Ceci est le premier billet de blog lancé sur la toile après l’ère de Stan Lee. RIP.
La semaine dernière avait lieu la conférence du directeur de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de la Ministre de la Santé sur le dossier médical partagé. Je n’ai pas écouté la conférence, mais j’en ai lu quelques brides.
Il y a des annonces, c’est sûr. Par exemple celle-ci.
[#DossierMedicalPartage] @RevelNicolas « C’est déjà le cas puisque le DMP contient déjà dès l’ouverture 24 mois d’historique de soins. » #ConfDMP #Esante
— Assurance Maladie (@ameli_actu) 6 novembre 2018
C’est hyper pratique en réalité, notamment pour un patient qu’on ne connait pas et qui a une connaissance partielle de son traitement (« euh, la pilule bleue et jaune du matin, puis le sachet là le midi »). Bon, c’est vrai que ça existe déjà dans nos logiciels, mais là en plus c’est PARTAGÉ avec le patient et surtout avec ceux qui ont des logiciels qui ne le permettaient pas…
Alors, bien sûr, si on avait la possibilité de redémarrer une partie du jeu « La France » à partir de zéro, comme on redémarre une partie de Mario, Zelda ou autre, eh bien oui, avoir des données de santé facilement partageables serait un gain de temps, d’argent, d’énergie, de ressources humaines, et de données disponibles pour la recherche absolument inestimable. Il y aurait des questionnements en matière d’éthique et de sécurité, mais globalement ça serait formidable. On aurait des gens qui seraient payés pour vérifier la qualité des données, et des soignants tellement nombreux sur le territoire qu’on pourrait prendre 30 minutes en consultation pour remplir des petits questionnaires validant les codages faits dans ces dossiers.
Sauf qu’a priori, le reboot n’est pas faisable, et il faut donc soit imposer le DMP, soit faire avec l’existant.
Imposer le DMP, ça n’est pas prévu, et tant mieux. (J’en profite pour mettre ce premier lien qui est un bon résumé du projet).
Dossier médical partagé (DMP) : questions-réponses https://t.co/3AuMjuxQam Très bien réalisé . Clair et concis. Ensuite chacun décide de créer ou non son DMP. Il exerce ainsi sa liberté à partir d’informations diffusées par l’autorité de contrôle de l’application du RGPD :-).
— Jacques Lucas (@Jcqslucas) 10 novembre 2018
Et l’existant, c’est quoi ?
1 – un DMP dans lequel on a mis pas mal d’argent (pour ne pas ressortir une autre expression) depuis 2004 et que, pour des raisons probablement liées au biais cognitif des coûts irrécupérables (voir ici la super vidéo de David Louapre), l’Etat ne parvient jamais à réformer complètement, donnant toujours l’impression d’un train de retard – avis personnel (thread 1, thread 2).
2 – tout un tas de logiciels en ville, en milieu hospitalier, en EHPAD, de qualité très variable (certains très bons, certains ayant obtenu une certification leur ayant permis d’être commercialisés en dépit du bon sens), qui n’arrivent pas à communiquer entre eux pour des raisons pratiques, légales ou stupides (thread 3, thread 4).
3 – aucun lien de communication entre les logiciels existants et le DMP, alors que la démographie médicale actuelle impose de faire des choix.
En gros, pour une consultation avec un vaccin au décours de celle-ci (ou un suivi du nourrisson, etc.), le médecin prend déjà le temps de remplir son dossier et son carnet de vaccination électronique, le carnet de vaccination papier (ou carnet de santé) du patient, une feuille de soins papier/électronique (pour que la CPAM rembourse le patient qui a cotisé à la CPAM pour être remboursé)… voire un dossier supplémentaire s’il est en visite en EHPAD (ce qui, avec le vieillissement de la population, va plutôt devenir de plus en plus fréquent).
S’il n’y a pas de lien de communication et si on doit dupliquer le remplissage de dossier sur un autre logiciel pour chaque consultation, personne ne le fera. Parce qu’on manque de médecins. Parce qu’on manque de temps médical (thread 5). Et le manque de temps médical est d’ailleurs bien connu par ceux qui « vendent » le DMP.
[#DossierMedicalPartage] @RevelNicolas prend la parole : « Jusqu’à présent pour ouvrir un DMP il fallait que ce soit un professionnel. Or le temps médical est devenu rare et précieux. » #ConfDMP
— Assurance Maladie (@ameli_actu) 6 novembre 2018
Ce tweet m’a agacé (que celui qui ne s’est jamais agacé tout seul devant un tweet me paie la première bière).
« On manque de temps médical » alors « le patient va ouvrir lui-même son DMP ».
Je… ? « On manque de boulangers » alors « le client va apporter lui-même sa farine à son boulanger ». A quel moment il faut trouver que c’est une super idée au juste ?
Au cas où ça ne serait pas clair : le problème est beaucoup moins l’ouverture que le remplissage du DMP.
Par contre, c’est vrai que si le patient a investi du temps et de l’énergie dans l’ouverture de son DMP, ce sera lui qui fera pression auprès des médecins pour remplir le DMP… Et la pression des patients ça marche pas si mal : c’est même pour ça que les deux mots les plus manuscrits par les médecins sont « NON SUBSTITUABLE ».
La prochaine étape devrait donc être une campagne d’envergure pour dire aux patients « ouvrez votre DMP : améliorez votre santé » (en plus ça rime). D’autant qu’il est prévu qu’il y aura 40 millions de dossiers ouverts sous 5 ans, je ne vois pas comment ils pourraient y parvenir sans des messages globaux incitatifs.
