Concepts en médecine générale

Ce billet est dédié aux exaspérés de la complexité, aux agacés de l’hypothético-déductif, aux désespérés du biopsychosocial et à tous ceux qui ont un jour rêvé qu’on leur explique les concepts une fois pour toute, de façon effici… claire.

Ce billet est dédié aux internes de médecine générale qui cherchent le paradigme du champ de marguerite sans jamais le trouver.

Ce billet est dédié à la 7ème compagnie d’investissement mutuel pour son acte héroïque sur le pont sur la Trioule.

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Merci à Marie-Alice Bousquet donc la thèse a été la principale source de cette présentation.

 

Note : Si vous avez des difficultés à visualiser les vidéos dans la présentation ou sur le PDF bien sûr, il y a les deux suivantes : Vice et versa des Inconnus (pour la définition d’un signe par Charles Peirce), et the Clawguerite, par moi-même et Pixar… 😉

 

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Accès aux soins et liberté d’installation

Dans le train qui me ramène à mon cabinet, je lis l’article de 20 minutes « Le système de santé s’est grippé » et ses raisonnements à deux francs six sous. Je vous le résume en quelques citations en précisant ce qui m’énerve.

 

« Les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux ».

— La notion de déserts médicaux est tellement vague qu’on ne peut donner aucun chiffre : en France, c’est là où il y a 30 % de moins de médecins qu’ailleurs.

Pour voir un peu la démographie par spécialité en France en 2015, les chiffres sont là et pour rappel il n’y a jamais eu autant de médecins (et de patients) qu’aujourd’hui en France.

Un désert médical n’est gênant que s’il y a un retentissement sur les patients, pas à cause du fait qu’il y ait 30 % de moins qu’ailleurs. A l’extrême, si un français sur 2 était médecin, s’amuserait-on encore à dire qu’à Limoges (par exemple) il est scandaleux de ne compter qu’un médecin sur 3 habitants, soit 30 % de moins que la moyenne nationale de 1 sur 2 ?

Les premiers concernés ne sont pas les généralistes et de loin (seulement 5 % de la population est à plus de 15 minutes d’un médecin) ; ce sont les ophtalmologues, gynécologues, pédiatres, etc.

 

« A trois stations de RER près, on n’a pas le même accès aux soins (…) plus de 20 généralistes et 70 spécialistes pour 10 000 habitants près du jardin du Luxembourg alors qu’il y en a 10 à 12 fois moins à Bobigny ».

— Attention, la réponse à ce problème se trouve dans cette réflexion.

Oui, voilà. Rendre Bobigny aussi sympathique à vivre que les jardins du Luxembourg !

A noter quand même que 5 médecins généralistes pour 10 000 habitants, c’est loin d’être une situation exceptionnelle quand on s’éloigne un peu de Paris, et pour des gens qui n’ont pas pléthore de médecins à 3 stations de RER. Ni pléthore de RER, d’ailleurs.

 

« Faute de pouvoir aller chez le médecin, les plus précaires se rendent aux urgences. » / « Des gens pauvres, qui n’ont pas accès à une médecine de proximité, se voient diagnostiquer des cancers en phase terminale en se rendant aux urgences pour des difficultés respiratoires. »

— Les plus précaires ont la CMU-complémentaire. S’ils ne sont pas assez précaires, ils ont l’Aide pour une Complémentaire Santé.
Dans tous les cas, une consultation médicale de généraliste coûte 6,90 euros (un peu plus pour les spécialistes) si on fait un tiers payant simple (je ne parle pas du tiers payant intégral, je parle de cocher une case sur la feuille de soins – papier ou électronique –, faisable facilement pour tous les patients par tout médecin).
La situation est différente pour certains spécialistes qui font des dépassements d’honoraires ou sont en secteur 2 bien sûr… mais là, ça n’est pas un problème de lieu d’installation ni de « médecine de proximité ».

Je connais aussi des cas de patients qui se voient découvrir une maladie à sombre pronostic en passant par les urgences ou à l’hôpital, mais la cause n’était jamais « pas de médecin assez proche ». Plutôt une errance diagnostique, un nomadisme médical, un refus de soins par les patients…

 

« En vingt ans, le nombre de passages aux urgences a doublé » indique Hugues Nancy, co-réalisateur du documentaire.

