Depuis le 17 mars midi, toute la France est confinée.
Toute ? Non, car chaque jour des millions de personnes quittent leur domicile pour aller travailler, faire les courses, pratiquer une activité physique (courte), aider des proches en situation de dépendance, aller adopter un animal de compagnie.
Chaque jour, ces personnes parlent, toussent, éternuent… et peuvent transmettre par voie aérienne le coronavirus (y compris en n’ayant pas ou pas encore de symptômes), par la voie des gouttelettes et peut-être par aérosol. Ce virus a pour voie d’entrée et de sortie la bouche et le nez : couvrons-les ! Voilà le message simple que nous délivrons depuis le 22 mars sur https://stop-postillons.fr
Nous y faisons la promotion des écrans anti-postillons (écharpes, cache-col, T-shirt découpé, masque cousu, visière en plastique…) qui fleurissent sur la toile, imaginés et réalisés par de nombreuses personnes à travers le pays et le monde. Plusieurs personnes ont proposé des initiatives locales ou collectives, visant à produire ces écrans anti-postillons. Ce « système D » populaire a été appuyé par une diffusion large des CDC américains depuis le 3 avril.
Mais en France, le 13 avril à 11h, les messages gouvernementaux ne sont toujours pas en faveur de ce port généralisé dans l’espace public…
Qu’attendons-nous ?
Contrairement à ce qu’on entend, il s’agit bel et bien d’un message basé sur la science… Pour faire simple : un article de 2007 montre que des mesures barrières précoces incluant le masque réduisent mieux la contagion que des mesures tardives – sur l’exemple de la pandémie de grippe espagnole – ; un article de 2008 montre que les masques en population générale pourraient réduire les infections respiratoires ; un article de 2013 montre l’intérêt des masques maison dans un contexte de pandémie en absence de masques chirurgicaux (!), un édito du JAMA du 28 mars y incite, tout comme de très nombreux spécialistes de la question (avis colligés sur notre site à cette section)… 2 articles récents sur le COVID-19 sont également en faveur du port de masques maison : celui-ci et celui-là.
« Les avis scientifiques évoluent ». Faisons un tour sur PubMed (principal moteur de recherche d’articles médicaux au monde) des « homemade / home-made masks » si vous voulez bien… Vous me suivez @JJBourdin_RMC @olivierveran ? C’est parti pour un petit thread. https://t.co/8Em6F6eA5M
— Michaël (@mimiryudo) April 8, 2020
De nombreux pays occidentaux l’ont compris et, à l’image de pays asiatiques, ont rendu obligatoire la couverture faciale par un masque : la République Tchèque le 19 mars, l’Autriche et la Slovénie le 31 mars, la Lombardie et la Slovaquie le 4 avril, le Canada le 6 avril, le Luxembourg le 8 avril… Aux USA, les CDC (centres de prévention et de contrôle des maladies) l’ont recommandé le 3 avril ; en Europe, le CDC européen l’a recommandé le 8 avril.
En France, le port généralisé d’écrans anti-postillons a été recommandé par la Société française de Santé Publique le 29 mars, l’Académie Nationale de Médecine le 2 avril (qui reprenait notre argumentaire en 3 points : laisser les masques aux soignants, en porter pendant le confinement, se préparer à en porter lors du déconfinement).
De notre côté, via notre site, nous avons partagé le message largement via les réseaux sociaux et au public (600 000 visiteurs à l’heure d’écriture de ces lignes !) et dans la presse écrite, radio ou télé (La Voix du Nord, Europe 1, Le Parisien, BFMTV, LCI, Egora, Le Figaro, les Grandes Gueules RMC, Mediapart, Libé Jeunesse, Sud Radio, France Info, France Bleu Nord, Delta FM, BFM Grand Littoral/Grand Nord, France Inter, France 3 Hauts-de-France, re-France Info… puis depuis la publication de ce billet, dans La Semaine dans le Boulonnais, des dépêches AFP reprises dans Ouest France, Est Républicain, La Voix du Nord etc.,…) Etrangement, si nous avons essayé d’en parler dans la presse, c’est surtout la presse qui est venue à nous (notamment grâce à une dépêche AFP de Paul Ricard), car il y a un vrai intérêt sur la question. Difficile de dire que cela est passé inaperçu…
Si c’est scientifiquement validé, recommandé par plusieurs régions ou pays, recommandé par des institutions majeures, la question se pose…
Qu’attendons-nous ?
Le 13 avril, en plein plateau d’une pandémie, nous sommes à 11 jours d’une recommandation de l’académie de médecine, à 10 jours d’une recommandation des CDC américains, à 5 jours d’une recommandation du CDC américain.
Qu’attendons-nous ?
Le gouvernement nous explique que le port de masque en population générale « ne sert à rien » voire « serait dangereux », ce qui tombe bien car il n’y a pas de stock. Mais éliminons de l’équation l’absence de stock. Revenons en février 2020, mais cette fois avec un stock illimité de masques (disons 12 milliards), qui ne cherchent que des oreilles sur lesquelles s’accrocher, et des visages à couvrir…
… aurions-nous attendu ?
Si les masques sont réellement dangereux et inutiles, il est logique d’imaginer que le gouvernement aurait laissé ces masques dans ses coffres (en attendant la prochaine pandémie mortelle d’un virus à transmission aérienne sans doute).
Non, soyons sérieux : si nous étions dans une situation idéale, si le gouvernement avait un stock infini de masques à disposition, il les distribuerait ! Il y en aurait dans tous les commerces encore ouverts pour chacun ; on pourrait tous les changer toutes les 3 heures. Celles et ceux qui l’ignoraient apprendraient à en porter. Les discours sur leur inutilité ou leur risque de se contaminer en touchant la partie extérieure seraient secondaires, à juste titre (se contaminer peut-être en retirant l’écran anti-postillons est-il réellement pire que se contaminer forcément en son absence ?)
