cool hein, quand X fera de la publicité ciblée aux patients obèses, quand Y vendra de la « poudre de perlimpinpin » aux patients avec un cancer… Je sais bien que Google peut savoir tout ça de nous au prix d’efforts certains, mais ça n’est pas une raison pour qu’on collecte au même endroit toutes les données de santé sur des décisions gouvernementales !

Et puis à un moment, quand toutes les données seront là, il est possible aussi qu’une assurance décide de racheter ou investir massivement dans ce chouette service qu’est Doctolib… Est-ce que Doctolib refusera plusieurs millions d’euros ? Tout s’achète, c’est la loi de Disney !
Alors à ce moment-là, ça sera un bon prétexte pour répondre « ah bah non, on ne vous indemnise pas de votre dépression, car vous avez souffert d’une attitude scoliotique en 1998 que vous avez omis de nous signaler à l’époque de la signature du contrat… sinon, on ne vous aurait pas couvert, car on sait bien que les gens qui ont mal au dos sont dépressifs » (je plaisante ? Un peu, mais pas tellement : j’ai un patient à qui j’ai noté « attitude scoliotique » dans les antécédents, qui paie maintenant plus cher son assurance et n’est pas couvert sur le risque dépression à cause de ça, et uniquement de ça).

… vous voyez l’idée, je crois.

Là encore, malgré tout ce que j’en dis ici ou là, je ne pense pas que Doctolib soit gouverné par des méchants à la James Bond. J’ai de l’admiration pour son fondateur, Stanislas Niox-Château, qui est manifestement un gars passionné qui a eu une bonne idée au bon moment, et a su la développer mieux que les autres. Bravo, vraiment !

Mais ça reste une entreprise privée, avec des entrepreneurs, qui veulent gagner plus d’argent et faire plaisir à leurs fondateurs, manageurs et actionnaires… Ce ne sont pas des philanthropes, même si leur objectif est aussi d’améliorer la santé. Or, devons-nous vendre l’organisation de la santé (publique) à une entreprise privée ? C’est la vraie question, parce que c’est ce qu’on est en train de faire ici ; le grand gagnant de ce forfait de réorientation, ça ne sera pas l’urgentiste qui aura renvoyé un patient avec une otite moyenne aiguë hyperalgique sans antibiotique en pleine nuit (au lieu de soulager le patient), ça ne sera pas le patient, ça ne sera pas le généraliste qui reverra (peut-être ou pas – 30 % de lapins annoncés quand même) le patient le lendemain… le grand gagnant, ça sera Doctolib qui trouvera une nouvelle façon de se rendre indispensable dans le paysage de la santé française, et deviendra de plus en plus incontournable.

Enfin, si ça se trouve, tout ça ce sont juste des pensées de réac’.

 

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Sophia : des économies de dingue (*offre soumise à conditions) au service des patients les mieux sélectionnés (*là aussi, il y a des conditions), apprécié de tous les médecins (*attention quand même à bien lire les conditions)

Depuis le 27 novembre, ce tweet sponsorisé par Ameli (l’Assurance Maladie) tourne en boucle sur Twitter.

Il a déjà été largement commenté, sur ce tweet initial ou en-dessous de celui-ci :

Mais puisqu’il continue à être sponsorisé, prenons le temps de lire ensemble la note de synthèse sur laquelle est basée ce tweet, ça fera un peu de lecture critique :

  • expérimenté depuis 2008 et étendu depuis 2013, Sophia « s’appuie sur 220 infirmiers-conseillers en santé et compte plus de 790 000 adhérents diabétiques et 72 000 adhérents asthmatiques ».
    • A raison de 1600 heures de travail par an, pour 220 temps plein, ça fait donc 352 000 heures de travail pour 862 000 patients, soit 24 minutes et 30 secondes consacré par un infirmier par patient par an désormais ? (… sachant qu’une grande part est consacrée à de l’envoi de courrier, mail, mais aussi des appels).
  • ils expliquent qu’ils ont sélectionné prioritairement certains patients : les diabétiques qui n’ont pas fait les examens recommandés (ni examen dentaire, ni fond d’oeil, ni bilan rénal), les asthmatiques avec la CMU-c (??), les asthmatiques qui n’ont eu qu’1 à 5 délivrance par an du traitement de fond.
  • avec ce mode de sélection, le suivi à 5 ans des adhérents ayant réalisé un bilan rénal annuel progresse, surtout la première année suivant l’adhésion à Sophia. Parmi la population suivie par Sophia (donc des patients qui ont accepté d’avoir un entretien par téléphone avec un infirmier de la CPAM, donc des patients qui sont motivés), 50 % fait un bilan rénal annuel. Dans la ROSP, la cible de la CPAM est à 58 %, ils n’arrivent donc pas à leurs objectifs dans une population motivée [-> insérer rires enregistrés].