— Je vais parler de mon hôpital de proximité, sachant que c’est globalement pareil partout. Je le connais un peu, parce que j’y ai travaillé, j’ai participé également aux CME (commissions médicales d’établissement). Elles m’ont été assez pénibles, je ne l’ai jamais caché, mais aussi instructives sur l’aspect administratif d’un hôpital.

Naïvement, je pensais que le seul but de cette structure était la santé, les soins. Faux : l’hôpital est géré par des vrais chefs d’entreprise. Leur but premier reste la santé des patients (je crois sincèrement que c’est leur vrai objectif) ; mais ça passe par acheter des IRM, embaucher du personnel soignant, des médecins, ouvrir des services, agrandir l’hôpital… Pour ça, il faut de l’argent : et là, ça peut passer par des vraies offensives guerrières pour absorber l’activité de pédiatrie délaissée de la clinique concurrente voire piquer des patients à l’hôpital voisin de 30 minutes.

Dans cette optique saine de gagner de l’argent, TOUT séjour hospitalier demandé après examen clinique, interrogatoire, etc. par un médecin généraliste passe par les urgences (genre « allo, coucou, mon patient a une tétraparésie depuis 2 semaines, il faudrait qu’il soit hospitalisé dans le service de neurologie » → « ok, faites-le passer par les urgences »).

Un passage aux urgences apporte évidemment de l’argent à l’hôpital avec 2 systèmes : un forfait de 25€ par patient venant aux urgences à condition qu’il n’y ait pas d’hospitalisation derrière (plutôt ceux qui viennent sans avis médical) et un autre forfait selon le nombre de passages annuels qui ne dépend pas, lui, de l’hospitalisation qui peut s’ensuivre (annexe 10 de ça).

Si on arrête déjà de faire passer les gens relevant clairement d’une hospitalisation par les urgences, l’activité peut redescendre de 25 % peut-être (nombre complètement aléatoire)… sauf que si les urgences rapportent moins d’argent, les moyens alloués et le personnel seront réduits d’autant. C’est rigolo comme système, non ? Quand on a une réflexion financière sur « grossir l’hôpital », on ne peut qu’augmenter l’activité. Et – ô désespoir – ça, ça n’est absolument pas du ressort des médecins généralistes qui peuvent invoquer tous les dieux de l’Inde et la Grèce antique sans jamais réussir à faire admettre un patient dans un hôpital sans passer par les urgences.

 

« Les gens ne viennent pas à l’hôpital pour rien, ils ont besoin de voir un médecin, mais n’y ont pas accès, ou ne peuvent pas avancer les frais de consultation », précise Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France.

— Alors déjà, les gens viennent parfois à l’hôpital pour rien, médicalement parlant ; ils ne viennent jamais pour rien, selon eux. La dizaine d’urgentistes que j’ai croisés pensent ça.

Pour l’accès financier au médecin, voir au-dessus.

Pour l’accès physique, je pense qu’on se fout UN PETIT PEU de la gueule du monde en laissant sous-entendre qu’un patient n’a pas accès au médecin mais a accès aux urgences. Dans ma région considérée désertée ou presque, c’est simple, il y a un hôpital à 30 minutes de tout le monde, et un médecin généraliste à 3 ou 5 minutes en voiture. Dans les alpages ou en plein cœur de la Creuse, il n’y a pas de service d’urgences pour relayer des médecins généralistes.

Bref, un peu de bon sens, merci.

 

« L’une des solutions serait de remettre en cause le principe de liberté d’installation des médecins généralistes, comme pour les enseignants en début de carrière »

— Graaaaaaaaaaastpoahotaophqosgo. Ergh.

Bon, d’accord, je vais développer.

Un médecin généraliste a passé 1 concours d’entrée et 1 concours préparé sur 3 ans qui lui a potentiellement fait changer de région académique (ECN en 6ème année, à 24 ans, quand les enseignants ont déjà un an d’ancienneté), il peut ensuite s’installer à 28 ans, trouver un logement qui lui convient, payer un loyer, être taxé forfaitairement par l’URSSAF, la CARMF, et que sais-je ; à ce moment, il doit donc réfléchir à s’installer dans un lieu où il aura l’assurance d’avoir suffisamment de patients pour avoir une activité viable et pour, pourquoi pas, acheter une maison, perpétuer l’espèce humaine et faire grandir sa progéniture dans des coins qui lui apparaissent sympas (campagne pour certains, ADSL et fibre optique pour d’autres).

