Je vous ai souvent raconté mes misères d’externe : mes bons en dermatologie, mes négociations de scanner ou d’IRM en urgence quand j’étais en médecine interne ou mes classements de biologie lors de mon stage d’endocrinologie. Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire profiter d’une anecdote où j’ai l’air malin. C’est rare, et je me dis que je devrais le faire plus souvent, pour rester dans l’Histoire d’un service. Quand on narre ses gardes dans les moindres détails, en insistant sur les difficultés ou en détaillant chaque moment angoissant, on finit toujours par être nommé « el poissardos del service ». Moi, personne ne se souvient de mes gardes…
Pourtant, j’ai déjà été réveillé à 4h30 du matin pour aller dans le service le plus loin de l’hôpital pour un patient présentant une anémie à 6 g/dl, avant de devoir courir dans les couloirs pour retourner aux urgences voir un homme avec une pancréatite aiguë hyperalgique, tandis que 3 autres patients étaient en train d’être installés.
Une fois, j’ai dû appeler le SMUR d’Arras et organiser le transfert au caisson hyperbare de Lille d’un patient neutropénique d’hématologie, au chevet duquel j’ai été appelé à 8h25 pour une suspicion d’embolie gazeuse, devant sa dyspnée secondaire à la désadaptation de son cathéter. Ma garde devait finir à 8h30 et je suis parti à 10h15…
Quand j’étais externe, en stage de médecine interne au CHU, on m’a demandé d’aller seul présenter un dossier de « possible thymome en cours de bilan » à la grand-messe de réunion pluridisciplinaire de chirurgie thoracique (Ramy Azzouz confirmera :D). J’ai parlé et répondu 2-3 minutes, avant que les médecins présents ne me demandent si j’étais interne. Ensuite, à l’affirmation de l’anesthésiste « le problème, ce n’est pas d’endormir ce patient aux lourds antécédents cardiaques », j’ai répondu « c’est de le réveiller ? » avant qu’il ne dise que c’était de savoir si ça avait un intérêt…
Cette année-là, l’histoire qui a fait le tour de notre promo, c’est le major qui avait appelé le centre anti-poison lors de son stage en psychiatrie. Appelé le centre anti-poison. En psychiatrie. Aucune jalousie ou quoi que ce soit du style, mais juste il faut savoir relativiser et arrêter de faire une légende de certains évènements. C’est comme les « chanceux » et « malchanceux » en garde : sur le long terme, on a tous nos lots de journées tranquilles et nos lots d’emmerdes. Il suffit de ne pas raconter uniquement cette dernière catégorie à tous ses collègues, et d’un seul coup, on ne sera plus « le poissard de service ».
Bref. Je vais vous raconter une anecdote particulièrement inutile mais qui peut me rendre malin, si je raconte bien. L’enjeu vaut le coup. Une dame vient aux urgences avec son fils qui s’est tordu la cheville. Je l’examine, je demande une radiographie, compte tenu du jeune âge du patient (même si c’est manifestement une entorse bénigne). Tout en notant l’observation de mon examen clinique, je pose quelques questions usuelles…
Moi : « Est-ce qu’il prend un traitement ? »
Elle : « Non. Enfin, si, du COLCHIMAX. »
Moi : (Blanc). « Il a une fièvre méditerranéenne familiale ? »
Elle : « Oh, vous connaissez ? Vous ne devez pas en voir beaucoup » (ndlr : dans le Nord-Pas-de-Calais, effectivement, c’est plutôt la fièvre de la Manche).
Moi : « Oui un peu… (je rédige l’observation et je me dis quand même qu’ils ont un petit teint hâlé, alors je tente). Vous êtes d’origine arménienne ? »
Elle : « Oui… o_O »
Voilà. D’une banale entorse de cheville, j’ai découvert les origines ethniques de mon patient. Merci Wikipedia et l’article que j’avais lu lors de mon externat, sur la fièvre méditerranéenne familiale (alias « Maladie arménienne » selon l’encyclopédie en ligne)…
Tout ça pour dire qu’à partir du 2 mai, je retourne en médecine interne.