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Je fais mieux que Sophia ! \o/

  • Le suivi à 5 ans montre aussi que le fond d’oeil annuel progresse, en arrivant à 65 %. Là encore, c’est 10 % de moins que les critères de ROSP [–> insérer nouveaux rires enregistrés]. Mais peut-être que c’est dépendant du lieu de vie du patient diabétique et des possibilités de consultations pour fond d’oeil…

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Je fais moins bien que Sophia /o\

  • Sophia améliorerait la santé des utilisateurs (d’après les résultats de 2 études résumées, dont le rapport est disponible ici) :
    • le point méthodologique est intéressant. Ils disent qu’il y a 4 populations : 1/ éligibles à Sophia en 2008 dans les régions expérimentant, 2/ éligibles ET adhérents à Sophia en 2008, 3/ non adhérents à Sophia de 2008 à 2016, 4/ éligibles à Sophia en 2008 mais dans une région où Sophia n’a ouvert qu’en 2013.
    • ils ont comparé « éligibles ADHÉRENTS en 2008 » (30 % de la population cible adhère environ) VS « éligibles (qui auraient adhéré ou non) en 2008 mais dans une région où Sophia n’était pas ouvert ». Ils ont fait ça pour éviter le biais d’autosélection qu’aurait représenté « adhérents » VS « non adhérents » en 2008… mais ce biais existe puisqu’il y a dans la population contrôle cette notion de motivation variable, vs une motivation toujours présente dans la population Sophia.
    • « L’échantillonnage est un tirage aléatoire simple sur les éligibles, sans critères de stratification. La cohorte principale de l’étude, celle de 2008, comporte 56 415 patients éligibles au 1er janvier 2009, dont 31 % ont adhéré à cette date, soit 17 445 patients. » –> on a donc suivi pendant 8 ans ces 17 445 patients, sachant que le nombre d’adhérents augmente (actuellement près de 700 000 adhérents, en ayant inclus les 106 CPAM).
    • et donc ils montrent que, dans une population motivée (car ayant accepté Sophia), on augmente le nombre de dosages annuels de HbA1c, bilan rénal et fond d’oeil, on diminue les hospitalisations, le coût, et la mortalité. Bon, bah ça a l’air super ça Sophia…

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  • … mais avant de trop s’enthousiasmer, allons creuser un petit peu dans le rapport de 198 pages :
    • Sophia c’est pour tout le monde, mais (page 64) plutôt pour des patients un peu plus jeunes (65 vs 67 ans, p < 0,01), plutôt des hommes (54,1 % vs 51,9 % chez les non adhérents, p < 0,01), plutôt dans des milieux bien dotés en médecins et infirmiers libéraux, et plutôt de catégorie socio-économique plus élevée (p < 0,01).
    • Sophia c’est pour tous les diabétique, mais (page 67) plutôt pour des patients ayant un diabète plus récent (7,7 vs 8,5 ans, p < 0,01), non traité par insuline (22,2 % vs 26,7 % sous insuline chez les non adhérents, p < 0,01), mieux suivis (2,5 HbA1c par an vs 2,2 chez les non adhérents, p < 0,01), moins souvent hospitalisés (0,3 vs 0,4 séjours hospitaliers, p < 0,01), avec moins de comorbidités telles qu’insuffisance rénale terminale ou complications neurovasculaires (p < 0,01 pour les 2) ou d’autres pathologies non liées au diabète (p < 0,05 cette fois…)
    • Les différences ne sont pas si importantes en valeur absolue toutefois, mais comme on va le voir plus loin, les résultats ne représentent pas non plus des différences très importantes (il faut des dizaines de milliers de personnes pendant 8 ans pour montrer de faibles augmentations… mais quand on part de populations non comparables, ça devient un peu compliqué de savoir ce qui est responsable des bénéfices – par exemple est-ce que des patients de 65+8 ans entraînent vraiment les mêmes dépenses que des patients de 67+8 ans ?)
    • Donc au total, Sophia c’est un programme qui intéresse des patients motivés, qui vont globalement mieux à l’entrée, mais qui malgré ça coûtent EN MÉDIANE plus cher que les non adhérents (en moyenne ils dépensent plus, parce que comme ils ont plus de complications, quelques-uns entraînent des dépenses importantes, liées probablement à des hospitalisations longues – AVC, etc.).