Le forcing, ça peut finir par payer… mais si on veut vraiment passer un jour au DMP (sans rebooter le jeu « la France »), il faudra probablement passer par une étape de prise en considération des problèmes existants. Allons-y pour une vision de la santé en 2018 autour de la thématique du DMP, avec les quelques threads annoncés plus haut (il faut cliquer sur le tweet et dérouler si ça vous intéresse).
Thread 1 Sur l’aspect pratique du DMP :
Je profite de 5 minutes de retard d’un patient pour explorer le dossier médical partagé (https://t.co/h8uTYUU7PG). Qq bons trucs MAIS
1/ ajouter un document semble pénible
2/ le patient n’a pas accès à tout
3/ le don d’organe… euh, nul n’est censé ignorer la loi… ? pic.twitter.com/JOsuMbG6IC— Michaël (@mimiryudo) 1 décembre 2017
Thread 2 Sur la sécurité du DMP :
Le DMP n’a jamais marché et ne marchera jamais. Pour stocker, gérer et partager nos données de santé selon nos propres choix, construisons 1 app vraiment personnelle, libre et open source: @MaSanteApp / @OpenPHR White paper: https://t.co/wRTlNjlsUc
— Médecine Libre (Jérôme) (@MedecineLibre) 6 novembre 2018
Hello @CNIL. J’ai peur que votre article daté du 7 novembre soit erroné sur ce point: un pédicure-podologue a bien accès par défaut aux CR d’hospitalisation. https://t.co/xV7QiorTjL
— Vincent Granier (@VincentGranier) 7 novembre 2018
Thread 3 Sur le partage des données à l’hôpital en 2018 :
Je ne vais pas critiquer la nième réincarnation du DMP en 15 ans. On verra bien ce que ça donne.
Par contre voilà des choses concrètes, quotidiennes, sur lesquelles le gouvernement peut agir pour un coût total de zéro euros, et qui changeraient la donne. https://t.co/21yDHiBOQ0
— Qffwffq (@qffwffq) 6 novembre 2018
Thread 4 Sur la qualité douteuse de certains logiciels en EHPAD en 2018 :
Et puisqu’on en est à parler turfu et organisation des donnés de santé avec le #DMP, laissez-moi vous montrer en quelques images le fonctionnement de PSI, ce fantastique logiciel utilisé en 2018 dans plusieurs EHPAD… #thread
— Michaël (@mimiryudo) 6 novembre 2018
D’autres Twittos ont balancé d’autres noms de logiciels de grande « qualité ».
Alors le groupe @_Groupe_Korian a choisi Hopital Manager, qui est une daube absolue aussi. Tous les soignants sont unanimes. Mais c’est le choix du groupe, qui a du y engloutir tellement d’argent que jamais on n’y reviendra.1/
— Hemgé du Sud No #FakeMed (@ICH8412) 6 novembre 2018
Il y a un autre logiciel merveilleux en radio : QDoc…20 clics pour donner 1 RV 😊
20 !
Et la secrétaire doit d’abord quitter le CR qu’elle tapait… barre des tâches connait pas.
Et toi qui a dicté ton CR (après 10 mn de chauffe, de logs etc) tu deviens le champion de F5— Madiba – no#fakemed (@MadibaMadiba06) 7 novembre 2018
Thread 5 Sur la difficulté de l’Etat à capter que le problème de la santé, c’est qu’on manque de temps à cause notamment du creux du numerus clausus qui est de leur faute en fait, un peu, donc bon, voilà, hein (thread 6).
– On manque de médecins.
– Ok, les médecins vont pouvoir faire de la télémedecine 🙂
– Non mais on MANQUE de médecins. On a trop de patients déjà, pas le temps.
– Ah, bah alors, vous allez pouvoir faire votre pub pour recruter des patients 😉
– Je… https://t.co/gxD1fGqnXi— Michaël (@mimiryudo) 21 juin 2018
Bonus Thread 6 Sur le creux du numerus clausus
La première image montre bien à quel moment ça a merdé dans le NC. Il y a un creux de 30 ans, et on est dedans. Ça ira mieux dans 15 ans, quelque soit l’agitation stérile qui aura eu lieu auparavant. La suppression du NC n’a pas vocation à modifier la démographie médicale. https://t.co/kJAEPTqYqH
— Michaël (@mimiryudo) 19 septembre 2018
Au total, je vois 3 sorties actuellement pour le DMP tel qu’il a été pensé :
- l’imposer à tout le monde, en supprimant les logiciels métiers. Ca n’est pas possible et ça n’est pas prévu actuellement.
- l’abandonner malgré les 14 ans de développement et régler les problèmes qui continuent à pourrir la vie de tout le monde depuis ce temps. Il y en a quelques-uns cités dans les threads. Ca serait déjà un progrès…
- le rendre capable de communiquer avec tous les logiciels de façon ultra simple ET efficace. 2 logiciels identiques dans 2 hôpitaux différents n’arrivent déjà pas à communiquer, donc c’est mal barré. Mais c’est vraiment la seule solution que je vois pour que ça fonctionne. Et quand ça fonctionnera, que ça sera simple, que ça sera archi sécurisé, alors ça sera utile pour tout le monde (patients, professionnels de santé, chercheurs…). Excelsior !