Et alors pour désamorcer tout de suite le classique « les études sont payées, il doit faire ce que l’Etat lui dit », je rappelle que je m’en gausse avec de puissants et gutturaux « Ahahah ». Pour ceux qui n’ont pas suivi, l’Etat est obligé en 2015 de suivre un décret européen, après s’être fait remonter les bretelles, pour que le temps de travail des internes soit limité à 48 heures par semaine (pour 1300-2000 euros par mois selon les gardes), afin notamment de leur laisser du temps libre pour la formation obligatoire de 80 heures par an et leur thèse. Ca ne sera évidemment pas respecté partout, et ça fait suite à 3 ans d’externat où un stage à mi-temps – avec un vrai rôle utile à l’hôpital souvent – est payé 100 à 250 euros par mois (et 20 euros par garde). Donc, nada, l’Etat ne m’a rien apporté que je ne lui ai déjà rendu au moins en grande partie, ce qui est sûrement loin d’être le cas de toutes les écoles.

Alors peut-être qu’après tout ça, certains vont chercher le soleil ou la proximité d’un cinéma. Bon. Est-ce bien une raison pour supporter la demande de restriction de liberté d’installation ?

D’ailleurs, c’était le propos du Professeur Vigneron en 2012 :  » On ne peut pas les obliger à tout quitter à la fin de leurs études déjà longues pour aller s’installer là où le système a besoin d’eux. » Bon, je pense aussi qu’il n’a pas trop intérêt à critiquer cette liberté d’installation vu son parcours : chargé de recherche en Polynésie française (1982-1991), maître de conférences à Lille/Liège (1991-1994) et professeur à Montpellier (1995-2015)…

 

"La liberté d'installation est un scandale. Moi, à 28 ans, dans l'île déserte de Tahiti, je..."

La liberté d’installation pleine et entière à la fin des études est un problème.

« Il faut (sic) développer des structures intermédiaires, entre le cabinet médical et l’hôpital, prescrit Claude Le Pen, économiste de la santé. A l’instar des centres de santé pluridisciplinaires (…) qui sont salariés par les collectivités ou par l’Etat. »

— J’ai travaillé dans 2 centres de santé pluridisciplinaires géographiquement proches, mais assez opposés dans l’esprit. Personne n’était salarié de la collectivité déjà.

Il y a une mode à la création de ces structures depuis quelques années ; toutefois, avant qu’un économiste n’ordonne de suivre le mouvement, on peut peut-être rappeler que rien ne dit que ça réduit les coûts de santé publique, que ça augmente la qualité de vie des patients ou quoi que ce soit. Oui, c’est intéressant d’avoir plusieurs modes de travail possibles ; de là à ce qu’un économiste dise qu’il « faut » des structures « entre le cabinet et l’hôpital », je crois que c’est encore une vision très hospitalière de la situation de ville…

 

« Même si le système de soins français n’est pas parfait, il reste très bon, tempère Hugues Nancy. Il est innovant et le plus égalitaire possible. »

Merci. Au Québec, un désert médical c’est une zone sans médecin à 200 km à la ronde. En France, c’est moins de 30 % de la moyenne nationale. C’est un problème, mais ne mettons pas tout sur la liberté d’installation des médecins.

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[LCA] Mammographie et mortalité

Ca fait longtemps que je ne me suis pas prêté à un petit jeu d’équilibriste… Je profite d’un peu de train pour faire une petite lecture critique d’un article qui a fait / va faire parler de lui, et que j’ai découvert via le Formindep.

Je ne donnerai pas mon avis sur la question de la mammographie systématique de dépistage pour le cancer du sein car 1/ ça n’est pas mon sujet ici, 2/ d’autres maîtrisent bien mieux le sujet que moi (Formindep par exemple, que j’apprécie bien évidemment et remercie de m’avoir fait découvrir cet article, me poussant à dépoussiérer mon blog au détriment de mes heures de sommeil), et 3/ un avis, c’est comme un nez : tout le monde en a un, sauf Voldemort, mais qui a des avis quand même et du coup ça rend cette comparaison légèrement bancale.

Mon propos est JUSTE de faire de la lecture critique de cet article. Comme ça, pour le fun, à but purement didactique. Je m’ennuie la nuit.

L’article est disponible sur le site du JAMA (grosse revue, bien méritée : 16 millions de femmes, un beau sujet polémique d’actualité…)

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Retards

Quelque part, dans de grands bureaux spacieux et bien rangés, il existe des gens qui sont capables de découper et hiérarchiser chaque tâche à réaliser.