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Page 116 du rapport : à T0, les adhérents sont des gens qui sont moins hospitalisés pour évènement cardiovasculaire majeur que les autres (... mais plus hospitalisés en HDJ pour leur suivi).

Page 116 du rapport : à T0 (à l’entrée dans le programme), les adhérents sont des gens qui sont moins hospitalisés pour évènement cardiovasculaire majeur que les autres (… mais plus hospitalisés en HDJ pour leur suivi ; de là à se dire aussi que le bilan rénal est en fait réalisé lors des HDJ mais que la CNAM n’en a pas connaissance parce que c’est dans l’enveloppe hospitalière à laquelle elle n’a pas accès, il n’y a qu’un pas).

  • En continuant la lecture : oui, Sophia permet d’augmenter la réalisation des examens de façon significative, comparé au groupe éligible (dont 30 % aurait adhéré à Sophia et 70 % aurait refusé). Mais bon, c’est pas non plus exceptionnel (comme on en a déjà parlé au-dessus, la CNAM n’arrive même pas en faisant un programme renforcé à plusieurs millions d’euros ciblant des patients motivés à atteindre les seuils cibles qu’ils définissent pour les MG dans leur rémunération sur objectifs de santé publique, ce qui est risible).
Les résultats en gras sont significatifs : donc si vous regardez tout à droite, à 8 ans, le nombre de patients avec fond d'oeil a augmenté de 2,2 % de plus dans le groupe Sophia (les motivés) que dans le groupe contrôle (constitué de motivés et de non motivés). (Page 106 du rapport).

Les résultats en gras sont significatifs : donc si vous regardez tout à droite, à 8 ans, le nombre de patients avec fond d’oeil a augmenté de 2,2 % de plus dans le groupe Sophia (les motivés) que dans le groupe contrôle (constitué de motivés et de non motivés). Bigre. (Page 106 du rapport).

  • Non, Sophia ne réduit pas le nombre moyen de séjours hospitaliers par patient, mais il réduit de 0,33 jour la durée moyenne d’hospitalisation par patient (et il a fallu 17 000 adhérents étudiés pour montrer ça… et la 4ème année, il augmente de 0,25 jours la durée moyenne d’hospitalisation, là aussi significatif). Ah et en fait (pages 115 et 113 du rapport), les patients Sophia – ces patients un peu plus jeunes, plus riches et moins malades à l’entrée – partaient avec plus d’hospitalisation que les non adhérents, et conservent cette tendance : sur le graphique 13, la courbe bleu marine est celle de Sophia qui sont plus hospitalisés que les non adhérents [–> ressortir la boîte avec les rires enregistrés.]

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  • Oui, Sophia a permis de réduire les coûts… en augmentant de 136€ par patient en moyenne les soins de ville (page 133), et réduisant de 297€ par patient en moyenne les soins hospitaliers (page 140). Enfin, quand je dis « Sophia a permis… » : le groupe de patients motivés pour un suivi par la CNAM, un peu plus jeunes et moins malades que les autres, chez qui les dépenses de soins de ville ont augmenté davantage que dans le groupe contrôle, a finalement entraîné les 7ème et 8ème années moins de dépenses que les autres. De là à savoir si c’est grâce aux 24 minutes consacrables annuellement à chacun de ces patients ou pas, c’est une autre histoire.


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  • Au total (page 135), Sophia a donc permis d’économiser 289 181€ à la 8ème année sur ses 17 000 adhérents inclus en 2008, soit 16,50€ par adhérent – on rappelle à ce moment là que les adhérents ont aussi en moyenne à l’entrée 2 ans de plus, et donc en 2016 ils ont en moyenne 75 ans vs 73 ans, et on a économisé 16,50€ et on dit que c’est grâce aux appels… (bon, et on oubliera qu’en 4ème année il y avait un surcoût de 142 170€ par exemple). A noter que je ne comprends pas bien comment on arrive à ce chiffre avec 216€ d’économie par patient (on devrait être à 3,17 millions d’euros d’économie sur cette population). Mais ce qui importe dans ce tableau c’est de voir comment nous avons fait ces économies : en augmentant les dépenses de kiné et d’IDE libérales (+ 23 600€ et + 76 481€ respectivement) et en diminuant les hospitalisations… Bah dites donc, et si on donnait davantage de moyens à la ville, peut-être que… ? (Ca n’est pas très détaillé mais finalement peut-être qu’on a surtout réduit les HDJ pour diabète et que les gens ont fait leur suivi en ville, et paf ça fait des économies).

