Souvent, nous avons un avis sur les métiers que nous n’exerçons pas.
Nous avons une vision qui est déformée par la culture (l’informaticien en sweat à capuche qui code à côté d’un mug de café) ou par nos expériences d’utilisateur (le prof des écoles qui a des vacances comme nous en avions en tant qu’élèves).
Avant que ça soit mon métier, jusqu’en 7ème année d’études (24 ans), je n’avais jamais connu que le versant « basique » de la médecine générale (rhino-pharyngite, gastroentérite, angine, otite, bronchite, eczéma, varicelle et vaccins). C’est normal alors d’avoir du mal à imaginer une autre activité et de « penser connaître » comment les généralistes exercent.
Le problème, c’est quand les gens finissent par se persuader que leur « penser connaître » est la réalité. Surtout quand ce sont des gens qui décident comment doit être la médecine générale en fait.
Cette semaine, nous avons eu plusieurs articles concernant de près ou de loin la médecine générale :
- la CPAM relève que les arrêts de travail augmentent au fil des ans (+ 8 % d’indemnités journalières en janvier 2018 par rapport à janvier 2017). Plusieurs possibilités : A. le chômage recule ; B. la population augmente et/ou vieillit ; C. les gens sont davantage malades ; D. les conditions (physiques ou psychologiques) de travail évoluent défavorablement ; E. les gens prennent davantage les arrêts de travail qui leur sont dû quand ils sont malades… ou E. les médecins se sont dit « tiens, si on était sympa sur les arrêts de travail, rien que pour faire plaisir à nos patients parce que dis donc, on manque de boulot, il ne faudrait pas les perdre ? »
- En caméra caché, France 2 a donc vérifié le 21 février qu’il est possible d’avoir des arrêts maladies à tord en disant à un médecin qu’on est malade… (Dans une prochaine caméra caché audacieuse, ils montreront qu’il est possible d’être mis en garde à vue à tord en disant à un policier qu’on a commis un crime).
- Dans la catégorie des injonctions paradoxales, la ministre de la santé a très bien expliqué qu’il y avait une pénurie de médecins partout… mais incite quand même à l’utilisation du dossier médical partagé. J’ai testé vite fait cet outil en décembre, parce qu’il faut goûter avant de dire qu’on n’aime pas, et parce qu’ouvrir un dossier (le mien en l’occurrence) c’était un moyen d’avoir quelques centaines d’euros de la rémunération sur objectifs de santé publique (d’où les fameux « 1 million de dossiers ouverts » sans doute). Mon constat est simple : ça demande trop de temps pour être rempli en même temps que notre dossier (+ le carnet de santé / le dossier papier d’EHPAD…), qui lui doit FORCÉMENT être rempli parce qu’il est relié à nos logiciels de télétransmission de feuilles de soins ou de comptabilité (encore une injonction paradoxale : télétransmettez mais utilisez notre outil qui n’est pas capable de le faire). Par ailleurs, le DMP n’est pas assez ergonomique pour que nous décidions tous (en ville ou à l’hôpital) de quitter nos logiciels pour nous y mettre. Le seul espoir du DMP à mon sens, c’est que les données de nos logiciels puissent s’y uploader de façon plus ou moins automatique.
- Un des arguments pour le DMP selon notre ministre c’est que « beaucoup d’actes sont refaits entre la ville et l’hôpital parce que le médecin de ville ne récupère pas la radio, le scanner ». Donc, les médecins généralistes demanderaient trop d’examens inutiles, tandis que les hospitaliers ne répèteraient pas les examens faits en ville pour lesquels / avec lesquels les patients leur sont adressés en « deuxième ligne » ?
- Il faut quitter la tarification à l’acte pour aller vers une tarification à la qualité et au parcours de soins pour les pathologies chroniques (mais garder la tarification à l’acte pour les pathologies aiguës). C’est comme si nous passions notre temps à « orienter » les patients ayant une pathologie chronique, en bons « partenaires de démocratie sanitaire » obsédés par des « parcours »… sans jamais pouvoir gérer seul un patient ayant un asthme ou un diabète bien équilibré. Or, on en a parlé dans l’article sur la ROSP : si un patient a une ALD diabète pour 2 GAJ > 1,26 mais qu’il est finalement contrôlé par un régime seul, mettre en place ces parcours de soins, c’est inciter à une surconsommation chez l’ophtalmo (en pénurie), le cardiologue…
- Et sans compter une utilisatrice de Twitter qui a une vision sacerdotale d’une médecine à l’ancienne où il faut travailler jour et nuit, 60 heures par semaine, sans vie de famille parce qu’on « ne peut pas laisser souffrir nos patients pour un dîner, un bridge ou des courses à faire ».
Bref, j’avais l’impression que les « problèmes » soulevés n’en étaient pas et n’étaient dus qu’à une vision de « penser connaître ».
Mais peut-être que j’ai tout faux. Alors, je me suis dit lundi que j’allais regarder de près « mon » activité…
A quoi ressemble mon activité dans la semaine ? (si je devais la présenter à mon moi d’il y a 7 ans maintenant…)
Est-ce que j’ai « tant » d’arrêts de travail, à quoi sont-ils dus et combien ai-je de patients qui les refusent en contrepartie ?
Aurais-je le temps de remplir le DMP en plus… ou est-ce que j’ai déjà assez à faire en matière d’administratif ?
Combien de bilans biologiques ou d’imageries demandées ? Existaient-elles avant à l’hôpital ?
Combien de patients adressés à des confrères ?
Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire des économies de santé sur d’autres points ?
Combien de patients ai-je laissé en souffrance à cause d’un dîner ?
… toutes ces questions trouveront leurs réponses dans le billet de demain !