Pas moi.

Eux – dans mon imaginaire -, ils sont organisés, ils sont grands avec la mâchoire carrée, parfaitement rasés, portent des costumes et des cravates, et travaillent dans un open-space relativement silencieux.

On en a parlé un peu avec @GeluleMD ce soir sur Twitter : nous partageons ce drôle de sentiment, ce mélange d’hyperactivité et de procrastination, cet illogisme primitif qui nous pousse à écrire un billet de blog stupide à 1h30 du matin alors qu’il y a la comptabilité 2014 à faire, et un résumé d’article pour avant-hier. Tiens, moi par exemple, j’ai encore mille analyses à faire pour mon master 2, mais j’ai lu hier le bouquin « Au poil ! » de @Klaire. Voyez…

J’veux dire, c’est comme si dans ma tête il y avait un guide touristique Parisien lassé par son métier : « naaaan mais la Tour Eiffel, vous aurez tout le temps de la visiter, par contre ça serait dommage de venir à la capitale sans voir ce magnifique tronçon de périphérique. Regardez-moi ce macadam. C’est magique, écoutez ! … Traitement anti-bruit… Eh, oh, non mais vous m’écoutez ou bien ? Et ARRETEZ de regarder ce grand machin, bon sang ! Non mais c’est pas vrai ça, c’est toujours pareil avec les provinciaux : et vas-y que je te réclame la Tour Eiffel, et l’arc de Triomphe, et Notre-Dame ! Mais bordel, c’est pas ça Paris. Paris, c’est… Paris, c’est… Oh tiens, je vais vous montrer un super restaurant indien. C’est cosmopolite, Paris. Et arrêtez avec votre porte-clef, ça m’agace… »

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Le retour de Dom Péridone

A chaque fois que je lis un article sur la dompéridone et les morts subites, je fais un article (comme ici ou ). C’est compulsif — en un ou deux mots. Bref, je ne vais donc pas déroger à ma règle stupide après la publication dans Pharmacoepidemio Drug Safety la semaine dernière [1].

Avant de commencer : ouiiiiiiii la dompéridone semble associée à un allongement de l’intervalle QT et peut-être (logiquement) à des morts subites. Les liens de causalité qui existent ont été prouvés après injection intraveineuse de fortes doses avant ma naissance, ou en sacrifiant des lapins après – sans qu’il y ait de lien a priori avec ma natalité. Evitez de délivrer ou prendre de la dompéridone, comme à peu près tout médicament qu’un médecin ou pharmacien ne vous a pas conseillé. Ne paniquez pas si vous avez pris du dompéridone en respectant la notice…

Bref, dans ce nouvel article, les auteurs annoncent 231 décès annuels liés à la dompéridone. Boum, comme ça, 231. A un moment, ils étaient sur 230, c’était chouette, ça tombait rond, et paf, une dame qui prend un dompéridone avant d’aller chez le coiffeur – l’erreur bête, c’est la laque qui lui file des nausées. La dompéridone augmente son intervalle QT, elle fait une torsade de pointes, et avant d’avoir pu avoir des pointes torsadées grâce aux bigoudis, le compte n’est plus rond. Tant pis. Ca fera 231. C’est pas mal non plus.

D’après les auteurs (et j’insiste, je n’y suis pour rien), sur 540 000 décès annuels en France [2], la dompéridone serait donc à l’origine de 4 décès sur 10 000 — soit environ autant que le SIDA. Et je dis bien « être à l’origine » et pas simplement « être associée », parce que dans le résumé en 3 points de l’article, c’est « its use caused probably a little more than 200 deaths in France in 2012 ».

Sans rire, « caused probably »… CAUSED PROBABLY ?! A partir d’odds-ratio mesurés au double décimètre Maped et d’équations rédigées sur du papier en crin de licorne, c’est un coup à faire prendre une boîte de dompéridone à un statisticien ça…

La méthode de calcul est la même que dans Prescrire : elle se base sur la fraction de risque attribuable.

