J’avais une fuite d’eau. J’ai appelé mon plombier. Il est venu en urgence. Il a regardé la chaudière, c’était pas ça. Il a regardé les tuyaux, c’était pas ça. Il a regardé le robinet, c’était pas ça. Il a regardé le siphon, c’était ça.
Et là, le jeu a commencé.
Il m’a dit « vous avez touché au siphon ? ». J’ai dit non. En vrai, je l’avais dévissé 4 fois le mois dernier, pour évacuer des trucs bloqués à l’intérieur. Il a répété « vous avez touché au siphon », mais cette fois il n’y avait plus de point d’interrogation. Il prenait la première manche. J’ai pas répondu. Il m’a dit « vous devriez éviter de mettre n’importe quoi dans votre lavabo ». Il avait compris et voulait me faire comprendre qu’il avait compris. Je l’ai compris. J’avais envie de lui dire que j’avais déjà une mère pour m’éduquer, mais je me suis retenu. Il a dû comprendre.
Il a relancé le jeu : « dans la cave, il y a un câble électrique qui pendouille et qui a pas l’air net, vous devriez appeler votre électricien ». J’ai dit « ok » en pensant « jamais ». Il a entendu ma pensée. Il m’a répondu « après, c’est vous qui voyez, moi je vous aurai prévenu ». Il a vu mon regard dépité, il a soupiré, il m’a dit qu’il allait s’en occuper et que j’avais de la chance d’être tombé sur un vrai professionnel. J’avais gagné la deuxième manche.
Dans la cave, il a vu le tuyau d’arrivée d’eau, il a tapé dessus. Il m’a dit « c’est du plomb ». J’ai rien répondu. Il a ajouté « il faut le faire changer ». J’ai demandé « par qui ? ». Il a dit qu’il fallait se coordonner avec lui et Veolia, la compagnie des eaux, et il m’a filé leur numéro de téléphone. J’ai dit « ok » en pensant « jamais ». Il m’a dit « vous risquez une amende si un gosse chope le saturnisme ». J’ai dit « ok » en pensant « ok ». C’est lui qui gagnait la troisième manche. Fin du jeu.
Je lui ai demandé si ça allait me coûter cher tout ça. Il m’a dit que c’était complexe, et qu’il avait dû voir le problème dans sa globalité, et qu’il fallait le rappeler si ça se remettait à fuir après le passage de Veolia.
J’ai repensé à tout ce qu’on s’était dit. J’ai vu les mots s’assembler : urgence, incertitude, global, complexité, coordination, suivi, négociation, éducation, dépistage, prévention, professionnalisme… J’ai dessiné une marguerite dans ma tête.
Bref… mon plombier est généraliste.
Chaque année, 3800 nouveaux internes de médecine générale sont visuellement exposés à la marguerite. Ne les oublions pas.
(Les compétences sont un des nombreux concepts en médecine générale. La marguerite représente des compétences, dont l’ensemble font la spécificité du métier de médecin généraliste. Elle fonctionne aussi assez bien pour les plombiers, les boulangers et les coiffeurs.)