Hélas, nous ne sommes pas dans cette situation idéale de stock infini : “nous sommes en guerre”. Une drôle de guerre, où 10 jours peuvent s’écouler entre la recommandation d’une institution spécialiste des questions médicales et la recommandation politique… Une guerre où il est hors de question de recommander aux citoyens de « faire preuve d’imagination pour se défendre » ; non, nous sommes en guerre, mais il faut de l’homologation. Les écrans des citoyens ne sont pas certifiés ; et en parallèle depuis le 24 mars, on commence à entendre parler de « masques alternatifs » validés par l’ANSM.
Quelle folie ! Puisque la métaphore martiale a été employée par le Président, filons la… Nous sommes en guerre face à un ennemi sournois qui est partout dans nos rues. Parfois, il attaque… et pour se défendre, les citoyens utilisent ce qu’ils ont à la maison : un couvercle de poubelle (ils ont trop regardé Retour vers le Futur), un morceau de bois, une fourche…
Au lieu d’y être encouragés, le gouvernement répète à tout va que « les armes de défense homologuées doivent être laissées au soldat » (oui, mais on utilise des couvercles de nos poubelles !), « on peut faire pire que mieux » (nous sommes attaqués, comment faire pire que ne pas se défendre ?), « on ne sait pas les utiliser » (je suppose qu’il faut éviter que l’arme de l’ennemi nous atteigne, non ?), « la question ne se pose pas, puisque nous sommes confinés » (mais… mais… quand on peut sortir avec l’autorisation, lors des dérogations ?)
Qu’attendons-nous ?
Des masques alternatifs, qui seront conformes aux critères de l’ANSM, qui seront distribués d’abord aux travailleurs puis « le cas échéant, au plus grand nombre ». Parce que oui, je ne l’ai pas citée plus haut, mais l’ANSM recommande aussi depuis le 24 mars le port généralisé de « masques alternatifs ». Tout le monde le recommande, mais tout le monde veut de l’homologué, du certifié européen (nos ancêtres de 1918 n’avaient pas ce type de masques pour la pandémie de grippe espagnole, pour rappel)… Il faut de la validation, sans doute par peur de procès ? (alors que même les américains ont recommandé le port d’un T-shirt découpé !)
Comme dit plus haut, ces écrans anti-postillons ont un vrai rationnel scientifique dans un cas de pandémie avec pénurie de masques. Ils font mieux que rien. Ils font individuellement sûrement moins bien que les futurs « masques alternatifs » validés par l’ANSM, mais collectivement, eux, ils sont déjà là pour tous, sans attendre plusieurs mois…
Si on veut généraliser le port d’écrans anti-postillons dès ce soir (à défaut d’hier), le gouvernement doit compter sur l’intelligence du peuple et arrêter de penser que les gens ne peuvent pas comprendre qu’il s’agit d’une barrière supplémentaire. Non, les gens ne vont pas s’exposer à plus de risque.
L’anxiété est omniprésente ; qui va subitement s’enhardir parce qu’il porte un essuie-tout en accordéon sur le nez ?
C’est comme dire « si nous mettons des ceintures de sécurité dans tous les véhicules, les gens vont rouler plus vite » ou « si nous incitons au port de préservatif dans la lutte contre les IST, cela va inciter les gens à s’exposer davantage aux risques »…
Nous sommes en guerre (parait-il), et nous pouvons ajouter une nouvelle barrière à notre arsenal défensif. Le modèle de Reason (du gruyère suisse) nous y invite : plus nous ajoutons de barrière, moins le virus a de chance de passer à travers les trous de chacun. Le gouvernement répond qu’il n’y a pas de trous dans son gruyère : « la question des masques ne se pose pas puisque nous sommes confinés » nous dit la porte-parole…
Mais bien sûr que si ! Les trous sont partout, et le virus s’y faufile :
- concernant le confinement, il y a des dérogations, et plusieurs millions de personnes travaillant, sortant chaque jour : c’est un énorme trou dans cette tranche de gruyère
- concernant la distanciation sociale, il suffit d’aller dans une supérette avec des allées d’1 mètre pour voir « le trou »… ou prendre le métro, ou constater les conditions de travail dans certaines usines…
- concernant le lavage de mains, pour un virus de transmission aérienne, c’est une barrière pleine de trous (sans compter qu’en période de pénurie de sérum hydro-alcoolique, il n’est pas évident de se laver les mains à tout va dans l’espace public).
Allez je vous la fais avant de le becter 😁 #Reason pic.twitter.com/IKNgu1AQzp
— Michaël (@mimiryudo) April 6, 2020
Les avis ont changé rapidement ces dernières semaines, mais est-ce assez rapide ? Chaque jour qui passe sans la généralisation du port d’écrans est un jour où la contagion est plus importante qu’elle ne pourrait l’être. Le bon moment pour tous porter des écrans anti-postillons lors des sorties dérogatoires, c’est maintenant.
Quand tout le monde aura mis un écran anti-postillons, nous discuterons leur amélioration.
Faisons les choses dans l’ordre ! Ne parler que de « masques alternatifs » certifiés, aujourd’hui, c’est prendre du retard. La meilleure décision qui pourra être prise aujourd’hui est d’appeler tous les Français à porter un écran anti-postillons de fortune dans l’espace public, lors des sorties autorisées (et sans que cela ne soit une autorisation supplémentaire de sortie). Maintenant ! Tout retard quant à la prise de cette décision aura sans nul doute des conséquences en termes de vies humaines que personne ne souhaite.
N’attendons plus.