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  • Là où c’est magnifique quand même, c’est que ce tableau oublie un poste de dépenses : Sophia ! 😀 Les dépenses liés à l’embauche de 220 infirmiers (et sûrement des biostatisticiens et quelques administratifs) pour Sophia sont bêtement « omises » du tableau ; pourtant, en comptant bas à 3000€ par personne, ça fait donc environ 8 millions d’euros de dépense par an pour en économiser 300 000 au bout de 8 ans ? (même en tablant sur 216€ d’économie x 17 455 patients, on atteint péniblement les 3 millions d’euros sur ce groupe). 
  • J’anticipe quand même les réponses : on peut rétorquer qu’il y a davantage de patients inclus que ce pool de 17 455 patients et PEUT-ÊTRE des économies plus vastes réalisées, mais ça mérite d’être prouvé… Si on regarde les surdépenses ou économies réalisées, on a au fil des ans : -72580 +75092 -16544 +142170 +130404 -6155 -289599 -289181 ; soit 326 393€ « économisés » au total sur le suivi de ces 17 455 personnes pendant 8 ans. L’embauche d’un SEUL infirmier-conseil à 3000€ par mois pendant 12 mois, pendant 8 ans coûte 288 000€. Donc pour le pool « Sophia 2008 », même si on suppose que 10 infirmiers ont pu suffire, ça fait quand même 2,55 millions d’euros de dépenses en plus.
    Si c’est bien ça, je crois que je n’avais pas vu un aussi chouette investissement depuis les 15 dernières années de développement du DMP !
  • Voilà à peu près ce qui ressort pour moi de ce rapport. Il est évidemment bien plus détaillé (198 pages) que les quelques tableaux que j’en ressors ici, mais le problème de 198 pages aussi c’est qu’on peut facilement se noyer dans les chiffres, et puis en sortir des infographies pour faire une note de synthèse qui montre qu’on sauve énormément de vies en réduisant les coûts, ce qui finalement semble légèrement surinterprété…
  • Pour revenir à la note de synthèse, elle présente en bonus « une enquête de satisfaction de 2018 auprès d’un échantillon représentatif de 300 médecins généralistes et de 1687 adhérents »…
    • Un peu plus loin on apprend que c’est une enquête de satisfaction réalisée par A+A pour l’Assurance Maladie (juin 2018) sur un échantillon représentatif AVANT ENVOI (la représentativité des répondeurs n’est pas connue…) : 5 687 médecins contactés ; 300 entretiens exploités (5,3 % de réponse…), et pour les patients adhérents (donc motivés et concernés), ce sont 10 000 questionnaires envoyés et 1687 exploités (16,9 %).

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  • Parmi ces 5 % de médecins répondeurs, 77 % trouvent Sophia utile, et 56 % attendent d’être convaincus du bénéfice du service. Parmi ces 17 % de patients répondeurs, la note attribuée au service est de 8/10 pour les diabétiques et 7/10 pour les asthmatiques. Mais bon, comme on ne connait rien de la représentativité, on ne sait pas bien que faire de ces chiffres de satisfaction. A noter aussi que par expérience, les gens qui acceptent d’évaluer sont plutôt bon public…

Enfin, retournons au tweet initial…

Je pense après lecture du rapport qu’il faudrait donc le revoir ainsi :

« Pour 72 % des médecins*, le service Sophia contribue à rendre les patients acteurs de leur santé : 60 % des adhérents diabétiques réalisent plus régulièrement les examens prescrits par leur médecin.**

*offre soumise à conditions : en excluant les 95 % de médecins contactés qui n’ont pas souhaité nous répondre, mais bon on va considérer qu’ils ont le même avis que les répondeurs.