Nombre de morts attribués à la molécule = nombre de morts subites cardiaques (20 000) x fraction de risque attribuable (FRA)

avec FRA = [exposition * délai de surrisque * (RR – 1) / [exposition * délai de surrisque * (RR – 1) + 1]

avec exposition = 6,4 % de la population (10 millions de boîtes vendues selon l’ANSM, mais ils ont très bien pondéré d’après les données de l’EGB pour savoir combien de patients prennent réellement de la dompéridone – avec le nombre de boîtes vendues, ça semble quand même un peu sous-estimé, mais bon…) ;

avec délai de sur-risque = 37 jours / 365… Là, par contre, ç’aurait pu être 7/365 comme les Néerlandais, mais les auteurs ont choisi 37 comme les Canadiens. Ce délai de 37 jours demeure assez mystérieux d’un point de vue pharmacologique. Deux hypothèses prédominent : soit les Canadiens prennent 1 mois de dompéridone avant de conclure que la couleur vomi rend plutôt bien sur la moquette et arrêtent le médicament ; soit les Canadiens confondent QT et BTP, ce qui pourrait expliquer le petit mois de retard, tout ça restant très classique ;

et RR = 2,8… ça c’est un résultat estimé par Hondeghem, qui a pris 5 études dont certaines utilisant un délai de 7 jours, d’autres de 37 jours, des rétrospectives qui sont négatives après ajustement (mais dont on conserve les résultats avant ajustement), ou une prospective qui compare 2 populations très différentes au début – je ne vais pas refaire les critiques présentées pour ce billet… (pour mémoire, on oublie toujours de préciser POURQUOI les patients prennent de la dompéridone dans ces études).

Et avec ça, il suffit de mouliner pour trouver le résultat : 231 morts sur 20 000 morts subites cardiaques, sans compter les bigoudis et les moquettes canadiennes à changer.

Bon.

Admettons. Mais dans ce cas, allons plus loin ! Dans les études de De Bruin [3] et de van Noord [4] citées par les auteurs, d’autres médicaments sont impliqués dans la mort subite cardiaque. Il serait injuste que ces molécules restent dans l’anonymat alors que la dompéridone est devenue un marronnier des pages santé de la plupart des quotidiens français.

Je vais les présenter avec une exposition estimée à partir des bases de données de l’assurance maladie [5, 6], à partir du fait que 10 millions de boîtes vendues de dompéridone touchent 6,7 % de la population (je vous épargne mes produits en croix), et des prescriptions usuelles :

  • cotrimoxazole : OR = 2,6 [1,1 – 6,4] : 1 221 187 boîtes vendues. On estimera ça à 0,8 %, avec un surrisque qu’on estimera aussi à 37/365. Parce que le Canada.
  • halopéridole : OR = 3,8 [1,6 – 9,2] : 1 554 585 boîtes vendues (1,0 %) sur 37/365 (c’est quand même souvent prescrit à long terme…)
  • laxatifs : OR = 1,77 [1,33 – 2,34] : 28 714 606 boîtes vendues (19,2 %) sur 37/365 (constipé un jour…)
  • digoxine : OR = 3,74 [2,91 – 4,82] : 1 610 456 boîtes vendues de 30 comprimés soit 134 000 personnes (0,3 %) sur 365/365 (environ – c’est un traitement chronique, je ne compare pas au ratio vente/utilisation de la dompéridone)
  • diurétiques : OR = 3,23 [2,67 – 3,89] : 30 702 644 boîtes vendues, soit 2,6 millions de boîtes (5,1 %) sur 1 an (la même louche)
  • corticostéroïdes : OR = 2,49 [1,65 – 3,75] : 26 811 908 boîtes vendues (18,0 %) sur disons 37/365 (j’aurais pu choisir 21 comme le nombre d’étapes du tour de France, mais restons Canadiens)
  • bêta-mimétiques : OR = 1,94 [1,26 – 2,21] : peu exploitable.

Du coup, avec tout ça, je peux calculer le nombre de morts de chaque molécule. Je le fais avec beaucoup moins de précisions pour la durée du sur-risque (je ne suis pas Canadien), et sur le taux de patients consommant ces médicaments (je n’ai pas d’accès à l’EGB, qui à ma connaissance n’a pas non plus accès à moi).

Voici donc les résultats des décès par morts subites cardiaques : 26 sous cotrimoxazole + 57 sous halopéridole + 295 sous laxatifs + 163 sous digoxine + 2042 sous diurétiques + 529 sous corticostéroïdes (+ 231 sous dompéridone). Soit 3343 décès avec ces quelque médicaments, sachant qu’en 2015, il existe 47 molécules ayant un risque bien établi d’allongement de l’intervalle QT, et 65 autres qui pourraient donner un allongement de ce fameux intervalle (d’après la liste QT Drugs).

Vous rendez-vous compte ? Nous avons trouvé 16,7 % des morts subites cardiaques (3343/20 000) avec cette méthode… Si nous l’appliquions à l’ensemble des molécules de la liste QT Drugs, je pense qu’on arriverait aisément à 30-35 %.

C’est assez fort, parce que 80 % des morts subites cardiaques sont dues à une pathologie coronaire [7], et de nombreuses autres causes existent (cardiomyopathie, etc.) Remarquez, nous pourrions ainsi expliquer par la statistique près de 115 % de ces décès : à terme, nul doute que cette méthode parvienne à résoudre le problème des retraites, si nous cumulons bien toutes les causes de décès, nous devrions pouvoir affaire à un pays plus mort qu’un thon en boîte.

 

Bonus pour ceux que je n’ai pas convaincu.

10 000 « cas » sont morts dans la Creuse (décès de toute cause) : 4 500 avaient une arme à feu.

10 000 « témoins » sont vivants dans le centre de Lyon : 1 500 ont une arme à feu.

L’OR d’avoir une arme à feu et mourir est donc à 4,6 [1,2 – 8] par rapport au fait d’avoir une arme à feu sans mourir, après ajustement sur l’âge et le sexe.

Combien de décès par an sont attribuables aux armes à feu en France, sachant qu’environ 30 % de la population en possède une, et qu’il y a 550 000 décès par an ?

Réponse A. FRA = (0,30 * 1 * (4,6 – 1)) / (0,30 * 1 * (4,6 – 1) + 1) = 0,52 → 286 000 décès par armes à feu en France par an.

Réponse B. L’OR est discutable, autant s’arrêter là. En plus, ça n’est pas un risque relatif.

Réponse C. Les deux populations ne sont pas comparables, vous n’allez quand même pas utiliser cet OR pour calculer un nombre de décès ?

Réponse D. La cause de décès est mal identifiée… Or, il s’agit du principal déterminant du calcul : par exemple, si on avait restreint aux 743 homicides, le résultat aurait été 386 au lieu de 286 000 (ou si nous passons de 20 000 morts subites cardiaques en France à 4 000 morts subites cardiaques d’origine non coronarienne par exemple… *sifflote*).

Réponse E. Est-ce qu’ils sont morts à cause de l’arme à feu ou est-ce parce qu’ils étaient menacés qu’ils avaient une arme à feu ?

 

Références

1.            Hill C, Nicot P, Piette C, Le Gleut K, Durand G, Toussaint B. Estimating the number of sudden cardiac deaths attributable to the use of domperidone in France: Domperidone-attributable Deaths in France. Pharmacoepidemiol Drug Saf. mars 2015;n/a ‑ n/a.

2.            Insee – Bulletin statistique – Démographie – Nombre de décès – France métropolitaine [Internet]. [cité 11 avr 2015]. Disponible sur: http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/bsweb/serie.asp?idbank=000436394

3.            De Bruin ML, Langendijk PNJ, Koopmans RP, Wilde AAM, Leufkens HGM, Hoes AW. In-hospital cardiac arrest is associated with use of non-antiarrhythmic QTc-prolonging drugs. Br J Clin Pharmacol. févr 2007;63(2):216‑23.

4.            Noord C van, Dieleman JP, Herpen G van, Verhamme K, Sturkenboom fessor D iriam CJM. Domperidone and Ventricular Arrhythmia or Sudden Cardiac Death. Drug Saf. 1 nov 2010;33(11):1003‑14.

5.            Médicaments remboursés par l’Assurance Maladie – Data.gouv.fr [Internet]. [cité 11 avr 2015]. Disponible sur: https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/medicaments-rembourses-par-lassurance-maladie/

6.            ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Ventes de médicaments en France : le rapport d’analyse de l’année 2013 [Internet]. 2014 [cité 28 juill 2014]. Disponible sur: http://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/Ventes-de-medicaments-en-France-le-rapport-d-analyse-de-l-annee-2013-Communique

7.            Chugh SS, Reinier K, Teodorescu C, Evanado A, Kehr E, Samara MA, et al. Epidemiology of Sudden Cardiac Death: Clinical and Research Implications. Prog Cardiovasc Dis. 2008;51(3):213‑28.

 

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Encore un peu de dompéridone chez le Dr. Alexis Clapin (Etudes & biais).

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