**bon, bah en fait ce sont des patients motivés, qui vont un peu mieux que ceux qui refusent Sophia, dépensent plus en santé à la base notamment en hospitalisations de jour… Et en plus, en augmentant les dépenses de ville via Sophia, on s’est rendu compte qu’on diminuait le coût (plus important) des hospitalisations et ça faisait gagner de l’argent. Bah dites donc, et tout ça en consacrant 24 minutes de temps infirmier par téléphone par an par patient. Ah et aussi dans le coût, on n’a pas vraiment compté les dépenses du dispositif, mais on fait des économies (bon pas la 4ème année, mais la 8ème oui !) Yes ! Yes ! YES ! 8 ans de boulot, mais on y est enfin ! Personne n’y croyait, mais nous on a tenu bon et voilà ! Les résultats sont là, oh allez je fais craquer le porte-monnaie, je sponsorise ce tweet pour le diffuser au plus grand nombre : il faut que les gens sachent à quel point on fait des économies de dingue !

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Crise à la CNAM : les cotations de consultations obligatoires en pédiatrie !

Ca a commencé par un tweet…

… et ça a fini par une petite folie de 7 minutes en MP3, à écouter en cliquant sur le lien ci-dessous… 😀

Crise à la CPAM : les cotations de consultations obligatoires en pédiatrie (2312 téléchargements )

Musique : Danse Macabre de Camille Saint-Saëns (1874), par Kevin MacLeod (incompetech.com / Creative Commons: By Attribution 3.0 License).

 

(Si vous avez bien aimé, vous pouvez même aller écouter une mini saga de 20 minutes, absolument pas sur le sujet : l’affaire des voleurs de feu, aller découvrir d’autres sagas dont j’ai parlé dans un précédent billet ou aller sur Netophonix…)

 

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100 consultations de médecine générale, dont 30 potentiellement évitables : un court recueil estival

(Pioufff, ça faisait un moment ! Désolé, mais j’ai été occupé à 2-3 autres trucs de vie familiale ou de loisirs, comme une saga pour le concours de l’été que vous pouvez écouter ici avec les autres ! J’essaierai de re-bloguer un peu plus fréquemment ;-))

 

Pour ceux qui suivent un peu, en février 2018, j’avais fait une semaine de recueil de données en médecine générale.

Pour donner une autre vision, plus estivale, j’ai refait un petit recueil récemment, en me limitant aux 100 premières consultations/visites (sur 115 en 4 jours), et en ne cherchant à répondre qu’à 4 grandes questions :

  • combien de motifs par consultation ?
  • combien de « consultations de renouvellements »… et dans ce cas, combien de modifications du traitement de fond ?
  • est-ce le motif de consultation est en lien avec le travail ?
  • est-ce que cette consultation aurait pu être évitée ? (comment ?)

 

Note avant ce qui va suivre

Comme la dernière fois, c’est uniquement une description (partielle) de MON activité, sur une semaine. Ca n’est donc même pas révélateur (pas un échantillon fiable en tout cas) de ma propre activité, donc ça n’a aucune vocation à être extrapolé au niveau de la ville, la région, la France ou le monde.

 

Combien de motifs par consultation en moyenne ? 

Evidemment, c’est difficile à compter :

  • est-ce qu’une simple question attendant une réponse simple est un motif ?
  • est-ce que les motifs créés par le médecin sont des motifs ? (« et maintenant, vérifions vos vaccins ; de quand date votre dernier frottis ; vous fumez toujours ; etc. »)

J’ai répondu non et compté assez bas. Au total, je trouve une moyenne de 1,7 motif par consultation « seulement ».

Les 100 consultations dans l’ordre : une alternance de consultations « mono-motif » et de consultations à plusieurs motifs…

Sur les 100 consultations, 14 avaient ce que j’ai appelé un « bonus track » (cette petite question qui n’a rien à voir avec la consultation, ou arrive en toute fin), notamment 1 courrier à la place d’un autre spécialiste, 5 prescriptions médicales de transport, 4 certificats de sport, 4 questions sur la prise en charge d’un enfant/conjoint…

 

Combien de consultations « de renouvellement » ?

C’est facile : 50 consultations ont eu comme motif un suivi avec renouvellement.

Combien de modifications du traitement de fond ? 

Parmi ces 50 consultations, le traitement a été modifié (en partie) dans 21, soit 42 % des consultations. (C’était sûrement beaucoup cette semaine).

Est-ce que ces patients venant pour un renouvellement avaient plus ou moins de motifs ? 

Ils avaient 1,8 motifs en moyenne, vs 1,6 pour ceux ne venant pour un suivi avec renouvellement… donc kif-kif.

 

Est-ce que le motif était en lien avec le travail ? 

81 patients n’étaient pas concernés (pédiatrie, gériatrie, chômage). J’ai eu 3 « expertises » (pour la fonction publique), donc directement liées avec le travail.

Pour les 16 autres patients, le travail était responsable de la consultation pour 7 d’entre eux, avec 2 infections liées à une réunion de travail (promis !) – pas d’arrêt – ; 1 burn-out, 1 accident de travail, 2 arrêts pour troubles musculosquelettiques, 1 arrêt pour deuil.

 

Est-ce que les consultations étaient évitables, et comment ? 

Comme pour les motifs, le caractère « évitable » ou non d’une consultation est particulièrement subjectif.

Dans l’absolu, quasi toute consultation est évitable d’une façon ou d’une autre (c’est même sûrement plutôt sain de ne pas s’imaginer indispensable…)

Une des modifications les plus évidentes est simplement d’espacer le plus les consultations, et faire des « renouvellements » de 6 mois… ce que je fais personnellement assez peu (4 fois plus de suivis trimestriels que semestriels).

A mon sens, 30 consultations étaient « facilement » évitables sur 100, notamment celles ayant pour « principal » motif :

  • 3 pour renouvellement mensuel d’opiacés : ça pourrait être évité en augmentant légalement les délais de délivrance pour les opiacés au long cours.
  • 7 pour problèmes d’éducation à la santé (douleurs sans prise d’antalgique ; rhino-pharyngite ; famille/autre professionnel de santé qui incite à reconsulter pour réentendre la même conclusion dans une lombalgie ; fièvre J1)
  • 2 pour faire le SAV en sortie d’hospitalisation pour les prescriptions de soins IDE, kiné… : meilleure préparation au retour à domicile (… la plupart du temps, ça se passe mieux).
  • 1 pour arrêt de travail non fait par l’urgentiste de la clinique : insister pour que les urgentistes fassent les arrêts (j’en ai déjà parlé…)
  • 2 pour suivi psychologique : ça pourrait être évité en remboursant les psychologues
  • 8 pour certificats de sport ou certificat pour avoir accès à un casier à l’école (bon, c’était la saison !) : arrêter le délire des certificats de sport…
  • 1 pour RQTH suite à une arthrodèse : simplifier les dossiers RQTH
  • 1 pour courrier pour voir un angiologue pour sclérothérapie : simplifier le recours aux angiologues dans ces indications
  • 1 pour prescription de semelles orthopédiques : autonomiser les podologues (franchement pour ce que c’est remboursé…)
  • 1 expertise pour entrée dans l’éducation nationale : typiquement le genre « d’expertise » qui a un très faible intérêt
  • 2 consultations pour arrêt de travail court avec un motif légitime et invérifiable : permettre aux gens de prendre un arrêt de travail sans avoir une (fausse) preuve coûtant du temps et de l’argent.
  • 1 burn-out : arrêter le harcèlement au travail (oui, je sais…) 

J’avais noté aussi « déléguer les vaccins » mais les 3 que j’ai fait étaient tous avec d’autres motifs de consultation (petite semaine par ailleurs, j’en avais fait 4 fois plus la semaine précédente avant la rentrée !)

 

Voilà ! Au total, quelques éléments que je retiens de cette petite semaine d’analyse : 

  • définir un motif, définir une consultation « évitable », c’est compliqué,
  • en fin de certaines journées, j’avais l’impression de n’avoir que des consultations à 3-4 motifs ; finalement, ce petit recueil me montre que j’ai une vision assez fausse, c’est intéressant ! Ca méritera d’être revérifié à l’occasion !
  • on pourrait probablement gagner 20 à 30 % du temps de consultation en limitant les recours ; plusieurs idées avaient été évoquées dans un précédent billet… Cela passe principalement par des modifications légales ou administratives, ou une meilleure éducation à la santé.
  • dans ma très locale expérience, je ne vois pas bien ce que les mesures prévues (CPTS notamment – sans en faire une obsession ^^’) vont améliorer : peut-être gagner 2-3 consultations en améliorant encore un peu la communication ville-hôpital… Le seul intérêt que j’y vois est de pouvoir améliorer l’éducation à la santé par des actions locales… mais, au prix de temps médical dédié à des réunions CPTS, le gain n’aurait même pas atteint les consultations gagnées par les modifications légales ou administratives, dans ma semaine décrite ici (avec toutes les réserves citées en début de billet sur la non-extrapolabilité de cette semaine).
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